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Expression des sportifs : au pays où tout est noir ou blanc, acceptons la diversité et les nuances

Sport et Citoyenneté

Publié 24/06/2020 à 17:20 GMT+2

Avec la vague de protestation liée à la mort de Georges Floyd, la question de la prise de parole des sportifs sur des thèmes comme le racisme se pose. Carine Bloch, fondatrice de la commission sport de la Licra, se penche sur ce sujet complexe. Et donne des clefs précieuses.

Kylian Mbappé avec son téléphone

Crédit: Getty Images

  • Par Carine Bloch, membre du "Think tank Sport et Citoyenneté", fondatrice de la commission sport de la Licra (présidée de 1998 à 2013), consultante-formatrice Sport et Ethique et animatrice de l’émission Vivons Sport sur Cause Commune
Sport et Citoyenneté
Comme souvent, la question sur l’engagement des athlètes refait surface en France. Suite à la vague de protestation liée à la mort de Georges Floyd, elle se pose à propos des questions de racisme. Il y a ceux qui sont favorables à cet engagement et pour qui il n’est pas question qu’un sportif médiatique ne prenne pas la parole. Il doit le faire s’il est noir. Il doit le faire s’il est blanc. Il y a ceux qui sont contre. Les sportifs n’auraient pas la légitimité de s’exprimer, encore moins de militer. La question est un peu plus complexe que cela.

La parole des sportifs est-elle légitime ? Est-elle utile et peut-elle être efficace ? Sans aucun doute

Les exemples qui montrent le rôle important joué par des sportifs sur les causes, en général, pour faire tomber les barrières et abolir les frontières discriminantes, en particulier, sont multiples. Outre Atlantique, les célébrations de buts de Megan Rapinoe, puis le genou à terre de Colin Kaepernick, anti-Trump et en faveur de la diversité, sont repris dans le monde entier, sur les terrains et en dehors. Comme cela avait été le cas -même sans l’aide des réseaux sociaux - des poings levés de Tommie Smith et John Carlos en 1968 aux JO de Mexico. Pour rappel, l’Australien (blanc) Peter Norman qui partageait le podium s’était montré solidaire en arborant lui aussi le badge contre la ségrégation raciale.
Mais plusieurs Français ont également mené des actions au retentissement international. Amélie Mauresmo, qui a été numéro 1 mondiale, a ainsi fait avancer la cause homosexuelle avec son coming out en 1999. Elle a été une des premières femmes à entraîner des stars masculines. En 2009, elle juge "inacceptable" que les Israéliennes ne puissent participer au tournoi de Doha. D’autres tenniswomen lui emboîtent le pas, mettent la pression. Finalement, Dubaï accueillera Israéliennes et Israéliens à ses tournois.
Thierry Henry avec la campagne internationale des bracelets noirs et blancs Nike avait lui aussi donné une audience, et donc un coup d’accélérateur à la cause de la lutte contre le racisme. Ce que nous essayions d’exprimer à des centaines de militants de dizaines d’ONG de Football Against Racism In Europe depuis des années, a été écouté et entendu en quelques jours, grâce à quelques bracelets et à l’engagement d’un footballeur de classe mondiale, à tout point de vue.
Les footballeurs Abdeslam Ouaddou en 2008 et Prince Guano en 2019, pour ne citer qu’eux, ont réussi à dénoncer le racisme, là où arbitres, dirigeants, autorités avaient failli. Utiles, efficaces, les sportifs peuvent l’être, c’est sûr et certain. Ils ont un impact indéniable. Ce sont des rôle modèles. Ils ont une aura exceptionnelle. Mais : il y a des "mais".
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Amelie Mauresmo

Crédit: Eurosport

Il y a les empêcheurs, les détracteurs et les inquiets

La règle 50 de la charte olympique sur la neutralité des Jeux, rappelons-le, stipule que l’expression d’une opinion politique, religieuse ou raciale est interdite sur les sites olympiques. A juste titre, Global Athlete considère que c’est une "violation flagrante des droits de l’homme". La FIFA a, quant à elle, appelé les instances nationales au "bon sens", évoquant "le contexte entourant les événements" relatifs à la mort de George Floyd, mettant ainsi en exergue les fortes limites des lois du jeu approuvées par l’IFAB. Nombreux sont ceux qui reprochent aux sportifs de haut niveau et professionnels de prendre la parole, sur un sujet politique, sociétal, même humaniste. Ce sont parfois les mêmes d’ailleurs qui leur reprochent de ne pas s’exprimer sur des actualités.
Dès qu’une personnalité du show business s’exprime (Camélia Jordana, Jean-Marie Bigard dernièrement), tous les acteurs politiques sont en émoi. Dans une moindre mesure, les propos d’un Yannick Noah sur le manque d’expression des sportifs blancs ont certainement eu plus d’impact que ceux des associations antiracistes sur l’universalisme. Pour chaque chanteur, comédien, sportif qui s’exprime, ce sont tous les médias et le corps politique qui s’agitent. Alerte, réaction, surréaction souvent. Ne serait-ce le futur Coluche ou Beppe Grillo ? Bref, est-ce qu’il ou elle pourrait se présenter aux élections (seule question soi-disant intéressante).
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Yannick Noah lors du tournoi des Nations à Saint-Denis le 9 février 2020

