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"Le cancer a changé ma vision de la vie" : Legends' Voice avec Chris Evert
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Publié 18/05/2023 à 01:26 GMT+2
Dans une édition spéciale de Legends' Voice, Chris Evert, icône du tennis et experte d'Eurosport, évoque en toute franchise sa lutte contre le cancer et son retour à Roland-Garros, 50 ans après sa première participation au Grand Chelem parisien. Titrée à sept reprises porte d'Auteuil, l'Américaine reste la reine de Roland et, pour elle, ce retour signifie beaucoup.
Chris Evert - Legends' Voice
Crédit: Eurosport
C'est en mai de l'année dernière que la légende du tennis, Chris Evert, a terminé sa sixième et dernière séance de chimiothérapie pour traiter un cancer de l'ovaire de stade 1, après que la maladie a été diagnostiquée chez la championne du Grand Chelem à 18 reprises en janvier 2022.
La sœur cadette de Chris, l'ancienne joueuse de tennis professionnelle Jeanne Evert Dubin, est décédée d'un cancer de l'ovaire en 2020 à l'âge de 62 ans. Mais le médecin de Chris Evert lui a dit qu'il y avait plus de 90 % de chances que son cancer ne revienne jamais parce qu'il avait été détecté très tôt dans son cas.
Un an après sa dernière séance de chimiothérapie, l'ancienne numéro un mondiale revient à Roland-Garros, où elle a remporté sept victoires en simple et deux en double au cours de sa carrière. Il s'agit d'un rendez-vous très spécial pour elle, 50 ans après sa première participation.
Après quelques années difficiles, ce retour sera un moment mémorable pour "Chrissie", présente en tant que consultante pour Eurosport.
Je ne suis pas venue à Paris depuis 2019. Il y a d'abord eu le Covid et personne n'a pu bouger pendant quasiment un an. Puis j'ai eu un cancer et je suis passée par une chimiothérapie. J'étais tout de même contente de pouvoir faire des vidéos en ligne avec Mats Wilander et Barbara Schett lors des dernières éditions, ce qui me donnait l'impression de faire partie de l'équipe, mais ce n'est pas exactement la même chose que d'être présente à Paris, de ressentir l'atmosphère, de voir la terre battue rouge et de vraiment profiter de toute l'excitation que l'on connaît autour de Roland-Garros.
Paris est la plus belle ville du monde. J'ai toujours adoré revenir à la Tour Eiffel, au Louvre, au Sacré Cœur, tous ces endroits que je visitais quand j'étais joueuse. Même si je suis venue très souvent à Paris, cette ville me fait toujours me sentir vivante et aventureuse.
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Chris Evert et sa fameuse robe en dentelle blanche.
Crédit: Getty Images
Roland-Garros est tout aussi spécial pour moi. C'est un tournoi historique, très proche de Wimbledon sur ce point. Vous pouvez le sentir, en tant que spectateur. Ce sont des publics enthousiastes et connaisseurs.
Je m'imagine parfois en train de sentir les papillons et l'adrénaline dans mon corps, en train de faire ce qu'il faut pour gagner. Aujourd'hui, le jeu est très différent, avec la puissance et la dimension athlétique, mais l'atmosphère reste la même que lorsque j'ai fait ma première apparition à Paris il y a 50 ans.
J'ai joué à Wimbledon en 1972, mais 1973 a été ma première expérience sur le continent. J'avais été invité à jouer en France deux ans auparavant, mais mon père avait refusé parce qu'il pensait que je n'étais pas prête. Mais à 18 ans, j'étais enfin assez mûre et j'étais prête à voyager. J'avais lu des articles sur Paris et vu la ville à la télévision, mais tant que vous n'y êtes pas, vous ne comprenez pas vraiment l'histoire. Les points de repère, les bâtiments, les restaurants, les musées... Paris est une ville à la fois trépidante et romantique. Je me souviens particulièrement d'un soir où Philippe Chatrier, le président de la Fédération française de tennis, nous a emmenées, ma mère et moi, au Lido, un célèbre cabaret français. J'ai pensé que j'étais devenue adulte en voyant des danseuses aux seins nus !
