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Mascotte, ballet, M&M'S : aux origines de Perrine Laffont et d'une famille de "bosseurs"

Julien Chesnais

Mis à jour 04/02/2021 à 17:42 GMT+1

Derrière Perrine Laffont se trouve une famille vouée corps et âme au ski de bosses, du père précurseur dans les Pyrénées à la maman dirigeante de club aux Monts d’Olmes, en passant par le grand frère. Récit d’une passion familiale qui a débuté bien avant la naissance de la championne olympique, en lice jeudi et samedi en coupe du monde à Deer Valley.

Perrine Laffont.

Crédit: Getty Images

A l’heure de mettre Perrine Laffont sur les skis, un problème de taille s’est présenté. Pas moyen de trouver chaussure à son pied. "Elle n’avait qu’un an, on ne trouvait pas de modèle suffisamment petit, raconte sa mère, Dominique Huillet. Alors, on lui mettait des semelles et trois paires de chaussettes pour ne pas qu'elles perdent les chaussures. C’est comme ça qu’elle a passé sa première saison sur les pistes. Avant l’hiver, on la faisait se déplacer dans l’appartement avec les skis au pied. C’était notre façon à nous de lui montrer que ça allait être quelque chose de facile."
Chez les Laffont, ce baptême à skis en intérieur, entre table du salon et télévision, est presque une tradition. Grégory, son grand frère, plus âgé de 16 ans, l'a vécu en premier, dans ce même appartement des Monts d'Olmes. Il se souvient aussi des escapades dans le jardin à Niaux, le village du paternel, dans la vallée, ou sur la place municipale lorsque tombaient les premiers flocons. "Ça m'éclatait. Dès qu’il neigeait, je chaussais les skis pour aller marcher et sauter partout."
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Perrine Laffont, enfant, avec son papa et sa maman. (DR)

Crédit: DR

Récemment, c'est Clarisse qui a eu droit au rite initiatique. En maître de cérémonie pour la fille de Grégory, 3 ans et demi, sa marraine de championne olympique. Perrine. "C’était dans mon appartement en Savoie, relate l’ingénieur en aéronautique reconverti directeur d'exploitation des stations de ski de la Norma et Valfréjus. Et on a commencé à lui faire découvrir le ski de bosses. 'Allez, tu plies les genoux, là tu pousses !' On la prenait pour faire des backflip partout dans l’appart. C’était du délire."
Pour mieux comprendre cette passion familiale du ski, des bosses et plus généralement du freestyle, il faut remonter une soixantaine d'années plus tôt, dans en Ariège, d’où est issu Jean-Jacques, le papa, né en 1952. Ses propres parents étaients skieurs, eux aussi. "Ils s'occupaient d’un club à Auzat, révèle-t-il. Mon père était président, ma mère secrétaire." A l’époque, il n’est encore question que d’alpin. Mais Jean-Jacques se prend à "faire des figures", expérimenter des "petits trucs", comme le "virage royal", "qui consiste à soulever le ski extérieur et skier sur le ski intérieur." Germe en lui l’envie de glisser autrement. Les Alpes lui montreront comment.
En 1972, il quitte ses Pyrénées natales pour passer son diplôme d’état de moniteur de ski, à Chamonix, et s’établit à l’Alpe d’Huez pour donner des cours. Il côtoie Michel Vachez, l’inventeur de la méthode du ski évolutif, et fait la rencontre d’Henri Authier, le "pionnier" du ski acrobatique en France, qu’on appelle alors "ski artistique", une discipline qu’il vient d’importer des Etats-Unis. Les sports alternatifs sont à la mode. Jean-Jacques prend la vague. "Chaque été, je filais une semaine en stage avec Henri Authier à Tignes. C'était ski le matin sur le glacier et water-jump dans le lac pour travailler les figures." Il prend part aux compétitions naissantes. "Je faisais des Coupe d’Europe, en France, Italie et Allemagne. Je terminais souvent vers la 12e place."
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Perrine Laffont à Park City le 6 février 2020

