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Après Bulgarie - Angleterre : Les ambiguïtés de l'indignation

Philippe Auclair

Mis à jour 15/10/2019 à 20:47 GMT+2

QUALIFICATIONS EURO 2020 - La soirée de lundi a été marquée de nouveaux débordements racistes lors de Bulgarie - Angleterre. Ce nouvel épisode regrettable va-t-il enfin et le tout le monde devant ses responsabilités ? Il est temps. Cela concerne l'UEFA, la Bulgarie mais pas seulement...

Bulgarie - Angleterre

Crédit: Getty Images

Saluts nazis, cris de singe. L'ordinaire, quoi, quand l'on joue dans certains pays où les stades servent de chambres d'écho aux sentiments les plus vils; des pays dont les nôtres - je veux parler ici de la France et de la Grande-Bretagne - font encore partie, les gestes en moins, si nous avons le courage de nous regarder en face. Mais pas ainsi. Pas comme ces jeunes hommes vêtus de noir, certains cagoulés, qui, depuis les tribunes du stade national Vasil Levski, y sont allés de leur numéro raciste quand l'Angleterre a joué en Bulgarie lundi soir. Enfin, "les tribunes"... celles qui étaient ouvertes au public, pas ces vastes pan de béton clos pour l'occasion, en punition de débordements antérieurs.
En d'autres circonstances, on aurait salué la réaction de la sélection de Gareth Southgate, qui a gommé d'un seul trait et de six buts, dont la plupart étaient splendides, le revers subi à Prague trois jours plus tôt. Le 4-2-3-1 testé face aux Tchèques fut remisé au placard, pour faire place au 4-3-3 qui a si bien réussi aux Three Lions depuis leur demi-finale de Coupe du monde. Deux buts de plus pour Raheem Sterling, qui ne marquait presque jamais en sélection, et trouvé la cible dix fois lors de ses dix derniers matches avec la sélection. Harry Kane, une fois de plus si séduisant dans ce costume de 9 et demi qu'il endosse volontiers avec l'Angleterre, et...
Autant s'arrêter tout de suite. C'est à peine si les médias britanniques ont relevé ce score-fleuve, ou le fait que les Anglais se qualifieront probablement en qualité de têtes de série pour un Euro dont les demi-finales et la finale se joueront à Wembley. Et comment ne pas leur donner raison ?
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Racism once again marred an England game with Bulgaria

Crédit: Getty Images

La pire nuit d'ignominie

L'Angleterre est sortie grandie de ce match miasmeux. Ses joueurs, dont beaucoup sont issus de familles dont les racines sont africaines ou antillaises, ont géré avec un calme, une maturité et une détermination admirables les insultes ignobles qui ont conduit l'arbitre du match - le Croate Ivan Bebek, irréprochable - à suspendre le jeu à deux reprises en première période, comme le requiert le nouveau protocole de l'UEFA, appliqué pour la première fois à Sofia. L'eût-il fait une troisième que la Bulgarie aurait perdu le match sur le tapis vert; et il aurait pu s'y résoudre si, lors de la pause, les joueurs anglais n'avaient pas pris la décision unanime d'aller jusqu'au bout de leur rencontre. On avait pu expulser du stade les pires éléments du contingent néo-nazi qui avait empuanti le stade pendant quarante-cinq minutes; mais cela n'avait pas muselé complètement les racistes. On avait baissé le volume de l'amplificateur, mais pas complètement coupé les micros.
Ce fut une nuit d'ignominie, sans doute, mais pas la pire qu'on ait vécue en Europe. J'ai souvenir d'un match Espagne-Angleterre, joué en 2004, qui avait été dix fois pire que ce qu'on vécut en Bulgarie. La différence est que, cette fois, on agit, et que les répercussions de cette action obligeront enfin les instances internationales du football d'aller au-delà des simples slogans et de trancher dans le vif.
En ce qui me concerne, je ne retiens pas mon souffle. Voilà des années que l'UEFA ânonne les mêmes platitudes et ne punit les coupables - les récidivistes - que de sanctions insuffisantes, voire ridicules. Comme le rappela Mark Pougatch, le présentateur de cette soirée de football à la télévision britannique, Nicklas Bendtner, qui avait commis le crime de faire voir le nom d'un bookmaker brodé sur son slip après avoir marqué pour le Danemark lors de l'Euro 2012, dut payer une amende de deux fois supérieure à celle "infligée" à la fédération bulgare lorsque Ashley Young fut la cible de cris de singe lorsque l'Angleterre s'imposa 3-0 à Sofia, déjà, en septembre 2011. On a le sens des priorités au siège de la Confédération européenne.
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Kane, félicité par ses partenaires

