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Indoor toujours plus lent, balles toujours plus lourdes : et si les joueurs disaient stop ?

Maxime Battistella

Mis à jour 12/10/2022 à 09:27 GMT+2

Depuis le début de l'automne sur indoor, la tendance générale au ralentissement des surfaces et/ou à l'utilisation de balles plus lourdes semble être encore plus nette. A tel point que certains joueurs, et non des moindres, commencent à s'en plaindre. Car ces conditions de jeu provoquent des dégâts sur le plan physique et posent un problème de cohérence quant à la nature du jeu. Explications.

Novak Djokovic à la Laver Cup en 2022 à Londres

Crédit: Getty Images

De la Moselle au Kazakhstan en passant par l'O2 Arena de Londres, le constat est le même. On n'a peut-être jamais vu autant d'échanges de 15, 20 ou 30 frappes sur dur indoor. Traditionnellement temple de la vitesse, royaume des grands canonniers, serveurs-volleyeurs et autres attaquants de fond de court, la surface a suivi ces dernières années la tendance de l'uniformisation, à de rares exceptions près comme les éditions 2010 et 2011 du Masters 1000 de Paris-Bercy. Mais cette année, l'impression visuelle a quelque chose d'extrême.
Au bord du court, lors de la Laver Cup, l'ancien joueur et consultant britannique Tim Henman a été frappé par la lenteur de la balle après rebond, tandis que son homologue français Fabrice Santoro a souligné les efforts déployés par les joueurs pour la faire avancer. Alors que la saison approche de sa fin et que les organismes sont logiquement éprouvés, les risques de blessures s'en trouvent accrus. Et ce sont les principaux acteurs qui le font désormais remarquer.

Djokovic : "Il faut utiliser le même type de tactique que sur terre battue"

Novak Djokovic est lui-même monté au créneau après son premier entraînement à Nur-Sultan la semaine dernière. "C'est difficile d'avancer dans le court ici. Il faut utiliser le même type de tactique que sur terre battue pour construire les points. Ça va être beaucoup plus physique." Un avis partagé par Carlos Alcaraz, sorti d'entrée au Kazakhstan, qui avait déploré son incapacité à s'adapter à la lenteur de la surface. Et s'il a triomphé dans cet Astana Open, les faits ont malheureusement légitimé les inquiétudes de Djokovic : alors que la bataille était féroce en demi-finale, son adversaire Daniil Medvedev a dû jeter l'éponge avant le troisième set, touché aux ischio-jambiers.
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A Tokyo, Nick Kyrgios s'est lui retiré avant son quart de finale, à cause de son genou. A Gijon encore cette semaine, Constant Lestienne a bénéficié de l'abandon en fin de deuxième set de Sebastian Baez, incapable de marcher. Mais pourquoi donc ce dur indoor lent est-il si problématique ? "Une surface se définit par deux grands paramètres qui sont sa rigidité et son adhérence. Le pire du pire physiquement, c'est quand c'est très rigide et ça accroche beaucoup. La terre battue et l'herbe sont beaucoup moins traumatisantes parce que la glissance est très élevée et que ce n'est pas très rigide", nous explique en préambule Jean-Bernard Fabre, docteur en physiologie.

Problèmes articulaires, musculaires et fatigue nerveuse : une longue liste de dégâts