Crédit: Getty Images

Pionnier dans les Pyrénées

Puis en 1979, fatigué de faire la navette entre Alpes et Pyrénées - où il rentrait en été pour travailler dans la filature de son père - et après avoir passé près de quatre ans à l’armée, dans le 93e régiment d’artillerie de montagne de Grenoble, il finit par rentrer au bercail. "Il fallait que je me pose un peu. Et j’avais l’entreprise de mon père à reprendre." Dans ses bagages, il ramène le ski acrobatique et tout le savoir-faire acquis dans les Alpes. Il se fait une mission de le diffuser auprès de la jeunesse pyrénéenne.
Les Monts d'Olmes, une petite station familiale, à deux pas de Lavelanet, s’imposent comme son prêchoir. Pourquoi ici plutôt qu’à Auzat, sa station d’origine ? "Parce que mon copain Michel Ibarz venait des Monts d'Olmes, assure-t-il. C’était pour ne pas être seul. A plusieurs, c’est quand même mieux ! Notre section de ski artistique faisait partie du club de ski. Mais on s’en est vite séparé pour fonctionner en autonomie dès le début des années 80." Ainsi naquit le Boss Club des Monts d’Olmes. Le premier club de ski artistique dans les Pyrénées. Celui de la future championne olympique, sa fille, Perrine Laffont.
Né en 1982, Grégory est l’un des premiers licenciés. Il se souvient des démonstrations nocturnes que réalisaient Jean-Jacques et ses complices, les regards émerveillés des touristes devant cette étrange pratique : le ballet. "Les gens trouvaient ça super chouettes. Parfois, mon père, ils l’appelaient monsieur l’artiste." Le ballet, c’était l’équivalent du patinage artistique sur des skis, l’une des trois disciplines d'origine du ski artistique avec le saut et les bosses. "On était sur une pente très douce, de façon à pouvoir glisser et évoluer en faisant des figures très acrobatiques, décrit Jean-Jacques. Ça demandait beaucoup de qualités. Il fallait être mélomane, très souple et dynamique. Mais aussi être un excellent skieur. Sinon, ce n’était même pas la peine d’y penser." Mais faute de pratiquants, le ballet a fini par disparaître, juste après les JO d’Albertville, le Français Fabrice Becker restant le dernier champion olympique de la discipline.

La "folie" Grospiron

13 février 1992. Edgar Grospiron devient champion olympique. Jean-Jacques et Grégory sont sur place, à Tignes, en ce premier jour saint de l’histoire du ski de bosses français, 26 ans avant le sacre de Perrine. Ils sont montés spécialement des Pyrénées, pour cette course et la descente féminine de ski alpin à Méribel. "C’était magique, j’ai encore les images dans la tête, s’émerveille encore Grégory. On avait gravi toute la piste à pied pour voir le parcours, on n’avait rien raté des qualifications à la finale. Il neigeait comme le poing. C’était noir de monde : quand je revois la vidéo, ça me paraît toujours aussi démesuré."
Le Boss Club des Monts d'Olmes n’échappe pas à l’effet Grospiron, qui se fait alors partout sentir dans les stations. Les bosses passent de marginales à tendance. "Après Albertville, on n’avait plus aucun mal à convaincre les jeunes de nous rejoindre, se souvient Grégory, qui deviendra un compétiteur de niveau national, 7e d'une Coupe de France, avant de devenir entraîneur et major de promotion à l’ENSA quand il passe son monitorat de ski. C'était la folie. Même les parents qui emmenaient leurs gamins au club finissaient par vouloir faire des bosses !"
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Perrine Laffont et son grande frère, Grégory. (DR)

