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Pourquoi voulez-vous que Riyad Mahrez parte dans un "grand" club ?

Philippe Auclair

Publié 10/03/2016 à 15:19 GMT+1

Les constellations de stars qui se regroupent dans un club (ou deux) horripilent Philippe Auclair, qui voit dans ces mouvements un appauvrissement de ce qui fait la beauté du jeu. Dans un monde footballistique idéal et révolu, Riyad Mahrez resterait à Leicester.

Riyad Mahrez

Crédit: Panoramic

S’il est une justice, personne ne battra Riyad Mahrez dans la course au titre de "Footballeur de l’Année" en Angleterre; et à en juger par les opinions des journalistes de la Football Writers Association qui sont appelés à voter et auxquels j’ai parlé, ma voix ne sera pas la seule à se porter sur le merveilleux artiste de Leicester City, le Fox et Fennec qui, plus que tout autre - même Jamie Vardy, même Dimitri Payet -, aura illuminé cette saison à aucune autre pareille. Quoi qu’il arrive à son équipe, ce qu’il a déjà accompli mérite consécration.
Ne croyez pas pour autant que cette chronique soit un panégyrique de l’ancien réserviste du HAC que l’OM décida d’ignorer, non que ce soit l’envie qui me manque. L’idée m’en est venue à la lecture de plusieurs réponses à un tweet dans lequel je m’engageais publiquement à voter pour lui, et à encourager mes collègues à faire de même. Si tant est qu’ils aient besoin qu’on les encourage. Ces réponses n’avaient rien d’injurieux, au contraire.
J’ai essayé de trouver une seule raison de ne pas admirer cette équipe et ce joueur, et j’ai échoué
Car comment ne pas aimer Mahrez ? Il marque (quinze fois, rien qu’en championnat, et pas vraiment des buts de raccroc); il fait marquer (dix fois, dont la passe décisive de la saison pour Andy King, lors du récent 2-2 contre West Brom); et tout cela, plus les grigris, les coups de génie, les ballons pêchés du ciel comme si un fil invisible les reliait à ses pieds-hameçons, tout cela, il le fait avec une telle joie de jouer et une telle modestie que, comme me le disait un ami supporter de Watford - battu 1-0 par Leicester ce week-end, but de qui vous savez: "J’ai essayé de trouver une seule raison de ne pas admirer cette équipe et ce joueur, et j’ai échoué". "Peut-être qu’on va faire un truc de dingues", dit Mahrez à la BBC après le match de Vicarage Road, le visage éclairé d’un sourire grand comme ça, qui ressemblait aux sourires des fans que lui et ses coéquipiers font rêver. C’est parfois très beau, le foot.
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Riyad Mahrez célèbre un but marqué avec Leicester sur les épaules de Jamie Vardy

Crédit: AFP

Mais bref. Ces réponses, disais-je. Quelques-unes m’ont fait hurler, qui disaient en substance: "c’est formidable, l’an prochain, il va pouvoir jouer dans un grand club". Comprenez : Barcelone, évidemment. Ou le Real Madrid (à la limite - je n’exagère pas). Leicester City, c’est vrai, ne pèse pas lourd face aux collectionneurs de titres de la Liga. Le titre de champion que tout un pays, voir toute l’Europe souhaite les voir gagner serait en fait leur premier dans la plus haute des divisions, bien que le club existe depuis cent-trente-deux années. Soit quinze de plus que le Barça, et dix-huit de plus que le Real, mais cela ne compte plus guère dans une vision du football frappée d’amnésie collective.

"Grand" ?

Une vision dans laquelle le mot "grand" est employé à tort et à travers. Une vision dans laquelle il semble que l’idée même de compétition soit devenue un anathème. Dans laquelle être "grand", c’est tanner semaine après semaine des clubs au budget misérable, les remettre "à leur place". Dans laquelle chaque équipe se doit d’être un Best Of . Dans laquelle tout le monde est ‘nul’ – sauf le trio MSN. Ou Ronaldo. Et Lewandowski, tiens, et Dybala (lequel va sans doute devoir rejoindre un club plus "grand" que la Juve, 49 titres, série en cours, pour le devenir lui-même). OK, Zlatan et Thiago Silva aussi. La glorieuse incertitude du sport, on s’en fiche, ou on la craint, car ce qu’on recherche, c’est précisément des certitudes. Dans les résultats, et donc dans ses jugements et ses opinions.
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Paulo Dybala sera l'un des grands atouts de la Juve face au Bayern

