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L'Arabie Saoudite est une aubaine économique pour le tennis mais dont les implications sont encore floues

Maxime Battistella

Mis à jour 15/03/2024 à 15:24 GMT+1

Entre un circuit Premium éventuellement porté par les Grands Chelems et un circuit financé en grande partie par l'Arabie Saoudite, l'avenir du tennis se joue dans les coulisses d'Indian Wells. Plus solide et avancé sur le papier, le projet saoudien est de prime abord une opportunité économique en or pour les tournois mais encore sans assurance sur ses implications à long terme.

Andrea Gaudenzi lors de la remise des trophées des NextGen ATP Finals à Jeddah en 2023

Crédit: Getty Images

La face du tennis est sans doute en train de changer. Mais s'agira-t-il d'une révolution aux perspectives incertaines voire inquiétantes ou d'une mutation douce répondant à des exigences économiques inévitables ? Il est pour le moment difficile d'y voir clair entre les deux projets qui s'affrontent en coulisses. Celui de circuit Premium fermé porté par Craig Tiley, patron de l'Open d'Australie qui espère entraîner dans son sillage les autres Majeurs, a été élaboré en réaction à celui promu par l'ATP et son président Andrea Gaudenzi, prêt à accueillir à bras ouverts les fonds saoudiens (2 milliards de dollars).
Si l'accord entre les quatre Grands Chelems est loin d'être assuré en vue d'un potentiel circuit fermé, l'option saoudienne a, à ce stade, plus de chances de se concrétiser. Le PIF (Public Investment Fund) sponsorise déjà le classement ATP et accueille les Next Gen ATP Finals à Jeddah. Et ce possible accord ne modifierait pas en profondeur le calendrier de la saison, mis à part un nouveau Masters 1000 organisé en janvier en Arabie Saoudite qui ferait concurrence à l'ATP Cup australienne et expliquerait la réaction de Tiley.

Utiliser les fonds saoudiens pour promouvoir la fusion ATP-WTA

De ce point de vue, l'Arabie Saoudite ressemble un peu à une poule aux œufs d'or à laquelle il semble difficile de résister. "On ne peut pas aller contre les ressources financières du Qatar, de l'Arabie Saoudite, etc. Les deux milliards de dollars, les Saoudiens les ont. L'ATP ne peut pas aller contre, sinon de toute façon l'Arabie Saoudite fera quelque chose qui sera néfaste au circuit. La question est : comment on travaille avec ?", relève Lionel Maltese, docteur en sciences de gestion et ex-membre du comité exécutif de la Fédération française de tennis (FFT) en charge du développement économique (entre 2017 et 2020).
En golf, le PIF saoudien a ainsi carrément créé un circuit concurrent au traditionnel PGA Tour, attirant grâce à ses dollars une bonne partie des meilleurs joueurs du monde au mépris de l'histoire du sport et de ses tournois traditionnels. Pour prévenir cette menace, l'ATP a préféré prendre les devants dans les négociations en tentant d'intégrer l'Arabie Saoudite à la réforme "One Vision" qu'il avait déjà initiée depuis quelques années. L'idée est donc de poursuivre l'entreprise de rapprochement des circuits féminin et masculin via les fameux "combined events" (tournois rallongés mixtes Masters 1000 et WTA 1000) avec à terme une fusion ATP-WTA et pourquoi pas un Masters commun en fin d'année aussi organisé en Arabie Saoudite.
Le pays du Golfe poursuivrait ainsi son opération de "sportswashing" – critiqué pour son retard dans le respect des droits humains, il laverait son image à grands frais –, ce qui n'est pas du goût de tous sur la planète tennis. Fin janvier, Les légendes féminines Martina Navratilova et Chris Evert ont ainsi co-signé une tribune dans le Washington Post intitulée "Nous n'avons pas aidé à construire le tennis féminin pour qu'il soit exploité par l'Arabie Saoudite". Difficile de faire plus explicite sur l'enjeu éthique de cette affaire notamment pour les droits des femmes.

"Sportswashing" et garanties illusoires face à la tentation élitiste

Mais l'argument peut être retourné par les tenants du pragmatisme économique. "Si l'Arabie Saoudite rentre sur le circuit professionnel, qui touche aussi les fédérations, il faut qu'il y ait des gages de garanties sociétales. Si elle injecte un milliard de dollars dans le tennis féminin et prône la mixité, elle peut faire évoluer la société saoudienne, c'est gagnant-gagnant. Deuxième point : la pratique. Pourquoi les enfants saoudiens n'apprendraient-ils pas à jouer au tennis grâce au savoir-faire des Américains ou Européens ? Mais il faut avouer que ce discours sur la partie sociétale ou sociale, qui est aussi celui de Rafael Nadal devenu ambassadeur de la fédération saoudienne, on ne l'a pas encore", nuance Lionel Maltese.
Cette politique d'influence inversée en quelque sorte n'avait d'ailleurs pas vraiment porté ses fruits lors des Jeux Olympiques à Pékin ou Sotchi ces dernières années. Et un autre problème se pose : l'objectif de cet investissement de 2 milliards de dollars reste un mystère. S'agit-il uniquement de redistribuer plus d'argent aux tournois et aux joueurs ? Si le PIF l'utilise pour racheter les plus gros Masters 1000 (la limite étant fixée à 4 tournois rachetés), rien ne l'empêcherait a priori dans un futur plus ou moins lointain de finalement créer son propre circuit en se débarrassant par exemple de tous les ATP 250 et d'une partie des ATP 500.
L'Arabie Saoudite ne constitue en rien une garantie contre le projet "Premium" proposé par Tiley et il est douteux que l'ATP arrive à obtenir des garde-fous assez solides dans ces négociations. Car le pouvoir sera avant tout aux mains de ceux qui tiennent les cordons de la bourse. Être totalement dépendant d'une telle manne financière, voilà le danger. La WTA l'a expérimenté récemment avec la Chine. C'est le revers de la médaille. Et plutôt qu'une poule aux œufs d'or, l'Arabie Saoudite apparaîtrait alors comme le loup dans la bergerie.
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