Open d'Australie 2024 : Rafael Nadal va l'utiliser à raison, mais le classement protégé n'est-il pas une règle injuste ?

Qu'ont en commun Jiri Vesely, Soonwoo Kwon, Reilly Opelka, Milos Raonic, Denis Shapovalov, Marin Cilic et Rafael Nadal ? Tous les sept font partie de la liste des joueurs directement qualifiés pour le prochain Open d'Australie (sur Eurosport du 14 au 28 janvier 2024) publiée ce jeudi. Mais ce n'est pas tout : avec leur rang actuel, aucun d'entre eux ne devrait pourtant y figurer. S'ils sont bel et bien là, c'est parce qu'ils ont fait la requête auprès de l'ATP d'un classement protégé lié à une absence du circuit pour blessure d'au moins six mois.

Cette disposition exceptionnelle a pour objectif de permettre aux joueurs concernés d'accéder à des tournois auxquels ils auraient pu prétendre s'ils n'avaient pas été privés si longtemps de la compétition. Dans l'esprit, il est difficile de contester son bien-fondé. Reste que le classement protégé se heurte à un constat : le circuit ne s'arrête pas pendant que les blessés, aussi célèbres soient-ils, sont eux contraints de le faire. Entre méritocratie et assistance légitime aux joueurs en difficulté, l'équilibre est difficile à trouver, si ce n'est impossible. Mais l'ATP a mis en place les dispositions suivantes pour y tendre :

Ces garde-fous affaiblissent de fait la fameuse protection de ce classement exceptionnel. C'est ce qui explique que Rafael Nadal, 9e à Melbourne grâce à cette disposition (au lieu de sa 664e place mondiale véritable), ne sera pas à l'abri d'affronter dès le 1er tour de l'Open d'Australie l'un des 32 meilleurs joueurs mondiaux dont Novak Djokovic. Ce système permet donc seulement à ses bénéficiaires d'intégrer le tableau en tenant compte de leur niveau d'avant leur blessure.

C'est d'ailleurs dans cet esprit que le Majorquin y a eu recours avec le raisonnement suivant : cette exception lui permet de ne pas avoir à solliciter une wild-card (ou invitation) du tournoi, la laissant à un autre joueur qui n'aurait pas d'autre moyen de participer à la compétition. De prime abord, le geste est louable et vient appuyer l'argument selon lequel les invitations doivent avant tout être accordées aux jeunes joueurs prometteurs par rapport à d'autres qui, malgré leur notoriété, n'auraient pas le niveau pour y prétendre. Andy Murray, pour ne citer que lui, a fait ainsi l'objet de quelques critiques pour en avoir trop bénéficié avant de retrouver un rang qui l'en dispense.

Mais ce débat en occulte un autre : même si le classement protégé est par essence provisoire, il est aussi source d'injustices. L'entrée directe dans un tableau de Grand Chelem est censée concerner les 104 premiers joueurs mondiaux au moment où le "cut" (date de qualification) a été décidé. Or avec 7 participants intégrés grâce à leur classement protégé à Melbourne, 7 autres en ont été mécaniquement exclus du 98e Dominic Thiem au 104e, Hugo Gaston.

Le coup de pouce donné aux uns fait le malheur des autres et Rafael Nadal a bien pris une place à l'un de ses collègues qui la méritait théoriquement. L'incohérence de ce système est donc d'autant plus grande qu'elle expose les derniers qualifiés légitimes à être recalés tout en protégeant les têtes de série par ailleurs, ce qui renforce l'idée d'un tennis à deux vitesses.

Du côté de la WTA, le système est sensiblement le même, à deux exceptions notables près : le classement protégé est le dernier obtenu par la joueuse concernée avant sa longue blessure ou sa grossesse (pas de calcul alambiqué ici) et il lui donne accès au statut de "tête de série additionnelle" depuis 2019. Lors du prochain Open d'Australie, Angelique Kerber, 31e grâce à son classement protégé (non classée en réalité car absente depuis plus d'un an), ne rencontrera ainsi pas de tête de série lors de son 1er tour, sans toutefois prendre une des places échues aux 32 meilleures joueuses du monde.

Cette évolution récente chez les dames est a pour origine une polémique autour du cas Serena Williams qui, à son retour de grossesse, avait été privée du statut de tête de série à Roland-Garros en 2018, avant de se le voir exceptionnellement accordé à Wimbledon (tête de série 25 alors qu'elle n'était que 185e mondiale). L'argument principal était alors le suivant : la maternité ne devait pas être une punition pour les joueuses qui voulaient reprendre leur carrière.

Le bien-fondé du classement protégé en tant que mesure exceptionnelle et limitée dans le temps n'est pas à remettre en cause, mais il est par essence injuste pour les joueuses et joueurs exclus de tableaux qu'ils auraient dû intégrer. Le cas Attila Balazs est, à ce titre, particulièrement éclairant : alors qu'il est actuellement 1030e mondial et n'a plus le niveau pour prétendre aux plus grands tournois, le Hongrois a utilisé à 4 reprises son classement protégé en 2023 à Monte-Carlo, Barcelone, Madrid et l'US Open. Bilan : quatre raclées concédées (10 minuscules jeux sauvés), des places prises à plus méritants que lui mais un "prize money" non négligeable récolté.

Alors de deux choses l'une, soit le classement protégé doit exposer tout le monde y compris les têtes de séries, soit il ne doit exposer personne. Et dans ce dernier cas de figure, moins de qualifiés ou moins de wildcards pourraient permettre aux 104 premiers mondiaux de conserver leur place de qualifiés directs en Grand Chelem. Le débat mérite en tout cas d'être posé.