Affaire des paris: "Esprit d'équipe", Ibiza, Bojinovic et les Karabatic: les dessous du réquisitoire

17 personnes sont mises en examen et 16 d'entre elles sont renvoyées devant le tribunal correctionnel de Montpellier pour escroquerie ou complicité d'escroquerie suite à des paris suspects autour du match entre Cesson et le MAHB, le 12 mai 2012. Alors qu'un procès se profile, sans doute en milieu d'année 2015, l'AFP et L'Equipe ont pu se procurer une copie du réquisitoire du parquet de Montpellier. Les éléments tirés de ce document des 79 pages permettent de mesurer un peu plus précisément les soupçons qui pèsent sur les différents protagonistes et d'y voir un peu plus clair sur la mécanique de l'affaire.

Pour Patrick Desjardins, procureur de la République en charge du dossier, l'œuvre collective de la tricherie ne fait absolument aucun doute. Il s'agit bien d'une mise en place concertée, collective et préméditée. "De toute évidence, écrit-il, les joueurs concernés avaient poussé leur esprit d'équipe, clé de voûte de leurs très nombreux succès sportifs de l'époque, jusqu'à concevoir et commettre en équipe une tricherie ayant pour objet d'escroquer la Française des Jeux".

Pour le procureur, la vie de groupe, inhérente au fonctionnement de l'équipe, facilitait par ailleurs la mise en place de cette initiative : "Les moments propices à l'émergence d'un tel projet avaient pu être nombreux", estime le magistrat, qui les liste: "un repas (...), les nombreux déplacements en transports collectifs, les innombrables séjours en hôtel". "La réussite du projet", ajoute le procureur, vient du fait que "chacun a respecté à la lettre comme dans tout sport d'équipe les consignes données".

Dans son réquisitoire, le procureur n'est pas formel sur ce point, fonctionnant par interrogations. Peut-être s'agissait-il simplement, se demande le magistrat, de faire miser Luka Karabatic pour la cagnotte des joueurs et améliorer le séjour à Ibiza prévu en fin de saison? Des textos échangés entre Luka Karabatic et Jennifer Priez, sa compagne, évoquent d'ailleurs le séjour à Ibiza. Mais pour Patrick Desjardins, quel que fut l'objectif initial, il a été débordé bien vite par une perspective concrète, celle, toute simple, de l'appât du gain. Dès lors, Ibiza ou autre chose, il est probable que la mécanique ne pouvait plus s'arrêter. "Très vite, lit-on encore dans le texte du magistrat, sans doute pris de vertige à la vue de la facilité de l'opération et de la certitude des gains, les membres n'ont pas résisté à la tentation", estime-t-il.

Si la tentative d'escroquerie serait collective, tous n'ont pas tenu le même rôle. Pour la justice, Mladen Bojinovic, l'ancien joueur de Montpellier, parti depuis au Paris Saint-Germain, aurait occupé une place centrale dans le projet. Cité par L'Equipe mardi, le procureur, maniant encore la métaphore sportive, parle ainsi du Serbe comme d'un "meneur de jeu dans la réalisation de cette escroquerie". Il est soupçonné d'avoir donné le feu vert au déclenchement concret des paris, le matin du match, en prévenant les autres par sms. Le réquisitoire fait état contre lui de charges "nombreuses, lourdes et concordantes". Quant à ses explications, ou plutôt son absence d'explications, que Bojinovic a attribué devant les enquêteurs et le juge à une "perte de mémoire", elles sont jugées par Patrick Desjardins comme "révélatrices de son implication".

Si Bojinovic fait office dans cette histoire de meneur de jeu, Nikola et Luka Karabatic sont eux aussi sévèrement mis en cause par la justice. Si l'implication du second est confirmée par des éléments concrets dans le dossier, rappelons que le premier a toujours nié avoir parié (il est un des trois à maintenir cette ligne de défense parmi les joueurs, avec Issam Tej et Dragan Gajic), affirmant que les paris ont été pris à son insu par sa compagne, Géraldine Pillet. Mais pour le procureur, cela ne tient pas la route.

Il se base pour cela sur plusieurs éléments, un faisceau de présomptions plus que sur des preuves accablantes, comme une application sur les paris chargée sur son téléphone portable, des captures d'écrans sur la cote de la rencontre contre Cesson ou un retrait de 1500 euros trois jours avant le match, "son seul retrait" depuis plusieurs mois, note Patrick Desjardins. Il s'est également trouvé à proximité de l'endroit où son frère a joué 290 euros et de lieux où les gains du pari étaient retirés, comme l'indiquent les bornages de son téléphone.

A l'endroit de Nikola Karabatic, le procureur parle dans son réquisitoire d'une "mauvaise foi affligeante". "De toute évidence, conclut le réquisitoire, en tant que leaders charismatiques, Bojinovic, puis les frères Karabatic, avaient donné leur aval en acceptant de se compromettre dans ce projet (…) Un tel projet ne pouvait de toute façon pas prendre corps sans sa caution et son accord (NDLR : celui  de Nikola Karabatic)".

Si le procureur fait donc état d'un "esprit d'équipe" prolongé en dehors des terrains pour la mise en œuvre de cette tricherie organisée, il constate qu'elle se maintient après l'éclatement de l'affaire. Si beaucoup ont admis avoir parié, la tricherie collective est niée par tous. De même, Luka Karabatic maintient avoir misé le pot commun (8400 euros, pour 255000 euros de gain à l'arrivée) sur sa seule initiative, et non au nom du collectif. "La notion d'équipe soudée jusque dans la défaite se vérifie ici aussi", souligne Patrick Desjardins. Reste à savoir si la solidarité collective résistera à l'épreuve du procès, l'étape ultime mais aussi la plus lourde à gérer pour les protagonistes de cette affaire.