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Jana Novotna, une certaine idée du tennis

Laurent Vergne

Mis à jour 20/11/2017 à 17:29 GMT+1

Jana Novotna est partie à même pas 50 ans. La Tchèque, entre fragilités et audace, avait tracé un sillon pas commun dans les années 90, avec son jeu d'attaque à outrance. Un tennis comme on n'en fait plus. Une joueuse qui avait su séduire, une championne qui avait su toucher.

Jana Novotna

Crédit: Getty Images

Entre la fin du Masters et la finale de Coupe Davis qui s'annonce, il y avait tout pour entamer sa semaine d'amoureux du tennis avec le sourire au bord de la raquette. Puis Jana Novotna est morte. Le genre de nouvelles qui vous scie les jambes par sa brutalité. Car même si la Tchèque souffrait depuis des mois d'un cancer, on ne croit jamais que les gens puissent mourir comme ça, à même pas 50 ans.
Novotna, c'est une grande figure des années 90. Une joueuse au palmarès étoffé, avec plus de vingt titres au compteur, une place de numéro deux mondial au firmament de sa carrière et, bien évidemment, ce titre à Wimbledon en 1998. Une sacrée régularité, aussi, puisqu'elle avait atteint au minimum les demi-finales dans chacun des tournois du Grand Chelem. C'était aussi une merveilleuse joueuse de double, discipline dans laquelle elle avait gagné 15 titres majeurs.
Mais s'arrêter à ces histoires de palmarès et de statistiques, c'est passer à côté de l'essentiel. Si la disparition de Jana Novotna touche autant, c'est pour deux raisons : d'abord parce qu'elle était une joueuse pas tout à fait comme les autres, ou plus tout à fait comme les autres, ensuite en raison de sa personnalité.
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Jana Novotna en 2010, lors du tournoi des championnes de Wimbledon.

Crédit: Getty Images

La joueuse, d'abord. Novotna est peut-être la dernière représentante d'un tennis qui n'existe plus sur le circuit féminin. Ni même masculin, d'ailleurs. Un jeu irrésistiblement attiré vers le filet. Service. Volée. Ses deux grandes armes. Sa deuxième balle, notamment, était redoutable et lui permettait, surtout sur gazon, de se projeter vers l'avant en toutes circonstances. Elle a régalé les yeux.
Dans un jeu qui tendait déjà à se standardiser, le sien humait bon l'eau de Cologne, quand tant d'autres dégageaient une forte odeur de pétrole brut. Ça permet souvent d'aller plus vite et plus loin, mais c'est moins agréable. Quand elle a pris sa retraite, fin 1999, Serena Williams venait de décrocher son premier majeur. Tout un symbole. Un passage de témoins stylistique. L'ère des cogneuses venait de débuter. Depuis, on n'a plus revu de Novotna.
Elle n'était pas parfaite, Jana. Longtemps, elle a même été considérée comme une perdante. La reine du "choke" comme disent les Anglo-Saxons. Le "choke", cette tendance à se liquéfier quand la pression devient trop forte. Rien n'a mieux symbolisé cette fragilité-là chez Jana Novotna que la finale perdue en 1993 contre Steffi Graf à Wimbledon. Histoire bien connue. Elle mène 4-1, 40-30 dans le dernier set avant de lâcher les cinq derniers jeux pour s'incliner 6-4. Cette défaite-là lui a collé à la peau, tout comme les mots du célèbre commentateur de la BBC, John Barrett qui, précisément à 4-1, 40-30, eut cette pensée pour le moins non prémonitoire :
Je crois que la confiance est là. Dans ces moments-là, par le passé, elle a eu tendance parfois à trembler, mais je ne crois pas que ça arrivera cette fois. Nous allons voir.
On a vu. Vu Graf, magnifique prédatrice, flairant l'odeur du sang pour fondre sur sa proie et décrocher son 5e Wimbledon. Même quand on était, comme moi, un amoureux de Steffi Graf, on ne pouvait pas s'empêcher d'avoir mal pour Novotna. Cette défaite lui a pourtant offert l'image de sa carrière, quand, inconsolable, elle se mit à pleurer sur l'épaule de la Duchesse de Kent lors de la remise des trophées. Là, sur le si noble Centre court, temple du tennis et du protocole, sa faiblesse et son humanité avaient tout emporté. Inoubliable image.
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Wimbledon 1993 : Jana Novotna trouve du réconfort auprès de la Duchesse de Kent.

Crédit: Getty Images

Au passage, on ne le répètera jamais assez, mais, non, on ne retient pas que les gagnants. Les souvenirs qui demeurent sont les plus chargés en émotions, positives ou négatives. Or ce moment-là, dans ce registre, avait quelque chose d'inégalable. Je suis convaincu que beaucoup de gens se souviennent davantage de la détresse de Jana Novotna que de la joie de Conchita Martinez au même endroit un an plus tard.
Il y avait quelque chose d'injuste dans cet échec. Graf avait tant gagné. Elle, jamais. Et elle avait été tellement magistrale dans cette finale. Elle méritait ce titre mais, c'est bien connu, les titres ne se méritent pas. Ils se gagnent. Alors Novotna est allée le chercher, avec l'aide de sa coach, Hana Mandlikova. Ces deux-là s'étaient tellement bien trouvées. Mandlikova, avec son tennis soyeux, avait été une princesse des années 80 derrière les tyranniques reines Navratilova et Evert, qui laissaient si peu. Mandlikova, c'était la coach parfaite pour Novotna.
Le processus fut long après la détresse de l'été 1993. Cinq ans. La Tchèque allait perdre une nouvelle finale de Grand Chelem, sa troisième et la deuxième à Londres, contre Martina Hingis, en 1997. Echec accueilli avec beaucoup moins de douleur. Puis vint enfin la consécration, un an plus tard, toujours à Wimbledon, contre Nathalie Tauziat. Une finale d'attaquantes comme on n'en fait plus. C'était il y a moins de vingt ans, mais c'était surtout le siècle dernier. On était un peu triste pour Tauziat, mais, pardon Nathalie, on était surtout tellement heureux pour Novotna.
La carrière de Jana Novtona fut une histoire compliquée, mais qui s'est bien terminée avec ce titre majeur, enfin, à 29 ans. C'est la fin de cette histoire-là que l'on voudra garder en mémoire, pour résister à celle, tragique, de sa trop courte vie. Elle emporte avec elle un certain tennis, et même une certaine idée du tennis, dont on peut se demander si on le reverra un jour.
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Jana Novotna après son titre en 1998 à Wimbledon.

Crédit: Getty Images

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