L'Espagne charge la France

En Espagne c'est sûr, les Guignols ne font rire personne. Surtout pas dans les ministères. Depuis la condamnation à deux ans de suspension pour dopage d'Alberto Contador (contrôle positif au clenbutérol) par le Tribunal arbitral du Sport (TAS),  l'émission phare de Canal + se régale en présentant les sportifs ibères comme des amateurs de la seringue et autres comprimés prohibés. En proie à une crise d'une ampleur inédite (le chômage frôle les 25%), les Espagnols n'apprécient pas du tout que l'on touche à une des principales sources d’unité du pays: les succès de ses sportifs.

Depuis lundi et la diffusion du premier sketch, dans lequel on pouvait voir Nadal faire le plein de sa voiture avec sa propre urine, les réactions d'indignation se succèdent donc de l'autre côté des Pyrénées. Menaces de plainte émanant des fédérations de tennis et de cyclisme contre la chaine cryptée, réunion du gouvernement sur le sujet, l'affaire n'en finit plus de déchainer les passions. Même le d'habitude si mesuré Rafael Nadal, qui devrait rencontrer à ce sujet le premier ministre Mariano Rajoy mardi, selon Marca, a dénoncé" une campagne contre l'Espagne en général", ce vendredi.

En première ligne dans cette affaire, la presse sportive espagnole n'a pas de mots assez forts pour dénoncer "la jalousie" des Français  vis-à-vis des exceptionnels résultats des sportifs ibérique. "Ce ne sont pas des marionnettes", s'indignait vendredi le journal sportif Marca sur sa "une", affichant les photos des champions espagnols de toutes disciplines sportives et consacrant pas moins de huit pages à "la guerre des Guignols".

Autre motif de leur courroux, un éditorial publié mercredi par le quotidien français Le Monde, intitulé "l'Espagne doit regarder le dopage en face". Le quotidien du soir avait déjà alimenté un ressentiment vif quand Yannick Noah avait évoqué la "potion magique" espagnole dans ses colonnes. A longueur de JT, les correspondants de presse français sont également invités à se justifier sur ses "crimes de lèse-champion".

Le ministre des Affaires étrangères Jose Manuel Garcia-Margallo a dénoncé jeudi des vidéos "d'un mauvais goût incroyable" et annoncé l'envoi d'une lettre au ministère français des Sports. L'ambassadeur de France a aussi dû s'expliquer dans les médias, louant les exploits des sportifs ibères. "Les Français regardent plus la Liga que la L1", a-t-il notamment expliqué afin d'apaiser les esprits.

Cependant, dans l'après-midi, la porte-parole du gouvernement, Soraya Saenz de Santamaria a affirmé que "du côté du gouvernement, bien sûr nous allons défendre l'authenticité des victoires de nos sportifs", car ces derniers "aident à faire ce qu'on appelle la marque Espagne". Elle a même assuré avoir le soutien des " autorités françaises" dans cette polémique.  "Cela fait longtemps que les Français n'ont pas gagné Roland Garros", a pour sa part ironisé le ministre des Sports, José Ignacio Wert. Facile.

"Les contrôles anti-dopages sont là et moi, cette année, j'en ai passé trois", s'est défendu Rafael Nadal, ce vendredi. "Avec beaucoup moins de ressources qu'eux (le "pays voisin", ndlr), nous avons réussi beaucoup plus dans les dernières années (...) Ce n'est pas une question de seringues ou de pilules, je peux  l'assurer". Le sextuple vainqueur de Roland-Garros va même jusqu'à demander à son gouvernement de défendre l'honneur du sport espagnol.  "Les institutions en général doivent nous protéger, parce que je crois que ce n'est pas une campagne contre moi, ni contre personne. C'est une campagne contre l'Espagne en général, et contre le sport espagnol", a-t-il ainsi affirmé à la télévision nationale espagnole. Alberto Contador a seulement communiqué une légère allusion, ce vendredi : "Retour au travail, au sacrifice et à l'entraînement dur. C'est notre seul secret."

"J'ai 15 litres de sang dans le frigo, et viva Espana!", s'époumone Nadal. "Je suis plus chargé que Jeannie Longo", chante Casillas, "On m'appelle le roi de l'EPO", entonne Gasol, tandis que Contador proclame "Je roule avec du sang de taureau, et viva Espana". Loin d'être impressionnés par les menaces et autres complaintes, les Guignols en ont encore rajouté une couche jeudi. A leur manière et de plus en plus fort. Vendredi, un courrier a été adressé  par l'ambassadeur d'Espagne en France au directeur de Canal+ "pour lui signifier (son) mécontentement". Canal + a jugé ces "réactions disproportionnées", rappelant que "les Guignols" sont "une émission satirique qui depuis 20 ans caricature l'actualité française et internationale". Petite trêve des hostilités ce vendredi, avec la diffusion d'un "best of" et non de l'habituelle émission quotidienne. L'émission de lundi sera donc suivie avec une attention toute particulière... Surtout chez les grands d'Espagne.