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Débat : Pour ou contre la fin des matches en trois sets gagnants ?

Eurosport
ParEurosport

Mis à jour 19/11/2020 à 11:17 GMT+1

En remettant sur le tapis son souhait de voir disparaître le format en trois sets gagnants, y compris dans les tournois du Grand Chelem, Novak Djokovic a relancé un débat qui agite le tennis depuis plusieurs années : faut-il raccourcir les matches, notamment pour conquérir un nouveau public ? Une question brûlante. Alexandre Coiquil et Laurent Vergne s'y frottent. Et ils ne sont pas d'accord.

Melbourne, 2012 : La monumentale finale entre Djokovic et Nadal.

Crédit: Getty Images

Pour : "Le tennis ne doit pas penser qu'à son passé"

Alexandre Coiquil
Le grand méchant Djokovic a osé parler d'une révolution pour le format des matches en Grand Chelem chez les messieurs. On lui tombe dessus. Je trouve ça injuste sur le fond et la forme. Novak Djokovic a juste donné son avis en répondant à une question. La première interrogation de sa conférence de presse s'est portée sur le tennis de demain, un sujet dont il parle souvent. Pourquoi Djokovic ? Parce qu'il est pertinent sur le sujet. Il ouvre des portes que d'autres n'osent ouvrir.
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Le n°1 mondial n'a jamais crié au changement tout haut et tout fort. Il a seulement répété un avis qu'il défend depuis un moment. Il avait déjà tenu ces propos en 2018. Il pense avenir, au lieu de constamment regarder dans ses rétroviseurs. Il part d'un principe simple et se pose plusieurs questions : quel sport va-t-on proposer dans le futur ? Les joueurs sont-ils des robots capables de supporter toute une saison avec des formats différents sans en payer le prix ? Quel public va regarder le tennis demain quand certains joueurs ne seront plus là ?
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Djokovic et Nadal épuisés après la finale de l'Open d'Australie 2012, longue de cinq heures et cinquante-trois minutes.

Crédit: Getty Images

Patrick Mouratoglou s'est posé les mêmes questions, il y a quelques mois. Et sur une idée de base originale, il a créé un nouveau format de tournoi. Son UTS faisait un peu jeu vidéo sur certains aspects, était quelque fois peu lisible pour le spectateur, mais on a vu du bon tennis dans un laps de temps donné. Les joueurs ont apprécié, jeunes et moins jeunes. Changer les règles ne change pas forcément le fond.

Le Serbe a utilisé deux mots importants : "produit" et "adaptation". Le tennis professionnel est bien un produit. Mais il ne se savoure pas comme avant, car notre capacité d'attention est réduite. Nous sommes, pour une grande majorité, connectés. Notre degré d'attention à une rencontre sportive n'est plus la même et, quel que soit le sport, nous aimons varier les plaisirs à côté. Djokovic a juste ciblé que ses habitudes avaient changé, et celles des nouvelles générations aussi, surtout en 2020 où le numérique a pris une place plus que jamais centrale.
C'est son constat : le public - et surtout le monde - ont évolué, et le tennis doit s'adapter sous peine de désintérêt. Son idée n'est pas d'effacer l'histoire, ni la renier, c'est d'adapter un sport aux temps modernes. La meilleure des méthodes c'est aussi le test. L'ATP en a fait une batterie en mettant en place le Masters NextGen en 2017 pour préparer demain. Trois années après, le monde a vécu une pandémie. Certaines nouveautés sont tombées à pic (robot call, serviettes à aller chercher soi-même). Tester, c'est prévoir. Prévoir, c'est anticiper. Anticiper, c'est faire preuve d'intelligence. Djokovic le sait et le comprend.

L'autre grand enjeu de ce qu'a dit le Serbe sur le format des matches en Majeurs concerne les carrières des joueurs et leur corps, qui est leur outil de travail. Quelle sera la durée de carrière des joueurs en combinant des longueurs de matches différentes ? Personne n'est en mesure de dire si la prochaine génération va être aussi forte physiquement que les trois joueurs références du XXIe siècle, plus quelques autres.
Leurs rivaux ont en tout cas rendu les armes à 35-36 ans, usés et détruits. Juan Martin del Potro, Andy Murray et d'autres ont eux payé très cher la longévité et la répétition des efforts à haute intensité avant même d'atteindre cet âge. Il est aussi le temps de faire ce constat : le tennis est un sport violent. Jouer au meilleur des cinq manches, c'est aussi réaliser des efforts fractionnés, que ce soit entre deux matches en Grand Chelem, puis entre deux tournois. Pendant plusieurs années. On appelle ça ronger son corps. Le tennis ne doit pas s'embourber et ne penser qu'à son passé. Il doit regarder droit devant lui et penser à l'après.
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Juan Martín del Potro

Crédit: Getty Images

Contre : "Un crime contre le tennis"

