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Comment j’ai surmonté mon handicap pour devenir basketteur professionnel

Chris Otule

Mis à jour 26/11/2019 à 22:26 GMT+1

"Paroles d'exceptions", ce sont des histoires de sportifs qui ont un jour dû passer au-delà d’un obstacle, gagner un défi pour atteindre leur but et les sommets. Et ces histoires, ce sont eux qui les racontent le mieux. Chris Otule est aujourd’hui basketteur pro, à Antibes. Il ne voit pourtant que d’un œil depuis sa naissance. Et veut inspirer par son histoire hors du commun.

Chris Otule

Crédit: Imago

Mon nom est Chris Otule. J'ai 27 ans, je suis américano-nigérian et je joue pour les Sharks d’Antibes, en Pro A, depuis l’été dernier. Je suis devenu basketteur professionnel malgré un handicap de naissance. Je suis venu au monde en ne voyant que de l'œil droit. Ce n’est pas l’idéal au quotidien, mais c’est surtout rédhibitoire pour faire du sport sa profession.
Enfin, en théorie.
Je n’ai jamais cru que cet œil pouvait m’empêcher de faire ce que je voulais. Me voilà dans ma troisième saison au haut niveau. Et je veux faire de mon histoire un exemple pour que tout le monde refuse l’impossible, même si la nature ne nous fait pas de cadeau.
Je me souviendrai toujours de l’histoire que m’a raconté ma mère. A ma naissance, le docteur lui a dit : "On a de bonnes nouvelles et de mauvaises nouvelles.La mauvaise est qu’il a un glaucome et qu’il ne pourra voir que d’un œil. La bonne est qu’il voit parfaitement de son œil valide." Pas le genre de choses que tu veux entendre quand tu as un bébé. Les médecins ont aussi dit que, normalement, on devient aveugle avec cette maladie à la naissance. Mais pour une raison que j’ignore, elle n’a touché qu’un seul de mes yeux. Et je crois que tout arrive pour une raison.
Les deux images représentent la vue du terrain de basket de chaque oeil. Au milieu, ces deux images se superposent car le champ de vision des deux yeux se croisent et le cerveau fait de ces deux vues une synthèse parfaitement synchronisée.
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Vue de Chris Otule du terrain

Crédit: Eurosport

S'il fixe son regard pour voir la raquette adverse et le panier, Chris ne peut donc pas voir les coins du terrain.
Jusqu’à mes deux ou trois ans, l’œil qui voyait correctement était normal, l’autre était… c’est difficile à expliquer… juste brillant. On pouvait voir une forme mais ce n’était évidemment pas celle d'un œil. On ne peut subir d’opération pour corriger cela dès la naissance, et j’ai dû attendre quelque temps avec cette forme rose et brillante. La procédure que j’ai subie consiste à enlever l’œil de l’orbite, ce qui permet de mettre en place l’œil artificiel. Depuis, je dois porter cet œil artificiel, un œil de verre en somme.
Croyez-le ou non, mais je ne changerais rien à cet œil aujourd’hui parce que c’est ce que j’ai toujours connu. Alors que si j’en avais eu deux et perdu l’usage d’un, cela aurait été beaucoup plus compliqué. Je me suis juste adapté.
La première fois que j’ai senti que cela pouvait être un problème, c’est quand j’ai fait du sport. C’est la première fois que je me suis rendu compte que "Wow !", c’était sérieux. J’ai dû passer des tests médicaux, voir un docteur, me faire ausculter, etc. On m’a fait passer le test de vision et le docteur m’a demandé de lire les lettres au mur. Je l’ai fait avec mon œil fonctionnel et pour l’autre, je lui ai simplement dit "je ne peux pas".
Qu’est-ce que vous voulez dire par là ? Vous devez lire ça !
Il me disait : "Vous ne voyez rien d’un œil et vous voulez faire du sport ?" Je savais que ce serait difficile, mais j’ai parlé à d’autres docteurs, passé de nouveaux examens et j’ai finalement pu faire du sport. Les médecins m’ont autorisé la pratique des sports de contact à la condition de porter des lunettes de protection.
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Chris Otule avec les Sharls d'Antibes

