Nicola Pietrangeli - Adriano Panatta, l'affection et la controverse, jusqu'au bout

Si Jannik Sinner a replacé, ces dernières années, l'Italie au centre de la carte du tennis mondial, le pays avait déjà connu deux figures légendaires : Adriano Panatta, dans les années 70 et, avant lui, Nicola Pietrangeli, disparu ce lundi à l'âge de 92 ans. Deux grands champions, mais aussi deux authentiques personnages dont les rapports conflictuels ont peuplé les dernières décennies.

Adriano Panatta et Nicola Pietrangeli, une longue histoire, riche et très animée...

Crédit: Imago

Avant Jannik Sinner, il y eut ces deux-là. Deux icônes. Deux immenses champions. Les deux plus grands du tennis italien au XXe siècle : Nicola Pietrangeli et Adriano Panatta. Dans la légende, il y a de la place pour deux et chacun y est bien installé. Outre leur nationalité, beaucoup de choses les ont réunis. Ils ont triomphé à Roland-Garros. Deux fois, pour l'aîné, une fois pour le cadet. Leurs jeux étaient marqués par un toucher de balle presque miraculeux. En dehors des courts, ils aimaient les femmes, aussi, qui ont tenu une place importante dans leur vie.
Mais jusqu'au bout, jusqu’à ces dernières semaines avant la mort de Nicola Pietrangeli ce lundi à l'âge de 92 ans, la complexité de leurs rapports aura perduré, entre rivalité durable et piques assassines. "Adriano a toujours été comme un petit frère pour moi, mais…" Ce mais et ces points de suspension, dans une des dernières prises de parole publique de Pietrangeli, peut donner le ton global de ce lien si particulier, mêlant respect, affection et, surtout, incompréhensions. Paradoxal, jusqu'au bout.
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Nicola Pietrangeli et Adriano Panatta en 2004.

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Le sommet de Santiago

Ils n'étaient pourtant pas de la même génération. Panatta a vu le jour en 1950, 17 ans après l’icône native de Tunis, d'une mère issue de la grande bourgeoisie russe dont la famille avait fui la révolution bolchévique en 1917. Mais très vite, ils se sont croisés quand, en 1970, le bambino Adriano a affronté l'ancien, 37 ans, en finale des Championnats d'Italie. Ils se retrouveront à nouveau au même endroit, à Florence, un an plus tard. Deux confrontations culte dans le paysage du tennis transalpin à tel point qu'en 2020, malgré le Covid-19, une cérémonie fut organisée en présence des deux protagonistes et de l'arbitre de la rencontre, avec plaque commémorative et tutti quanti.
Avant le départ à la retraite de Pietrangeli en 1972, à presque 40 ans, ils auront ​le temps de jouer ensemble en double, en Grand Chelem et surtout en Coupe Davis. Successeur désigné, annoncé et autoproclamé, Panatta apprend auprès de son aîné, avant de s'imposer comme la nouvelle référence. La nouvelle star aussi, un costume taillé pour lui. Leur grand moment en commun, c'est évidemment la Coupe Davis 1976. Après avoir porté les couleurs azzurri pendant 18 ans en tant que joueurs, de 1954 à 1972 (et décroché deux fois la victoire suprême), Pietrangeli devient le capitaine de l'Italie. En, 1976, c'est lui qui convainc la classe politique italienne que l'équipe doit se rendre à Santiago pour y disputer la finale contre le Chili de Pinochet, dont le coup d’État sanglant est encore frais dans les têtes.
Le Parti communiste, alors puissant de l'autre côté des Alpes, est pour le boycott. "Aller à Santiago, clame le PCI, serait un acte inexplicable et injustifiable à tous points de vue, y compris sportif. Ce serait trahir le peuple chilien opprimé par l'une des dictatures les plus féroces et les plus sanguinaires de notre époque." D'autant que la finale doit se jouer à l'Estadio National, utilisé comme camp de prisonniers en 1973 lors de la prise de pouvoir de Pinochet. Mais Pietrangeli finit par convaincre, même si les réticences restent fortes. Avec ses hommes, il traverse donc l'Atlantique et ramène le Saladier d'argent.

Le procès stalinien

Mais si Pietrangeli et Panatta se trouvent unis dans la gloire pour l'éternité, le champagne a un goût amer. À leur retour, les héros ne sont pas accueillis comme tels. "Nous sommes rentrés en toute discrétion, a-t-il expliqué un jour dans la Gazzetta dello Sport. Il a déjà fallu attendre trois jours à Rio de Janeiro puis, une fois à Rome, seules nos familles et le président de la Fédération étaient là. C'est comme si nous avions volé ce trophée. Une honte." Il n'a encore rien vu.
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Nicola Pietrangeli en 1969.

