Juventus : Paul Pogba avec le mythique N.10, un choix entre symbole et stratégie

"C’est Paul qui a demandé à porter ce numéro. C’est un choix qui traduit parfaitement bien son sens des responsabilités", déclarait son entraineur au moment de l’annonce officielle. En effet, le Français a démontré une fois de plus une totale confiance en ses moyens afin d'assumer ce lourd héritage. Le 10 à la Juve, c’est Omar Sivori, Michel Platini, Roberto Baggio et Alessandro Del Piero, soit les plus grands artistes de l’histoire du club.

Plus récemment, le 10, c’était également Carlos Tevez, un joueur qui a transcendé son équipe par ses buts mais aussi sa hargne. Il ne s’agit pas là d’un simple numéro, une attitude exemplaire et un leadership naturel sont les qualités requises pour l'endosser. A 22 ans, Pogba estime ainsi qu'il a le profil adéquat. Une haute estime de soi indispensable dans un milieu où il faut avoir les épaules de plus en plus large pour résister à la pression. Et puis, il entame sa quatrième saison avec les Bianconeri, le timing est plutôt bon.

Cela fait bien longtemps que les numéros ne correspondent plus à des postes précis. Et le 10 n’y a pas échappé. Rien qu’en Italie, Totti est attaquant depuis une décennie, Felipe Anderson ailier, Kovacic milieu relayeur, seul Honda s’en rapproche, et encore, sa place est surtout sur le banc de touche. Seulement voilà, Max Allegri compte bien instaurer définitivement son 4-3-1-2 fétiche et est à la recherche active de ce que l’on appelle un "trequartista". Il s’agit de la dernière pièce manquante pour compléter le puzzle. Des pistes ont été activées, notamment en Allemagne, mais nombreux sont ceux qui demandent à voir Pogba à ce poste.

Ça tombe bien, son entraineur aime les numéros 10 atypiques, ou plutôt modernes. Finis les Riquelme et Zidane uniquement créateurs, il faut désormais des joueurs capables de combiner les phases offensive et défensive. A Milan c’était Boateng, à la Juve Vidal ou Pereyra. Malgré tout, cette hypothèse convainc moyennement le technicien bianconero : "Je l’ai essayé une seule fois au poste de numéro 10, c’était lors d’un match d’entrainement. Mais son vrai rôle est milieu relayeur, même si un jour, il pourra jouer devant la défense." Allegri veut peut-être éviter d'enlever d'autres certitudes à une équipe qui a perdu sa colonne vertébrale cet été, ce qui peut se comprendre. 

D'ailleurs, Pogba a-t-il vraiment les armes pour s'installer au poste de milieu offensif axial ? Techniquement, on ne peut que rester admiratif devant ses gestes, qui sont d’ailleurs rarement superflus. Alessandro Del Piero, qui s’y connait plutôt bien en numéro 10, avait trouvé un très joli comparatif dans une interview accordée au Parisien avant la finale de la Ligue des champions : "Paul me fait penser à un joueur de NBA. Il a un physique extraordinaire et une technique de très haut niveau. Comme les grands basketteurs américains, sa puissance physique n’entre pas en conflit avec la qualité. Et il a encore une grosse marge de progression."

On l’a vu lors de la Supercoupe d’Italie samedi dernier, match durant lequel il étrennait pour la première fois son nouveau paletot. Paul a survolé une bonne partie de la rencontre, le danger venant souvent de lui. Mais parallèlement, il a aussi combattu au milieu en récupérant de nombreux ballons (9) et en remportant la plupart de ses duels aériens (6 en tout). A côté de ça, il est le joueur qui a touché le plus de fois la balle (63), et il a tiré la plupart des coups de pieds arrêtés. Sa présence dans la bataille du milieu est fondamentale, il sera difficile de s’en passer. Même si l'idée titille l’intéressé, pas certain non plus qu'une "promotion" en 10 se passerait sans encombres. Souvenez-vous de Vidal qui a justement connu cette trajectoire et dont le rendement avait baissé.

Si l’initiative de porter le numéro 10 vient de Paul Pogba, la Vieille Dame ne s’est surement pas fait prier pour accepter sa requête. Vidal, Pirlo et Tevez partis, Buffon un peu pénalisé par son âge et son poste de gardien de but, l’image de marque de la Vieille Dame dépend presque entièrement des faits et gestes du Francilien. Et ce même sis à la Juve plus qu’ailleurs, les individualités sont au service du collectif.

Ce numéro 10 peut être considéré comme une investiture définitive et qui sait si cela ne va pas convaincre l’international tricolore de rester un peu plus longtemps dans le Piémont. Annoncé partant depuis deux ans, il est encore resté cet été. Le club turinois a beau avoir l'habitude de ne jamais cracher sur une belle plus-value (celle-ci entrerait dans le Guiness des records), se séparer de son joueur le plus populaire est encore plus compliqué que quand il portait le 6.

Les clubs italiens essayent tant bien que mal de combler l’abysse qui les sépare de leurs camarades européens concernant la diversification des entrées d'argent. Certes, la Juve peut compter sur la manne dérivant de la Ligue des champions ainsi que les revenus liés à son stade de propriété. Mais d’un point de vue commercial et marketing, elle a encore des progrès à faire, surtout concernant la vente des maillots.

En effet, elle vient seulement d’intégrer le Top 10, avec plus d’un million de vareuses vendues dans le monde. Cependant, c’est seulement quelques milliers de plus qu'un Milan en perdition depuis deux ans. Et surtout, c’est deux fois et demie de moins que le Real Madrid, recordman en la matière. En attribuant le plus fascinant des numéros à une des stars du football mondial, dont le style fait fureur auprès des petits comme des grands, les dirigeants bianconeri d'apprêtent à faire une belle opération économique. C’est aussi ça l'intérêt du 10. Et si l’intendant de l'équipe de France s'en inspirait au moment de floquer les prochains maillots bleus ?