Crédit: Getty Images

Quels sont les risques, notamment pour les athlètes ?

D’un côté, le fait que la voix des vedettes ou stars du spectacle compte plus, tout au moins qu’elle fasse plus de buzz aujourd‘hui que celle des chercheurs ou politiques est un véritable sujet, pas forcément rassurant. Elite bashing, parfois expert bashing, d’un côté, manque d’écoute et l’observation pourtant nécessaires du terrain, de l’autre. La fracture est indéniable, les risques de populisme également.
Les sportifs de haut niveau et professionnels peuvent permettre pourtant, comme d’autres personnalités, de réduire cette fracture dans le cas où leurs propos sont mesurés, et non surexploités. Parce qu’ils bénéficient d’estime, d’aura, et sont souvent capables d’empathie, ils suscitent l’adhésion. Et leurs admirateurs se sentent représentés par ceux qu’ils suivent sur les réseaux sociaux et sur les terrains. Parce que les athlètes savent ce que sont l’effort, l’abnégation, la détermination et l’atteinte d’objectifs, à court, moyen et long terme, parce qu’ils savent faire des sacrifices et des choix pour réaliser des performances, leur voix est effectivement légitime.
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Martin Fourcade

Crédit: Getty Images

Cependant, qui peut être expert en tout ?

Comme toutes les personnes particulièrement médiatisées, comme toutes les personnes ayant des adversaires, avec des intérêts d’état, d’équipes, de sponsors, dans des contextes de nationalisme, ou tout au moins de chauvinisme, partialité, ils sont surexposés et des cibles de violence, en particulier de cyberviolence. Leur moindre post, leur moindre mot sera débattu par des milliers, souvent des millions d’individus, non pas toujours en fonction du fond, mais de l’intention, de la performance sportive, de l’exposition. Face aux menaces, pressions, en tous genres, il faut être armé quand on est militant pour tenir le choc. Il faut l’être d’autant plus quand des intérêts d’état sont visés. Tout le monde n’est pas Martin Fourcade, capable de dénoncer le dopage de certaines équipes, de résister à des trolls, des invectives contre sa famille, tout en restant concentré sur ses performances.
Tout le monde n’a pas non plus l’aisance, l’éducation, la mesure de Kylian Mbappé. Mais est-il normal que les sportifs milliardaires ou millionnaires qui ont donné 10 000 € à des hôpitaux bénéficient de la même couverture, parfois davantage que des sportifs tels que les rugbymen Maxime Mbanda, Bakary Meité qui ont choisi respectivement d’être ambulancier ou agent d’entretien durant la crise sanitaire ?
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Kylian Mbappe

Crédit: Getty Images

Que demander ou que souhaiter ?

Aux commentateurs, l’on peut demander le discernement : discernement entre engagement et petit geste, entre militantisme et communication, voire washing, entre conviction et transmission de message de marques, de dirigeants ou autre entourage. Aux formateurs, l’on doit demander de former non pas des performers techniques, mais des citoyens : apporter l’éducation civique aux sportifs, les aider à se construire, à s’interroger sur le monde qui les entoure, à prendre la parole, à se protéger également. Leurs performances seront d’ailleurs forcément meilleures dans ce cadre.
Les sportifs, l’on peut les encourager à cette expression, évidemment légitime, dès lors qu’ils se sentent concernés, clairs avec les enjeux et protégés par rapport aux risques encourus. Et quand ils sont témoins de délits (de racisme ou toute autre discrimination par exemple) ou de crimes (en cas de violences sexuelles notamment), comme pour tout citoyen averti, il n’est plus question d’encouragement, mais de devoir de dénoncer. Et cela aussi, cela s’apprend.
  • Retrouvez ce jeudi à 19h00 notre émission Le Club sur Eurosport 1 pour un débat sur le Sport, l'environnement et le développement durable.
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