En tant que compétitrice, je ne ressentais aucune attente. L'avantage d'être une adolescente, c'est que la pression reposait entièrement sur mes adversaires, qui avaient entre 20 et 30 ans. Je n'ai pas ressenti de pression avec la presse parce que je ne savais pas ce qu'on écrivait sur moi, tout était en français.
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Chris Evert et son père, Jimmy, en 1972.
Crédit: Getty Images
C'était une période charnière et intéressante pour le tennis féminin. La WTA allait bientôt être fondée. Il y avait beaucoup d'excitation dans l'air pour les femmes. Les joueuses parlaient d'égalité des chances et d'égalité des prix. J'écoutais Billie Jean King et les autres et j'essayais de m'imprégner de tout cela. J'étais un peu dépassée parce que j'étais si jeune. Je fréquentais encore un lycée catholique et je vivais avec mes parents. Ils prenaient les décisions concernant ma carrière de joueuse de tennis et je n'avais pas vraiment mon mot à dire. J'ai grandi à une époque où les femmes étaient des femmes au foyer et des mères, et où les hommes étaient les soutiens de famille. Peu de femmes avaient un emploi à l'époque. C'était un concept nouveau et progressiste pour moi, mais j'avais du respect pour Billie Jean et les Original Nine et j'étais convaincue qu'elles prenaient les bonnes décisions.
J'ai atteint la finale lors de mon premier Roland-Garros et c'était aussi ma toute première en Grand Chelem. J'ai joué contre Margaret Court, qui avait 30 ans et 22 titres du Grand Chelem à l'époque. C'est une finale que j'aurais dû gagner. Quand je regarde mon palmarès, j'aurais dû avoir quelques titres de plus, mais il y en a d'autres que je n'aurais pas dû gagner et que j'ai pourtant eus, donc je pense que tout s'équilibre.
Je menais 5-3 dans le deuxième set et je servais pour le match. Je ne me souviens pas d'avoir été tendue ou d'avoir ressenti de la nervosité. Je me souviens juste que je n'arrivais pas à me mettre en condition pour finir. Je n'arrivais pas à me motiver pour conclure le match. Je n'avais pas assez d'expérience dans une finale majeure pour ça. J'étais jeune et inexpérimentée par rapport à ça. Je n'avais pas encore remporté de titre du Grand Chelem. Ce serait le cas l'année suivante, à Paris, en 1974.
A cette époque, je battais déjà presque tout le monde sur terre battue. Mon jeu était taillé sur mesure pour cette surface. Mon jeu de fond de court était cohérent, mon placement était précis et j'avais beaucoup de patience. Au début des années 70, trois des quatre tournois du Grand Chelem se déroulaient sur gazon, de sorte que toutes les femmes servaient et volleyaient. Très peu d'entre elles étaient solides du fond. Sur terre, leur stratégie consistait toujours à monter au filet, et ma force résidait dans mon passing. Si elles étaient en fond de court, je les dominais. C'était le timing idéal pour un joueur de terre battue d'entrer dans cette ère.
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Chris Evert et la Tour Eiffel
Crédit: Eurosport
Paris a fini par être l'endroit où j'ai eu le plus de succès dans ma carrière. C'est pourquoi il est toujours spécial de revenir ici, surtout cette année, compte tenu de ce que j'ai vécu récemment. Je suis très soulagée et très reconnaissante que la période de 16 mois pendant laquelle j'ai lutté contre le cancer soit terminée. Je suis toujours très vigilante en ce qui concerne mes examens de contrôle, que je dois passer tous les quatre mois pendant les premières années, mais je suis prête à redémarrer et à vivre à nouveau ma vie, qui a été mise en veilleuse pendant près de 16 mois.