Crédit: DR

Dominique Huillet, originaire de Lavelanet, au pied des Monts d'Olmes, fait partie de cette nouvelle vague. "Je suis arrivée au club à ce moment-là et c’est comme ça que j’ai rencontré Jean-Jacques, explique-t-elle. Mais n’étant pas particulièrement douée, j’ai fini par bifurquer vers l’administratif !" Au papa entraîneur s'ajoute donc une maman présidente lorsque Perrine vient au monde le 28 octobre 1998, à Lavelanet.
Sa naissance coincide avec un virage important pour le club. "On s’est rendu compte que les jeunes arrivaient chez nous vers 12-13 ans avec des défauts liés à leur formation en ski alpin, explique Dominique. C’était difficile de les faire évoluer dans le ski de bosses, qui est une discipline demandait des compétences bien spécifiques. On a donc lancé une école de jeunes pour nous permettrerde les accueillir bien plus tôt, dès l’âge de 7 ans. Et là, ça a créé un grand boom. D’une vingtaine de pratiquants, on est monté jusqu’à 45-50 jeunes."
Tous les week-ends ou presque, les dirigeants emmènent le groupe dans les Alpes pour se frotter aux meilleurs, heures interminables dans le bus à faire faire les devoirs aux gamins. "Comme j’étais très investi dans le club, Perrine me suivait partout sur les courses. C’était la mascotte, sourit Dominique. Elle devait avoir 6 mois lorsqu’elle a assisté à sa première course, à Isola 2000. Elle venait à tous les stages durant l’été. On la laissait chez la nounou quand je devais assurer la logistique sur les glaciers."
Perrine, la petite dernière chez les "bosseurs", comme on aime parfois appeler la famille, devient vite une attraction aux Monts d’Olmes, station “très authentique” avec son unique télésiége et quatre remontées techniques. "Elle avait déjà un toucher de neige exceptionnel, se souvient Dominique. Tout le monde le disait à la station. Elle prenait des remontées mécaniques que personne n’utilisait à son âge. A 4 ans elle faisait du freeride, du ski dans la poudre. Bon, après, j’avais des petites techniques pour l’encourager : ma boite de M&M'S était prête après chaque descente."
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Perrine Laffont enfant. (DR)

Crédit: DR

Papa préparait encore les skis à Pyeongchang

C’est à 10 ans qu’elle se fait "repérer" au niveau national, alors qu’elle fait partie des "microbes", un groupe d’une dizaine de filles de son âge au sein du club. "On avait organisé deux Coupes de France aux Monts d’Olmes. Perrine et d’autres jeunes ont eu l’opportunité de courir pour montrer ce qu’ils savaient faire. C’est là que les coaches des Alpes l’ont reperée. Là où tout s’est accéléré." Dans la foulée, Perrine devient vice-championne de France dans sa catégorie, intègre le sport-études du collège Ax-les-Termes où elle poursuit pendant deux ans une formation dans l’alpin avant de se focaliser sur les bosses et gravir à vitesse folle les échelons, au point d'être la plus jeune membre de la délégation tricolore aux JO de Sotchi (15 ans).
Jusqu'au bac, elle reste basée dans les Pyrénées. A cheval entre le cocon familial des Monts d'Olmes, le pôle espoirs de Font-Romeu - où elle est encadrée par Silvan Palazot, qui a participé aux JO de Turin en 2006 - et les convocations en équipe de France, dès 2013, qui l’obligent à d'incessants allers-retours dans les Alpes. "Ça a été compliqué à gérer pour elle, raconte Dominique. Elle rentrait à 2h du matin des compétitions pour être en cours le lendemain matin. Quand Ludovic Didier (son entraîneur actuel en équipe de France) a commencé à l’entraîner, Perrine avait 14 ans, prendre l'avion toute seule n'était pas forcément possible. Le train non plus, vu les skis et les grosses valises à transporter." Jean-Jacques et Dominique (qui est comptable) ne pouvant pas toujours se libérer de leur travail, les grand-parents s’occupent donc des trajets de Perrine. "Toute la famille était mise à contribution."
Jean-Jacques a continué à préparer ses skis jusqu’à l’an dernier. À Pyeongchang, ceux sur lesquels Perinne a été sacrée championne olympique ont été poncés de ses mains. "A l’occasion, il entraîne encore les plus jeunes du club, décrit Dominique. Je suis maintenant vice-présidente. Il y a toujours un investissement, mais de manière un petit peu plus éloignée, car il faut quand même s’occuper de Perrine." Celle-ci habite désormais à Annecy, où elle suit des études en technique de commercialisation.
Les Monts d'Olmes restent son fief, elle en est l’ambassadrice. Chaque printemps, la double championne du monde et double tenante du titre du gros globe anime la journée "Perrine Laffont", dédiée à promouvoir la station, le ski de bosses, mais aussi le sport féminin et la lutte contre le réchauffement climatique. Vivre dans les Alpes lui permet de voir régulièrement Grégory. La Norma n’est qu’à 1h30 de route d’Annecy. "Perrine était présente pour les premières glissades de Clarisse, rapporte le grand frère, qui a par ailleurs organisé les premières compétitions de ski de bosse à la Norma en 2019. La passion n’est pas prête de s'éteindre dans la famille."
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Perrine Laffont avec le drapeau tricolore après son sacre olympique en ski de bosses à Pyeongchang

Crédit: Getty Images

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