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Stades vides, supporters en carton, Paris Saint-Germain : L'important, c'est d'avoir un style

Thibaud Leplat

Mis à jour 27/04/2020 à 21:43 GMT+2

Le huis clos généralisé qui s'annonce pour le football dans un avenir à court et au moins moyen termes pose la question de l'importance de la présence des supporters dans un stade. Pour la rappeler, le Borussia Mönchengladbach a proposé de mettre dans ses tribunes des supporters en carton.

Les banderoles installés en tribune Auteuil avant PSG - Dortmund, le 11 mars 2020.

Crédit: Getty Images

Rien de plus vide qu’un stade vide. Alors quand il s’agit de reprendre le football en l’absence de leurs principaux destinataires, les supporters du Borussia Mönchengladbach proposent depuis quelques semaines, pour une poignée d’euros, de rendre présents aux yeux du monde les visages des absents. Ainsi, chacun pourra louer sa propre effigie en carton et la placer dans les travées du Borussia-Park le temps que durera le huis clos.
Dans L’Equipe du 23 avril, l’initiateur du singulier projet se défend : "Ces figures en carton sont à la fois le signe de notre attachement à notre club et notre volonté de rester proche de notre équipe". Face à l’inédite initiative, certains groupes de supporters français crient néanmoins à l’enfumage mercantile et, nous rapporte également le quotidien, dénoncent "l’indécence" de l’initiative en pleine épidémie : "Ce serait triste d’en arriver là pour faire passer la pilule des huis clos dont les supporters ne veulent pas". Curieuse réaction mais antique controverse.

J’aime parce que j’attends

Car enfin, à défaut de présence, faut-il à tout prix combler l’absence ? En période de quarantaine et de huis clos, la sensation est étrange quand on se met à contempler, non sans une certaine mélancolie, le panorama de nos stades désertés comme on le ferait de quelques natures mortes de la Renaissance. Disposés ici ou là, des verres de vin à demi-remplis, des morceaux de pains entamés, des grappes de raisins négligemment disposées dans de la vaisselle raffinée, tout dans la mise en scène rappelle l’absence du maître. Mais tout semble dire également qu’il n’a disparu que provisoirement. Paradoxalement, les traces qu’il a laissées le rendent plus présent encore à l’esprit de celui qui contemple.
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Die Partie zwischen dem 1. FC Köln und Borussia Mönchengladbach am 11. März war das erste Geisterspiel der Bundesliga-Geschichte

Crédit: Getty Images

Il en est de même de nos stades assoupis. Vides et inhabités, quand bien même des matchs s’y dérouleraient, le public brille néanmoins par sa spectaculaire absence. Moins il est là, plus on attend son retour. Il est omniprésent. En quelque sorte, tant que les rencontres auront lieu dans leur cadre habituel - les stades vidés - le huis clos ne sera jamais rien d’autre qu’une mise en scène de l’attente.
A ce titre, des figurines venues rappeler l’implicite ne seraient guère que de vulgaires "gadgets qui éviteraient aux clubs et aux diffuseur de montrer des tribunes désertes qui sonnent creux". Oui, cette idée se tient. Mais c’est malheureusement une conception incomplète du club de football.

Désirs d’étoiles

Car elle met en effet de côté la valeur narrative du dispositif allemand et, plus généralement, de toute identité collective. Il ne suffit pas de maintenir des chaises vides pour exister, encore faut-il avoir une politique, c'est-à-dire quelque chose à raconter. Quiconque a vu le 13 mars dernier ce PSG - Dormund à huis clos a pu constater cet étrange phénomène. Ce n’est pas parce que les supporters étaient absents que le Parc des Princes était vide.
Bien au contraire, et à y regarder de plus près, le stade n’était pas inhabité : banderoles, vidéos sur les écrans, feux d’artifice par-dessus le stade dès la 5e minute, immense fête collective à la fin du match. A l’évidence, le Parc des Princes n’était pas désert, il était au contraire saturé d’images qui parlent, remplis de souvenirs qui font sens pour celui qui sait que l’absence est un autre mode de la présence.
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Di Maria (PSG)

Crédit: Getty Images

Si certains ont trouvé la célébration parisienne indécente pour un huitième de finale, c’est peut-être qu’il n’ont pas pris le temps d’écouter ce que ces signes nous disaient exactement. Comme dans tous les clubs sportifs, il y était d’abord question d’effort, de dépassement. Mais on y célébrait aussi - c’était la spécificité de ce club à ce moment-là de son histoire - le soulagement et le triomphe momentané sur la fatalité.
Avant d’entrer dans le désert de la quarantaine, une équipée chaotique s’offrait une dernière dose de joie inutile pour se donner du courage et entrer en résilience. Si tout le monde s’était reconnu dans ces fusées blanches au-dessus d’une ville qui plongeait dans la nuit, c’est que chacun avait pu y lire sa manière personnelle d’être loyal envers une trajectoire accidentée. Dans le silence de la réclusion, chacun avait trouvé son étoile filante.
Notre seul virus, c’est le Paris SG
Alors, paraît-il, certains maintenant s’inquiètent de cette absence qui nous éloignera des nôtres. Ils s’imaginent qu’aucun club ne survivrait donc jamais à la disparition de ses membres. C’est pourtant bien ce qu’il se passe, génération après génération. Et les clubs existent toujours. Présidents, dirigeants, joueurs, supporters, infrastructures, blason et même parfois couleurs et devises, absolument tout passe, mais jamais ne demeure.
Tout sauf la narration qui, elle, nous survivra. Les clubs ne sont pas fait de ciments mais de chairs et de langages. Voilà pourquoi la passion se transmet si efficacement. "Notre seul virus c’est le Paris SG" écrivaient justement les fans d’Auteuil en mars dernier.
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Di Maria (PSG) lors de la célébration avec les supporters

Crédit: Getty Images

Chacun a sa manière d’être loyal à un stade, des couleurs, une équipe. Mais, en dépit de l’éloignement, la vertu du huis clos généralisé c’est peut-être, paradoxalement, de rapprocher l’amateur de son club. Qu’est-ce qu’un club alors ? C’est une figure populaire de "l'identité narrative", répondra le philosophe, c’est-à-dire une manière de se découvrir soi-même à travers une intrigue commune.
Si l’initiative des supporters du Borussia Park est intéressante, c’est qu’elle offre à ses suiveurs un cadre commun (les images) dans lequel exprimer une multitude de singularités (les visages), exactement comme une langue offre à ses locuteurs la possibilité d’exprimer avec les mots (des autres) leur personnalité (unique). La grandeur d’un club c’est donc sa capacité à donner corps à des expériences individuelles à travers une forme sensible, une narration commune. Chaque club a un style. Chaque club est un style.
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