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Harry Kane, Captain… England

Bruno Constant

Mis à jour 05/10/2017 à 16:35 GMT+2

QUALIFICATIONS COUPE DU MONDE 2018 - Humble et propre sur lui, Harry Kane a tout de l’anti-star mais ses statistiques en 2017 le hissent aux côtés des superhéros que sont Messi et Ronaldo. Rien que ça ! Et si l’Angleterre avait trouvé le meilleur attaquant de son histoire depuis Sir Bobby Charlton ?

Harry Kane

Crédit: Getty Images

Ha-rry Kane. Trois syllabes qui claquent comme ses buts. Harry Kane. Un nom qui sonne bon les films des années 30, 40, façon Clark Gable. Avec ses cheveux gominés en arrière, sa raie sur le côté, parfois, façon James Stewart, et une voix nasale qui casse le personnage. L’anti-héros par excellence. Il serait plus Clark Kent que Superman.
On l’imagine tout droit sorti d’un documentaire sur les mormons, aller à la messe en calèche avec femme et enfants tous les dimanches et réciter la bénédicité avant chaque repas. Mais, méfiez-vous de l’eau qui dort, Harry Kane est un vrai "tueur", un "killer" comme le dit son entraîneur Mauricio Pochettino, "in love" avec son attaquant qui affole les compteurs et aurait un jour dit vouloir gagner le Ballon d’or…
Cette phrase a fait rire certains. En réalité, il ne l’a pas dit comme ça. Pas comme Ben Arfa ou Pogba ("Le Ballon d’or fait partie de mes objectifs"). Il a dit qu’il voulait faire partie des meilleurs attaquants du monde. Un journaliste lui a demandé "et gagner le Ballon d’or ?". "Qui ne voudrait pas remporter ce grand trophée en or ?", a répondu Kane. Ce n’est pas tout à fait la même chose. Mais les journalistes britanniques cherchaient leur "headline" et ils l’ont eue. Le lendemain, à la une de The Daily Mail comme beaucoup d’autres : "Harry Kane veut gagner le Ballon d’or". Rassurez-vous, il n’y a pas qu’en Angleterre que cela arrive.

36 buts en 31 matches en 2017, seul Messi fait mieux

Harry Kane, gagner le Ballon d’or ? Devant Messi, Ronaldo voire Neymar un jour ? Are you kidding ? Et pourtant, cette année, les statistiques de l’Anglais tutoient celles de l’Argentin et du Portugais. Kane vient d’inscrire 13 buts, club et sélection confondus, lors du seul mois de septembre. Seuls deux joueurs l’avaient fait auparavant… Lionel Messi, en mars 2012, et Cristiano Ronaldo, en octobre 2010. Et avec une équipe loin d’afficher la même domination que le FC Barcelone et le Real Madrid. Certains diront que c’était l’APOEL Nicosie (hat-trick) et Huddersfield (doublé). Les buts de Messi contre Grenade (triplé) et Ronaldo face au Racing Santander (quadruplé) comptent-ils davantage ?
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Pochettino : "Kane n'est pas encore au niveau de Ronaldo et Messi"

Je ne dis pas que Kane est aussi fort que Messi et Ronaldo – ces deux monstres (respectivement 96 et 109 buts en 117 et 142 matches de Ligue des champions) appartiennent à un autre monde - bien que les statistiques de l’Anglais disent le contraire, sur ce mois de septembre et même cette année. En 2017, Kane a inscrit 36 buts en 31 matches. Seul Messi et ses 48 réalisations (et 12 matches de plus) ont fait mieux.
Mais sur le podium du Ballon d’or ? Et pourquoi pas ? Qu’ont réalisé de plus Neymar en 2015 et Griezmann en 2016 pour être sur la troisième marche ? Le Brésilien était le troisième meilleur buteur des cinq grands championnats derrière Messi et Ronaldo, le Français avait porté son club en finale de la Ligue des champions et les Bleus en finale de l’Euro.
Mais je vous voir venir. "Qu’il brille déjà dans les grands matches et les grands tournois". C’est vrai. Kane, qui ne bénéficie pas (encore) du soutien des collectifs exceptionnels de Barcelone et l’Atletico, doit briller en Ligue des Champions avec Tottenham, club très jeune dans la compétition, et avec l’Angleterre, qui reste sur un Euro raté. Mais il vient déjà de le montrer avec les Spurs contre Dortmund à Wembley (3-1, doublé). Et ses six buts en six matches contre Arsenal, l’ennemi des Spurs, ou ses 23 en 29 derbies londoniens confondus en Premier League ?
L'efficacité monstre d'Harry Kane en 2017