Crédit: AFP

Ce que le football a à gagner dans l’accumulation de "stars" réelles ou supposées dans une poignée de clubs de la super-élite, je l’ignore. Ce que ces clubs eux-mêmes en retireront à terme, si la tendance se renforçait encore, je me le demande. Dans les années 1960 et 1970 - particulièrement pendant la grande époque des films-catastrophe -, les grands studios de Hollywood se livraient une guerre absurde dans laquelle l’arme absolue, croyaient-ils, était d’embaucher le plus grand nombre possible de "stars", justement. Jetez un coup d’oeil à la distribution de La Tour Infernale : ils et elles sont tous et toutes là. Paul Newman. Steve McQueen. Faye Dunaway. Fred Astaire ! OJ Simpson !!! Au début, le grand public a gobé. Après quoi il s’est vite lassé de voir les mêmes têtes dans les mêmes superproductions, et le cinéma a recouvré la raison. Le sport américain, lui, ne l’avait jamais perdue.
Ah, le vilain mot, ‘américain’. Car il est de bon ton de se plaindre de l’américanisation de notre soccer bien-aimé, en oubliant qu’il ne tient qu’à nous de s’inspirer de quelques-unes de ses caractéristiques les plus séduisantes, plutôt que de singer ses excès. Si vous consultez le palmarès du Superbowl, vous verrez que pas moins de treize franchises l’ont disputé depuis dix ans. Soit plus du tiers des trente-deux équipes de la NFL. Neuf d’entre elles ont soulevé le trophée Vince Lombardi durant la même période. Vous trouvez peut-être le football américain ennuyeux (c’est mon cas), ou incompréhensible (ce l’était). Admettez au moins qu’il a le mérite d’être imprévisible, bien davantage que cette pauvre Formule 1 qui, chaque saison, cherche désespérément un moyen d’épicer ses "Grands" Prix sans y parvenir.

Sans Leicester(s), le sport devient fade

Peut-être qu’un rien d’américanisation nous ferait le plus grand bien, à nous qui voyons saison après saison les mêmes collections de "grands" joueurs et de ‘grands’ clubs écraser la concurrence en Ligue des Champions ? Enfin - si on peut encore utiliser le mot concurrence… Dire que match, en anglais, signfie aussi "égal" ! Sans véritable compétition, sans surprises, sans Leicester(s), le sport ne devient que le plus fadouille des entertainments. Les Américains, qui savent deux ou trois choses de ce que signifie entertainment, l’ont compris de bonne heure; ces horribles capitalistes ont adopté ce qui, vu de près ou de loin, n’est rien d’autre que du collectivisme - je veux parler du draft system, dont l’unique objet est précisément d’éviter que l’équivalent NFL de Riyad Mahrez vienne grossir l’effectif des franchises qui ont dominé la ou les saisons précédentes. Loin de rejoindre le Barça, le PSG ou Manchester City, il se retrouverait dans le vestiaire de Newcastle. Le pauvre…
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Leicester City tout à sa joie

Crédit: AFP

Et c’est quoi, un vrai "challenge" ? Quand Alan Shearer préféra Newcastle à Manchester United, c’en était un, autrement plus conséquent que celui des collectionneurs de médailles que leurs agents essaient de placer dans un "grand" club. Un vrai challenge, c’est Totti à la Roma, Mancini à la Samp, Cruyff qui débarque à Barcelone après avoir remporté trois Coupes d’Europe d’affilée avec Ajax, quand Barcelone n’avait pas gagné la Liga depuis 1960. C’est aussi - et ça en surprendra quelques-uns que je dise cela - Zlatan qui invente le "nouveau" PSG sur le terrain.
Alors, bas les pattes. Ce n’est pas être à Leicester qui empêchera Riyad Mahrez de devenir un grand joueur. Après tout, les Foxes ont davantage de chances d’être en Ligue des Champions la saison prochaine que Liverpool et les deux "grands" clubs de Manchester; et la Ligue des Champions manque d’un Leicester depuis trop longtemps, ne trouvez-vous pas ?
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Alan Shearer, une fidélité de dix ans à Newcastle comme joueur

Crédit: Eurosport

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