Crédit: Eurosport

J’ai commencé par le football américain, mais c’était vraiment un sport difficile. Je jouais tight end, un poste qui demande à la fois de bloquer son adversaire mais aussi de rattraper la balle lancée par le quarterback. Cela demandait beaucoup de coordination et je n’en avais pas à cette époque, notamment à cause de mon oeil. J’étais beaucoup plus grand que les autres, je me faisais donc pas mal bousculer. On m’a fait changer de poste pour devenir lineman dont le rôle principal est de pousser les joueurs adverses et les empêcher de gêner le quarterback. Je ne voulais pas faire ça. Pousser, bloquer, encore et encore.
Alors je suis passé au basket.
C’était un choix périlleux parce que c’est un sport qui demande encore plus de coordination que le football américain. La transition a été rude, il m’a fallu près de deux ans pour la réussir vraiment. Je grandissais à une telle vitesse (NDLR : Chris fait aujourd’hui 2,11m) que j’ai compris que c’est ce que je voulais faire de ma vie. J’étais tellement déterminé à être bon dans un sport, même en ne voyant que d’un œil.
Je ne voulais surtout pas que ce soit aux autres de s’adapter à moi
Personne ne m’a jamais proposé d’ateliers particuliers à l’entraînement pour travailler cette spécificité. Je devais faire ce que tout le monde faisait. C’était à moi de m’adapter et cela a porté ses fruits. Je ne voulais surtout pas que ce soit aux autres de s’adapter à moi. J’aime devoir m’adapter comme si je voyais des deux yeux. Comme n’importe quel joueur finalement. Je n'ai jamais fait tout un plat de mon handicap. D’ailleurs, le coach de l’université de Marquette (NDLR : située à Milwaukee dans le Wisconsin, au Nord des Etats-Unis), Buzz Williams, ne savait pas que je n’avais qu’un seul œil quand il m’a recruté pour rejoindre son équipe. Il en a été le premier surpris ! Je ne l’ai jamais caché, c’est simplement que je ne fais pas grand cas de mon œil, car ce n’est pas un problème pour moi.
Vous pouvez laisser des commentaires sur ce live Facebook, Chris Otule répondra à vos questions.
Et pourtant, jouer à Marquette demandait d’être à fond tout le temps. Cela peut paraître étrange mais le plus difficile n’a pas été de m’adapter avec mon œil mais tout le reste sur le plan basket. Quand tu arrives à l’université pour la première fois, tu es "freshman" (joueur de première année universitaire), tu as à peine 18 ans et tu es entouré de tous ces joueurs déjà là depuis une ou plusieurs années qui savent jouer et sont prêts pour ça. Courir, soulever de la fonte… Physiquement, je ne pouvais pas suivre. Et c’est ce qui m’a le plus inquiété, pas mon œil. De toute façon, je ne pouvais pas rentrer dans un match en me demandant "et si quelque chose de grave se passait avec mon œil ?". Ce serait resté dans ma tête sur le terrain et m'aurait complètement sorti des rencontres.
J’ai travaillé pour que personne ne puisse me dire que mes yeux sont une faiblesse
Je me suis juste accroché et j’ai réussi à être à la hauteur. J’essaie toujours de travailler aussi dur que possible sur mon jeu, la finition main gauche, main droite… Toutes ces choses qu'un intérieur doit faire et qui ne doivent pas être considérées comme un point faible. Pour que personne ne puisse me dire que mes yeux sont une faiblesse. Et je n’ai laissé personne me prendre en pitié pour mon handicap, même parmi mes coéquipiers les plus prestigieux. J’ai joué avec de très bons joueurs, très exigeants comme Jimmy Butler (Chicago Bulls), Wesley Matthews (Dallas Mavericks), Jae Crowder (Boston Celtics) et d’autres joueurs qui ont de belles carrières ailleurs comme Darius Johnson-Odom (Vanoli Cremona / Italie) ou Dwight Buycks (Fujian Sturgeons / Chine, MVP de Pro A avec Gravelines-Dunkerque en 2013). Quelques fois, je m’amusais à enlever mon œil et à leur montrer pour blaguer. Et ils pétaient un câble, prenaient peur ou étaient un peu choqués. Je faisais ça à un moment complètement inattendu, j’avais juste à me détendre, enlever mon œil de verre, le poser sur mon casier et voir leur réaction.
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Wes Matthews, Jae Crowder et Jimmy Butler, anciens coéquipiers de Chris Otule à Marquette