Il a éclos sur le tard, à 21 ans

On oublie aussi que Kane a éclos sur le tard, à 20-21 ans, suite à des prêts infructueux à Leyton Orient, Millwall, Norwich et Leicester, deux ans avant qu’ils ne surprennent le monde entier. C’est seulement sa quatrième saison au plus haut niveau du jeune Anglais (24 ans) qui a forcé la porte des Spurs début 2014, grâce à un certain Tim Sherwood. C’est à peu près le seul héritage dont peut se vanter le technicien anglais.
Depuis, Kane a inscrit 79 buts en 108 matches de championnat. Au cours des trois mêmes saisons, Messi en compte 115 en 111, Ronaldo 108 en 102. Et Kane affiche un meilleur ratio tirs-buts que le Portugais, mais inférieur à Messi. "Kane sera peut-être meilleur que Ronaldo", prédit Pochettino. A l’âge de 24 ans, le Portugais affichait 84 buts en 196 matches de Premier League. Au même âge, Kane a déjà presque atteint ce total (82) en seulement 119 apparitions. Le poste de l’Anglais, plus proche du but n’explique pas entièrement cette différence. Ronaldo évoluait parfois en pointe sous Ferguson.
Dans mon rôle de correspondant à Londres, j’ai souvent eu l’occasion d’échanger avec Hugo Lloris du côté de White Hart Lane. Un jour, nous avions parlé de Kane et il m’avait vanté le côté travailleur de l’Anglais, répétant ses gammes à l’infini, ses efforts en salle de gym pour gagner en vitesse et se sculpter un corps taillé pour la Premier League. Ce sérieux, cette hygiène de vie, cet acharnement, ce côté travailleur comme Cristiano Ronaldo. Un "modèle" pour Kane. "Vous voyez Ronaldo briller à chaque match, dans les finales et demi-finales. C’est ce que à quoi j’aspire", dit-il.
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Cristiano Ronaldo (Real Madrid) soulève le trophée de la Ligue des champions

Crédit: Getty Images

Un attaquant complet qui peut jouer 9 ou 10

Ses progrès sont fulgurants. Kane n’est plus l’attaquant un peu pataud entrevu à ses débuts. C’est un faux lent, capable de déposer trois adversaires sur quelques mètres grâce à sa puissance comme face à Huddersfield le week-end dernier ou Chelsea lors du fameux 5-3 de 2015. Il est plus complet que Cavani ou Aubameyang et n’a rien à envier à Lewandowski ou Griezmann. Kane marque dans toutes les positions, du droit, du gauche comme de la tête. Il est d’une précision redoutable, "clinical" ("clinique") comme disent les Anglais. Ses buts attrapent souvent les petits filets du gardien et flirtent même avec les montants.
Et Kane n’est pas seulement un numéro 9, il peut évoluer en 10, comme Benzema. Il aime participer au jeu de l’équipe, décrocher, faire jouer ses partenaires avec une qualité de passe aussi fine que ses frappes. Evidemment, il lui reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour rejoindre le monstre qu’est devenu Ronaldo et ses 411 buts en 401 matches sous le maillot du Real Madrid. Et seule la durée sera juge de son talent et sa place au panthéon des grands attaquants.
Le fait d’avoir été propulsé sur le tard, à 21 ans, devrait lui offrir quelques saisons de plus qu’un Wayne Rooney, exposé dès l’âge de 16 ans sous le maillot d’Everton puis de Manchester United, à 18 ans, et usé à 30 ans par ses quatorze saisons. S’il reste en Premier League (Manchester United rêve de l’arracher à Tottenham mais également le Real Madrid, dit-on), Kane (84 buts à seulement 24 ans) peut battre le record de son aîné (200) et peut-être même celui d’Alan Shearer (260 buts).
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Harry Kanelors d'une séance d'entraînement avec Tottenham

Crédit: Getty Images

Pour ça, il faut durer. Mais vous ne l’imaginez pas à la une des tabloïds, débarquer à un aéroport italien avec des faux seins comme Gascoigne, se battre dans un pub avec un Dj à cause de Phil Collins comme Gerrard, ivre au petit matin comme Rooney, cigarette au bec dans une pool party comme Wilshere. Un peu comme Giggs. Quoi que, Ryan…

Un vrai gentil, humble et discret

Kane est un gentil, un vrai, qui s’arrête en zone mixte dès qu’on le lui demande et fait le boulot sans rechigner. Certains diront que c’est la jeunesse de l’âge, qu’il deviendra comme les autres, usé par le système mais on n’en est pas certain. De ce côté-là, il fait penser à David Beckham, resté simple tout au long de sa grande carrière. Mais Kane ne sort pas avec une Spice Girl et il n’est pas une icône de la mode qu’on s’arrache. C’est un héros discret, le prototype de l’anti-star. Grand, baraqué, propre sur lui, serviable… un peu comme Captain America, gringalet devenu super puissant. Captain England, en l’occurrence.
Et si l’Angleterre avait trouvé son héros, le plus grand attaquant de son histoire depuis Sir Bobby Charlton ? Car, quelque part, Kane a pour mission de sauver le football anglais, porter l’étendard d’une nation qui n’a plus brillé dans un grand tournoi depuis 1996 (demi-finale de son propre Euro, perdue aux tirs au but face au futur vainqueur, l’Allemagne) ni remporté une compétition depuis 1966 (Coupe du monde, celle de Charlton), réussir là où Rooney a échoué.
Il n’a que 24 ans et encore du temps devant lui. Mais il forme déjà un trio fantastique avec Marcus Rashford, sorti de l’académie de United à un moment où même Sir Alex Ferguson ne croyait plus dans la formation mancunienne, et Dele Alli, qui évoluait encore à MK Dons en Championship en 2015. Le tout épaulé par une belle génération (Walker, Rose, Sterling, Stones, Lallana, Pickford). L’avenir le dira.
Bruno Constant fut le correspondant de L’Equipe en Angleterre de 2007 à 2016. Il collabore aujourd’hui avec RTL et Rfi en tant que spécialiste du football anglais et vous livre chaque sa semaine sa chronique sur la culture foot de Sa Majesté.
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