Le cancer est un facteur 'd'égalité'. Peu importe que vous ayez réussi ou que vous soyez célèbre. En tant qu'athlètes, nous avons l'habitude d'avoir le contrôle, surtout en ce qui concerne notre corps et notre entraînement. Avec le cancer, vous n'avez pas le choix. Vous avez face à vous un parcours inattendu, rempli de doutes, de peurs et d'incertitudes. Le fait d'être une ancienne athlète m'a aidé à faire face à tout cela. La discipline, la lutte, la résistance et la positivité sont des qualités que j'ai tirées de mes années de compétition. Vous savez simplement que vous devez passer par là pour arriver de l'autre côté.
Aujourd'hui, je suis guérie. Bien sûr, la maladie pourrait revenir, mais j'ai subi toutes mes interventions chirurgicales et tous mes traitements de chimiothérapie. J'ai pratiquement terminé, je suis encore en train de m'en sortir et je m'efforce de devenir plus forte.
Le cancer a changé ma vision de la vie. Le tennis m'a tellement apporté : j'ai été joueuse, j'ai été coach, j'ai commenté pour la télé, j'ai été un leader dans le monde du tennis, mais la santé est la chose la plus importante. J'ai compris deux choses : premièrement, je veux prendre soin de moi du mieux que je peux. J'ai connu de nombreuses étapes dans ma vie. Le tennis, puis l'éducation de mes fils, mais aujourd'hui, c'est plus spirituel. Puis le cancer vous fait réfléchir sur votre vie, et lorsque vous traversez une telle épreuve, vous réalisez l'importance d'être en paix avec vous-même, car vous savez quoi ? Vous êtes tout ce que vous avez. Vous réalisez également à quel point il est important de rendre service aux autres. C'est ce qui me rend heureuse.
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Legends Chris Evert et Martina Navratilova
Crédit: Getty Images
Il faut parler du cancer et chaque fois que j'aurais une tribune pour le faire, je vais m'en servir. C'est une chose d'exprimer son opinion sur certaines choses qui se passent dans le monde, mais quand on vit quelque chose soi-même, c'est plus vrai, plus authentique.
Mon message est très fort : je veux dire à tous ceux qui ont des antécédents familiaux de cancer : renseignez-vous ! Faites un test génétique ! Vous aurez plus de chances de le découvrir à un stade précoce. Dans mon cas, l'hôpital m'a appelée pour m'informer que la variante BRCA de ma sœur Jeanne (un gène qui augmente le risque de cancer de l'ovaire et du sein) avait été reclassée comme cancéreuse et m'a conseillé de faire un test sanguin, qui a abouti à un diagnostic BRCA positif. J'ai subi une intervention chirurgicale, immédiatement suivie d'une chimiothérapie, et comme j'ai détecté le cancer à un stade précoce, j'ai 93 % de chances qu'il ne réapparaisse pas. En résumé, un test sanguin m'a sauvé la vie !
Martina Navratilova a été l'une des premières personnes à qui j'ai parlé de mon cancer, et je pense que j'ai été l'une des premières personnes à qui elle l'a dit lorsqu'on lui a diagnostiqué un cancer. Il est ironique que nous ayons toutes les deux vécu cela en même temps. Nous avons pleuré et nous nous sommes rendu visite. Nous nous envoyons beaucoup de messages et nous nous sommes rapprochées. J'ai hâte de la voir à Paris également.
J'ai hâte d'aller à Roland-Garros et de travailler avec l'équipe d'Eurosport. En tant qu'Américaine, j'aimerais beaucoup voir Coco Gauff ou Jessica Pegula réussir et je pense qu'elles font partie des quatre ou cinq meilleures candidates à la victoire dans ce tournoi. Iga Swiatek et Aryna Sabalanka ont connu la meilleure saison jusqu'à présent sur toutes les surfaces et elles pourraient devenir la prochaine rivalité du tennis féminin. J'avoue que j'adorerais voir cela.
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