Crédit: Eurosport

C’est à cette période que mon histoire a commencé à être connue aux Etats-Unis. Lors de ma dernière année à Marquette en 2014, le quotidien américain USA Today m’a consacré un article pour évoquer les différentes difficultés que j’avais connues durant mon cursus, entre mon œil, bien sûr et mes sérieuses blessures (NDLR : Chris a subi trois graves blessures à la fac, deux fractures du pied et une rupture des ligaments croisés du genou gauche). Les gens ont surtout retenu que je ne voyais que d’un œil car, hormis mes coéquipiers, peu de gens connaissaient réellement mon handicap.
Beaucoup de gens m’ont contacté depuis que je suis passé par l’université. Au fur et à mesure, j’ai pris conscience que c’était une bonne chose d’en parler, simplement parce que cela peut inspirer d’autres personnes à se battre pour croire en leur rêve malgré les circonstances. Cela peut concerner un autre problème physique, les gens peuvent facilement se retrouver dans mon histoire.
(Crédit photo : Romain ROBINI)
Aujourd’hui, mon œil de verre est une vraie bénédiction
Je me suis rendu compte que je devais en parler à chaque fois que l’occasion se présentait parce que cela pourrait toucher quelqu’un. J’espère avoir de nouveaux retours ici en Europe, après ceux venant des Etats-Unis. Ce serait super !
Aujourd'hui, mon œil est une véritable bénédiction. Je suis heureux, et très reconnaissant. C’est toujours un plaisir de recevoir des mails ou des textos qui me disent que mon parcours a pu aider. J’apprécie vraiment le retour que j’ai des gens par rapport à mon histoire. C’est une vraie source de motivation, j’y pense avant chaque match. Je pense à jouer à mon maximum, pas seulement pour mes coéquipiers mais aussi pour les gens qui vivent la même situation que moi. Ce serait injuste de dire aux gens qu’ils peuvent être ce qu’ils veulent vraiment être et ne pas tout donner sur le parquet. Il faut l’assumer.
Ma foi m’aide aussi en cela. Je crois beaucoup, ma foi en Dieu est immense. Je dois cela à ma mère, à mes deux parents en fait. Cela a commencé très jeune et cela n’a fait que grandir à mesure des années. C’est pour cela que je dis que tout vient pour une raison, que je suis sur Terre pour inspirer les gens par mon histoire.
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Chris Otule (Antibes) au duel avec Bangaly Fofana contre Monaco en 2016/2017

Crédit: Panoramic

Désormais, j’ai une fin de saison passionnante à venir avec les Sharks. J’aime la France et j’aimerais rester ici et aider les gens mais on ne sait pas ce de quoi demain est fait dans le sport pro, et où je jouerai. En revanche, je suis certain qu’avant de me recruter, les équipes se posent des questions comme "ce gars n’a qu’un œil…". Mais la plupart du temps, elles se concentrent sur le basket et tout ce qu’elles voient, c’est que je sais jouer. Si une équipe me dit qu’elle ne veut pas me signer parce que je ne vois que d’un œil, ce serait ridicule.
Le basket, mon œil… C’est presque toute ma vie. D’ailleurs, j’ai même déjà pensé créer une fondation ou donner à une fondation qui existe déjà, qui aide les gens vivant la même situation que moi. C’est clairement quelque chose que je veux faire, et que je vais faire. Je dois juste continuer ainsi, rester en bonne santé, en bonne forme le plus longtemps possible et faire durer ma carrière encore de nombreuses années. Et si je n’y parviens pas, alors je lancerai ma fondation. Je m’adapterai à nouveau.
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