Crédit: Getty Images

Tout va vite se gâter entre eux. "Ma récompense, ce sera un énorme coup de pied au cul", résume-t-il. Un soir d'hiver 1977, après une nouvelle finale (perdue, cette fois, contre l'Australie) l'ensemble de l'équipe fomente un putsch visant à virer le capitaine emblématique. Trop de divergences et de dissensions. "Un procès stalinien, dénonce Pietrangeli, jamais à court d'une formule choc. Ils m'ont convoqué dans le hall de l'hôtel. Tout le monde était là. Le président Galgano, et le gang des quatre, Panatta, Barazzutti, Zugarelli et Belardinelli. Adriano regardait ses chaussures, et quand Bertolucci m'a dit qu'ils ne me soutenaient plus, je leur ai dit de tous aller se faire foutre."
Le double vainqueur de Roland-Garros aura la rancune tenace. Récemment, la digestion des événements restait très partielle chez lui : "La vérité, c'est qu'ils étaient des excellents joueurs, mais ils étaient divisés sur tout. Panatta et Bertolucci restaient de leur côté et les deux autres étaient dans leur coin aussi. Ils étaient bouffés par leur ego. J'étais le ciment, la colle qui faisait tout tenir. Quand je suis parti, ils ont été éliminés dès le premier tour l'année suivante et Adriano a réussi à perdre contre un Hongrois qui était serveur dans un bar". C'est vrai (pour l'élimination), mais ce que Pietrangeli oublie de dire, c'est que l'Italie, sans lui, regagnera la Coupe Davis en 1979, avant le début d'une longue traversée du désert.
Cette histoire va laisser des traces. "Pendant cinq ans, je ne leur ai plus adressé la parole", dit le vénérable prince (la mention du titre figurait sur son passeport, via son ascendance maternelle, même si la famille avait été ruinée durant son adolescence). Le temps fera son œuvre, mais jamais la rancune ne s'effacera totalement. Il y aura toujours des piques. Plus ou moins grosses. Plus ou moins sur le ton de l'humour, lequel ne masquait que partiellement les vieux souvenirs.
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La réunion en 2021 des héros de la Coupe Davis 1976, dont Nicola Pietrangeli, au milieu.

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Avec gentillesse, mais sans mâcher mes mots, je lui dis qu'il est insupportable
En juin dernier, c'est une interview de Panatta qui a rallumé la flamme de l'aigreur. Le Romain s'y exprimait maladroitement, ou, à tout le moins, ses propos ont été mal compris, surtout par Pietrangeli lui-même. Panatta se considérait comme le "seul" vainqueur italien de Roland-Garros après la défaite cruelle de Jannik Sinner en finale cette année. "Tu n'aurais pas dû me faire ça", lance alors Pietrangeli, le verbe toujours haut, malgré les ans. Réponse de Panatta : "Nicola, écoute, ce que je voulais dire, c'est que j'étais le dernier. Je ne deviens pas fou. Mais tu es tellement susceptible…"
Pietrangeli voyait en Matteo Berrettini le nouveau Panatta et, dans sa bouche, ce n'était pas forcément un compliment. "Il est comme Adriano. Il a un torse musclé, bien bombé, mais des jambes trop petites pour soutenir tout ça." "Le problème, quand on devient très vieux, avait répliqué son héritier, c'est qu'on perd la mémoire. Nicola critique toujours tout et tout le monde, il n'a fait que ça toute sa vie. Après avoir eu 1 400 femmes, il est sans doute fatigué, mais il tient encore à nous faire croire qu'il était le plus fort et le plus beau. Avec gentillesse, mais sans mâcher mes mots, je lui dis qu'il est insupportable."
Tout n'est qu'ambivalence des sentiments entre eux. Comme dans la phrase de Pietrangeli qui confronte son affection et sa déception : "À mes yeux, Adriano a toujours le petit frère que je n'ai jamais eu, et c'est pour cela que j'ai autant souffert quand il m'a trahi." Que les autres complotent contre lui, il n'aimait pas davantage ça, mais le coup de poignard, la douleur, elle avait émané de Panatta, à hauteur de sa considération pour lui.
À force, il était devenu délicat de détecter quand ces deux-là étaient vraiment sérieux ou pas. La plupart du temps, ils l'étaient, soyez en sûrs. Comme l'était Adriano Panatta quand, devant les caméras de télévision, il avait voulu sceller une forme de réconciliation, quand bien même celle-ci sera suivie de nouvelles petites vacheries. "Je viens de croiser Pietrangeli et de lui parler. On s'embrassera tout à l'heure. Oui, il y a des controverses, des polémiques, mais au fond, on s'aime." C'était le 15 septembre 2023, à Bologne, en marge d'un match de Coupe Davis entre l'Italie et… le Chili. Les légendes ont toujours le sens de la théâtralité. Et celui de l'histoire.

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