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Les "press conferences", l’autre show de la Premier League

Bruno Constant

Mis à jour 11/01/2018 à 14:51 GMT+1

PREMIER LEAGUE - Le rendez-vous hebdomadaire réservé aux médias est un rouage indispensable dans la mise en scène du spectacle de la Premier League, et parfois le théâtre de dérapages mémorables. A l’image du clash qui a opposé Mourinho à Conte.

Antonio Conte en conférence de presse avec Chelsea

Crédit: Getty Images

C’est le rendez-vous incontournable des veilles de matches de Premier League. Il anime la journée de Sky Sport News qui tourne en boucle dans les pubs. Le jeudi ou le vendredi suivant les habitudes et l’importance du club, les grands étant le plus souvent programmés le vendredi. Généralement autour de 12h30-13 heures, à l’heure du déjeuner et surtout après le dernier entraînement, ce qui permet de faire le point sur les blessés. Mais pour certains c’est plus tôt, très tôt même, dès 8 heures du temps d’Alex Ferguson à Carrington et imité depuis quelques années par Arsène Wenger. J’ai longtemps pensé que c’était une manière d’embêter les journalistes, d’obliger à se lever aux aurores ceux qui ont la réputation d’arriver au bureau très tard ou encore d’égrener les moins courageux. Mais c’est aussi une manière d’orchestrer sa communication : avoir le moins d’informations à livrer, parler le premier pour donner le ton de ce que seront les headlines ou, au contraire, le plus tard possible pour avoir le dernier mot. Mais je reviendrai plus tard sur ce dernier point qui a son importance.
C’est souvent un long périple qui vous fait traverser Londres et vous emmène souvent très loin de la capitale. Là où les clubs ont bâti leurs centres d’entraînement ou plutôt leurs bunkers. Là où se retranchent managers et joueurs, à l’abri des regards. Les lieux sont interdits au public et il faut montrer patte blanche ou avoir un rendez-vous pour pouvoir y accéder. De toute façon, en Angleterre, les entraînements ne sont pas ouverts au public ni à la presse à l’exception d’une journée par an réservée aux "season tickets holders" ("abonnés") et le plus souvent organisée dans les stades. Les rapports entre les journalistes et les joueurs sont d’ailleurs extrêmement limités voire inexistants (Alexis Sanchez ne s’est pas présenté une seule fois en zone mixte depuis son arrivée à Arsenal !). Pendant très longtemps, il n’y avait même pas de zone mixte pour la presse après les matches, en dehors des ayant droits bien sûr (ceux qui ont acheté les droits de retransmission TV et radio) et de quelques exceptions à Arsenal et Tottenham. Depuis quelques années, la Premier League s’est davantage ouverte et a demandé aux clubs d’offrir un accès aux acteurs du jeu.
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Sir Alex Ferguson avec Manchester United en 2011

Crédit: Getty Images

Peu de contacts entre joueurs et journalistes

Avant, pour recueillir les premières impressions d’un joueur français qui venait d’arriver en Angleterre, il fallait soit passer par la voix officielle, c’est-à-dire le club, et être très patient, soit récupérer son numéro et organiser un rendez-vous en catimini dans un café ou un hôtel tout en évitant de se faire épingler par le club. C’est la raison pour laquelle il y a très peu d’interviews de joueurs dans la presse britannique. Lorsque c’est le cas et que vous voyez la mention "interview exclusive", elle n’a pas grand chose de "exclusive" et a généralement été réalisée avec un pool de plusieurs médias. Les journaux se contentent donc le plus souvent de la conférence des managers. Mais là aussi, les clubs ne laissent rien au hasard. Tout est codifié, chronométré. Dix minutes avec les "broadcasts" (radio et TV) ou dits médias instantanés, dix minutes réservées aux "Dailies" (les journaux qui paraissent du lundi au samedi) et, si le match a lieu le dimanche ou le lundi, dix minutes avec les "Sundays". Avec les "broadcasts", les questions et leurs nombres sont même distribués à l’avance (quatre pour Sky, trois pour la BBC, etc.). Avec la presse écrite, il y a un embargo à respecter. Et gares à celui qui ferait paraître des déclarations sans l’accord de ses collègues ! C’est aussi une manière intelligente de préserver celle-ci face à l’arrivée d’internet et des réseaux sociaux. Après ça, l’entraîneur doit encore s’astreindre à des one-to-one ou bien la chaîne du club. Un vrai marathon médiatique.
Certains sont plus généreux que d’autres. Je dois avouer que les conférences de Wenger étaient souvent les plus intéressantes. L’Alsacien, surnommé "le professeur" rapidement après son arrivée, est un puits de connaissances intarissable qui élude très peu de sujets et ce malgré les nombreuses attaques, parfois violentes, qu’il a subies ces huit dernières années. Je dois dire que j’ai toujours admiré sa résistance à la pression et aux critiques. Celles de Guardiola affichaient complet avant même son arrivée dans le championnat d’Angleterre tandis que celles de Klopp souvent très animées et très drôles. Certains ont leurs petites habitudes. Allardyce débarque toujours avec sa tasse de thé au lait. A Chelsea, Ancelotti aimait venir fumer sa cigarette à l’extérieur du bâtiment au milieu des journalistes. Il arrivait à Ranieri de faire le tour de la salle pour saluer un à un les journalistes.