Crédit: Getty Images

Peut-être la fin du début

Les optimistes diront que le premier pas a été fait, et que c'est celui-ci qui coûte le plus quand on est immobile depuis si longtemps. Dieu - et Aleksander Ceferin - les entendent. Cela n'est pas impossible. Le président de l'Union Bulgare de Football Borislav Mihaylov a démissionné de ses fonctions ce mardi, suite à la requête expresse du Premier Ministre bulgare Boyko Borisov, qui avait demandé à son ministre des sports de suspendre toute relation avec la fédération tant que Mihaylov serait en charge.
Cela dit, pour paraphraser Churchill, ce n'est pas la fin, ce n'est même pas le début de la fin; mais c'est peut-être la fin du début. Peut-être. La Bulgarie, pour commencer, ne doit pas servir de victime expiatoire, comme certains le souhaiteraient ; j'en ai vu qui réclamaient sa suspension de toute compétition internationale pour cinq ans - la durée de la suspension des clubs anglais des tournois de l'UEFA après la tragédie du Heysel, qui fit trente-neuf morts. La Bulgarie, c'est aussi son capitaine Ivelin Popov, qui eut le courage d'aller confronter ses "fans" à la mi-temps, et de dire ensuite ce qui suit, quand son sélectionneur Krasimir Balakov avait prétendu ne rien avoir vu ou entendu de répréhensible. "Vous croyez qu'un joueur étranger voudrait venir jouer en Bulgarie après ce qu'il s'est passé ce soir ? Le racisme est un problème mondial qu'il faut éradiquer. Nous sommes tous des êtres humains, quelle que soit la couleur de notre peau".
Ce n'étaient pas là les propos fades et convenus d'un administrateur soudé à son luxueux bureau du côté de Zurich ou de Nyon. C'étaient les mots d'un homme dont on souhaite qu'il représente l'avenir du football bulgare. Il le mérite. "Des actes [comme le sien] ne doivent pas passer inaperçus", dit ensuite Marcus Rashford. Espérons que ce soit le cas. Soutenir un Popov est aussi important que désavouer un Balakov - et sanctionner la Bulgarie - si l'on veut vraiment changer les choses.
Et n'oublions pas que la culpabilité est partagée en ce cas, ce que Gareth Southgate, semble-t-il incapable de faire un faux-pas dans un tel champ de mines, ne manqua pas de relever quand il s'adressa aux médias après la rencontre. Disant sa fierté de diriger un tel groupe de joueurs, il ajouta: "Malheureusement, à cause de leurs expériences dans notre propre pays, ils sont endurcis au racisme". Dans le mille, comme toujours. Ces supporters anglais qui chantaient "Connards de racistes, on sait ce que vous êtes" à Sofia, je les ai aussi entendus reprendre des slogans xénophobes honteux à Wembley, sans que quiconque menace de suspendre le match, ou d'infliger une suspension à la FA. Et à qui s'adressait ce "connards de racistes" ? Aux groupes de nazillons visiblement préparés pour la fête, au point que certains avaient imprimé des t-shirts de circonstance ? Ou à la Bulgarie toute entière ? Ces ambiguïtés sont au cœur du problème, et Southgate a l'immense mérite de ne pas les ignorer, et même de les relever au moment même où il aurait pu choisir de ne jouer que le rôle de victime indignée.
Et là est peut-être un début de solution.
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