Avant d'entrer davantage dans les détails quant aux parties du corps sollicitées, ou plutôt sur-sollicitées. "Quand on se déplace sur ces surfaces, le corps agit comme un système absorbant des chocs et des vibrations : ça commence par le pied, la cheville, le genou et ça va remonter au niveau des hanches et du dos, notamment toute la partie du rachis lombaire. Un dur indoor très abrasif augmente la friction dans la chaussure. Le pied est la dernière interface entre le sol et le reste du corps, il est donc mis à rude épreuve notamment quand la friction augmente."
A ces problèmes articulaires, s'ajoutent des soucis d'ordre musculaire car la contraction des muscles est plus abrupte dans ces conditions de jeu. Sans compter d'autres conséquences moins connues, comme la fatigue nerveuse. Si ces surfaces en dur indoor sont de plus en plus lentes, c'est avant tout parce qu'elles accrochent de plus en plus. Pour ne pas ajouter du mal au mal, les fabricants ont ainsi atténué leur rigidité. Mais une autre tendance - également vue à Wimbledon ces dernières années - se révèle tout aussi néfaste : l'utilisation de balles de plus en plus lourdes. Avec toujours le même objectif : ralentir le jeu pour allonger les échanges.
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Là encore, le prix à payer physiquement est potentiellement très lourd. "Quand le cordage vient taper dans la balle, il y a un système avec deux énergies qui se rencontrent : celle générée par le joueur avec sa raquette et celle de la balle qui arrive. Il y a donc collision. L'énergie de la balle dépend de sa vitesse et de sa masse. Donc plus la balle est lourde, plus il y a d'énergie, plus le joueur va devoir serrer fort sa raquette pour la tenir au moment du choc. Mécaniquement, il va y avoir des contraintes musculaires beaucoup plus fortes. Et ça, c'est un problème, notamment sur les petits muscles du poignet", analyse encore notre docteur en physiologie.

Une trahison de la nature même de l'indoor

Le problème s'accentue encore pour les joueurs qui impriment beaucoup d'effets. Car pour générer le même nombre de rotations à une balle plus lourde, le poignet est nécessairement davantage sollicité et la violence de l'impact accrue. Novak Djokovic n'avait d'ailleurs pas dit autre chose après sa défaite en Laver Cup face à Félix Auger-Aliassime : "Les conditions ici étaient vraiment lentes et les balles lourdes. Il faut donc beaucoup travailler la balle avec le poignet, ce qui pourrait être la cause de la douleur que j'ai ressentie."
Pourtant, on ne peut pas soupçonner le Serbe de pousser pour une accélération des conditions de jeu depuis le début de sa carrière. Son tennis sans faille, sa capacité à tenir l'échange et son exceptionnelle qualité de retour lui ont permis de dominer cette ère caractérisée par le ralentissement général des surfaces. Mais Djokovic le sait, la richesse de son sport réside aussi dans sa variété, dans la profusion des styles.
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Rendre ses caractéristiques originelles à l'indoor redonnerait une certaine cohérence à un sport qui a tendance à trahir sa nature profonde. A l'automne en salle, on ne devrait pas assister aux mêmes batailles tactiques que sur terre battue, tout simplement parce que les propriétés de ces surfaces étaient, à dessein, bien différentes. Dans les années 1980 et 1990, il n'était ainsi pas rare de voir les joueurs évoluer sur moquette ou parquet en indoor. Un retour à ces pratiques est-il envisageable ? Vraisemblablement pas, alors même qu'il ne serait pas dépourvu de sens pour préserver la santé des joueurs.

Protéger les joueurs et rendre sa variété au tennis

"Pourquoi un sport collectif comme le basket se joue sur parquet ? Justement pour éviter que ça adhère trop quand il y a des changements de direction très brutaux. Le parquet glisse et n'est pas très rigide, on utilise des chaussures spéciales pour jouer dessus. C'est pas mal parce que ça protège plutôt bien les articulations, et dans les années 90, le tennis en indoor était tellement rapide qu'il y avait moins d'échanges. En revanche, les appuis étaient forcément plus fuyants et c'était plus dangereux en ce qui concerne les entorses. Mais globalement, c'était plus protecteur", estime encore Jean-Bernard Fabre.
Depuis, le matériel s'est amélioré et permet d'imprimer une multitude d'effets plus aisément à la balle. Les acteurs du circuit sont également plus puissants et mieux préparés physiquement. Sans revenir au tennis d'antan, une réflexion sur la tendance au ralentissement à tout prix gagnerait à être menée. La balle est dans le camp des joueurs, seuls à même de faire pression. Pour se protéger et redonner son identité à un sport qui n'associe plus le spectacle qu'à la durée des échanges.
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