Ferguson sans pitié avec les journalistes… anglais

Avec Mourinho, c’est différent. Avec Mourinho, c’est spécial. Il ne porte pas son surnom pour rien. Dès qu’il débarque, vous sentez une tension dans la pièce comme du temps de Ferguson dont chaque phrase était aussi coupante qu’une lame de rasoir. L’Ecossais était sans pitié avec les journalistes. Ce qui a donné lieu à quelques célèbres diatribes à l’encontre de certains de mes confrères anglais. Deux ont été pour le moins marquantes. La première, lorsqu’il a donné une leçon de journalisme à une assistance qu’il a accusé de "lies" ("mensonges") sur la saga Rooney en octobre 2010. Lorsqu’il plantait ses yeux bleus glacials sur vous, les joues rougies de colère, vous ne faisiez pas le fier. On pouvait entendre les mouches voler.
Ferguson ne supportait pas les journalistes mal rasés ni ceux qui ne portaient pas la veste mais appréciaient les journalistes français. "Parce que nous avons un point commun nous, Ecossais et Français : nous détestons les Anglais !", lançait-il hilare. La seconde était à l’occasion de la conférence de presse précédant la finale de la Ligue des champions 2011 quelques jours après les révélations sur l’adultère entretenu par Ryan Giggs. Sir Alex avait pourtant prévenu : pas de question sur Giggs. Lorsqu’un confrère osa mentionner le nom du Gallois, "Fergie" se tourna vers la responsable presse du club, assise à ses côtés, et lui chuchota : "Qui est ce journaliste ? Il vient le vendredi ? Ok, tu le suspends vendredi !" Des propos surpris par les micros de Sky…

Avec Mourinho, tout est calculé, planifié

Mais revenons à Mourinho. Tout ce qu’il dit est calculé, planifié à l’avance. Tantôt, il vous séduit. Tantôt, il vous manipule. Cela dépend évidemment des résultats et de son humeur. L’un va généralement avec l’autre. Quand une question ne lui plaît pas, il répond par oui ou par non. Il lui arrive même de changer ou plutôt d’imposer son sujet pour dire ce qu’il était venu dire, avec ou sans question. Klopp, Wenger et Mourinho sont appréciés des journalistes car ils offrent ce qu’on appelle des "headlines" ou "punchlines" aux tabloïds, des gros titres. Ces déclarations interprétées, détournées et même parfois déformées qui font le buzz. Mais ce qu’aiment les tabloïds britanniques c’est demander à un manager ce qu’il pense de ce qu’a déclaré un autre manager plus tôt. Je reviens là à l’importance de l’horaire de la conférence de presse et ainsi à ce qui s’est passé entre Jose Mourinho et Antonio Conte.
Interrogé sur son absence de célébration des buts de son équipe depuis quelques semaines, Mourinho a ainsi lâché : "Parce que je ne fais pas le clown sur le bord du terrain, j’aurais perdu ma passion ?" Mourinho n’a prononcé aucun nom mais tout le monde a compris qui il visait : Klopp comme Conte qu’il a, par le passé, accusé de pouvoir faire tout ce qu’ils veulent sur la touche sans être sanctionné, contrairement à lui. Le lendemain, la petite phrase a été rapportée par les journalistes à Conte sans mentionner au préalable que Mourinho n’avait prononcé aucun nom. L’Italien est, quelque part, tombé dans le piège. Il n’a pas botté en touche mais rappelé que le Portugais avait la mémoire sélective en utilisant l’expression "demenza senile" en italien ("démence sénile").
Le vendredi, après le match de Cup de MU face à Derby County, Mourinho a donc répondu à la réponse de l’Italien en allant très loin et même beaucoup trop loin lorsqu’il rappela qu’il avait commis des erreurs dans le passé mais que, lui, ne serait "jamais suspendu pour matches truqués". En référence à la suspension de quatre mois qui a touché Conte dans l’affaire du "Calcioscommesse" qui fit scandale en Italie en 2011 au moment où il entraînait Sienne en Serie B. Or, Conte n’a pas été accusé d’avoir participé à ces agissements mais de ne pas les avoir dénoncés. Une mise en accusation dont il a été blanchi et acquitté par la suite en mai 2016, un mois avant l’Euro. Mais le mal était fait et ce sont les médias britanniques qui se sont frottés les mains.
Bruno Constant fut le correspondant de L’Equipe en Angleterre de 2007 à 2016. Il collabore aujourd’hui avec RTL et Rfi en tant que spécialiste du football anglais et vous livre chaque sa semaine sa chronique sur la culture foot de Sa Majesté.
Pour approfondir le sujet, retrouvez mon Podcast 100% foot anglais sur l’actualité de la Premier League et du football britannique.
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