Laurent Vergne
Ecartons d'abord un argument qui n'a rien à faire là et que sous-entend Alexandre d'entrée (le grand méchant Djokovic). On tomberait sur Novak Djokovic non pas pour ce qu'il pense mais pour ce qu'il est : Novak Djokovic. L'idée du "Djokovic a dit ceci et vous êtes contre parce que c'est lui qui le dit". C'est déjà une façon de dénaturer ce débat.
Il faut au contraire reconnaître au numéro un mondial, sur ce sujet comme sur d'autres, d'afficher ses opinions et de s'y tenir. D'autant qu'il sait probablement que sur ce point, il sera loin de faire l'unanimité. Djokovic a tout à fait le droit de croire que le format en trois sets gagnants n'est pas l'avenir du tennis (même s'il en a été un grand bénéficiaire) et, si sa voix porte plus fort et plus loin que d'autres de par son statut, il n'est d'ailleurs pas le seul à penser cela.
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Di Pasquale : "S'attaquer au format des 5 sets en Grand Chelem, c'est n'importe quoi"

Ceci étant dit, je pense que dans l'insupportable concours Lépine de la nouvelle règle ou de la nouvelle fausse bonne idée qui agite le tennis depuis quelques années pour sauver un sport prétendument en danger de mort, nous touchons là à une ligne rouge. Ecarlate, même.
Au fond, pourquoi remettre aujourd'hui sur le tapis la suppression du format trois sets gagnants ? Parce que l'expérimentation des sets en quatre jeux, autre alternative, a fait un fiasco lors du Masters Next Gen. Les joueurs y ayant goûté n'ont, dans leur immense majorité, pas été emballés. Mais l'obsession du raccourcissement à tout prix, elle, demeure. Conséquence, le nouveau coupable, le nouveau diable à combattre, c'est le format cinq sets. Même en Grand Chelem, il faudrait l'éradiquer. Ce serait, et je pèse le mot, un crime contre le tennis.
La distance des cinq sets est celle qui sépare les joueurs moyens des bons joueurs, les bons des très bons, les très bons des grands et les grands des immenses champions. Supprimez-la, et vous dévalorisez une victoire en Grand Chelem. Ni plus ni moins. N'importe qui ne se mettra pas à gagner un Majeur du jour au lendemain (n'importe qui ne gagne pas un Masters 1000), mais d'une poignée de vainqueurs potentiels, vous élargirez dangereusement le spectre des prétendants. Oui, un titre en Grand Chelem doit rester réservé à l'élite, à la crème de la crème. Oui, c'est un format terriblement exigeant, physiquement et mentalement. Mais le tennis l'est, doit le rester et c'est précisément dans ces conditions que les vrais, grands champions se révèlent et que les autres y touchent leurs limites.
Battre Djokovic, Nadal ou Federer en deux sets gagnants, à défaut d'être à la portée de tout le monde, constitue un défi possible pour beaucoup de joueurs. En trois, c'est autre chose. Ce set supplémentaire d'efforts, de concentration, de lutte, change tout. Battre Nadal sur terre battue en deux sets gagnants, c'est très compliqué. Le terrasser en trois, c'est quasiment impossible. Cette différence-là n'est pas neutre, et il faut la préserver, pour sanctuariser la nature de la performance et de l'exploit tennistiques. Aller contre cela, c'est changer la nature de ce sport.
Les arguments avancés ne sont pas plus convaincants. Les jeunes ne seraient plus capables d'être concentrés pendant trois ou quatre heures devant un même spectacle. Ils se sauraient plus attendre, auraient perdu le goût de l'ennui, pourtant si précieux pour apprécier le reste. Dans un excellent papier de notre collègue Rémi Bourrières, Gilles Simon disait ceci il y a un an : "Bientôt, on va nous demander de jouer en 40 minutes, comme une série télé, au motif que 'les jeunes ne peuvent plus rester 3h devant la télé.' Mais le spectateur, soit tu cèdes à son caprice, soit tu l'éduques. Nous, ça fait un bon moment qu'on a choisi de céder à son caprice. Et ça devient le cirque, à tous les niveaux." Il a tout dit. La culture du "tout, tout de suite" est un des drames de nos sociétés et le tennis a la tentation d'y céder.
Reste l'autre argument, celui de la préservation de la santé des joueurs. Mais beaucoup a déjà été fait. Les matches en trois sets gagnants ont disparu avec la Coupe Davis, et avaient déjà été éradiqués des finales de Masters 1000, et même de celle du Masters, quitte à affaiblir la force évocatrice et le prestige de ce dernier (était-il vraiment impossible de jouer deux sets de plus sur l'ultime match de l'année ?). Seul le Grand Chelem conserve ce format. Pitié, n'y touchons pas. En envisageant de supprimer le format cinq sets, on joue avec de l'huile au-dessus d'un brasier. Car le tennis n'a aucune garantie d'y gagner de nouveaux aficionados. Il a en revanche la garantie de perdre l'immense partie de ceux qui l'aiment. En tout cas, ce sera sans moi.
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Djokovic veut faire bouger les lignes : "Il faut s’adapter à la nouvelle génération"

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