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Patrick Mouratoglou explique son point de vue sur la formation en France

Eurosport
ParEurosport

Mis à jour 03/06/2013 à 09:40 GMT+2

Patrick Mouratoglou précise, en répondant à nos questions, son point de vue sur la formation en France, après les vagues qu'a suscité son entretien à L'Equipe, dimanche.

TENNIS 2013 Patrick Mouratoglou

Crédit: Panoramic

Votre intervention dans L’Equipe sur la filière fédérale a beaucoup fait parler. Vous attendiez-vous à ces réactions ?

P.M. : Tout d’abord, je pense que les questions posées étaient intéressantes. Pourquoi les joueurs français ne gagnent que peu de tournois majeurs avec tant de pratiquants, tant de moyens financiers, tant de talents ? Ensuite, je comprends que cette intervention ait fait réagir car tel qu’il est rédigé, l’article laisse penser que je dénigre les coaches français. Or je veux avant tout attirer l’attention sur le “système français” qui forme de très bons joueurs mais pas de champions.

Si l’on synthétise, vous critiquez la philosophie de la filière fédérale qui, selon vous, a une vision plus "romantique" que pragmatique. En France, on préfère le talent aux résultats…

P.M. : Pour avoir travaillé avec des joueurs du monde entier, je vois clairement une différence dans l’approche française. De manière générale, en France, on valorise beaucoup le talent, la facilité, plutôt que des valeurs comme le travail, la gagne, l’effort. C’est dans la culture française. Or, ce mode de pensée, c’est quelque chose qui nuit à l’efficacité. Je lis que le nouveau DTN Arnaud Di Pasquale souhaite “redéfinir” l’excellence et modifier le mode de pensée en France, je pense que cela va dans le bon sens. Il faudra probablement également revoir le système pour qu’il récompense les résultats et pénalise ceux qui n’en obtiennent pas. Je pense qu’il y a un potentiel de très bons coaches en France, mais que le système ne leur permet pas d’évoluer positivement. Le système fédéral ne récompense pas assez la performance des coaches. Sur le circuit, celui qui n’obtient pas de résultats avec son joueur est licencié. Celui qui fait gagner travaille avec des joueurs de plus en plus forts et son salaire augmente. Il a également une prime sur les gains de son joueur. La réalité du terrain crée de l’insécurité et subventionne la réussite: “Sois performant ou meurs”. Voilà un système dur mais efficace car c’est la réalité du terrain, il faut nous en inspirer.

Vous parlez de "scandale" quand il est question des résultats obtenus avec Gasquet, Tsonga et Monfils. Qu’entendez-vous par là ?

P.M. : Le mot est évidemment trop fort, mais l’idée, c’est que cette génération est exceptionnelle de potentiel et de talent. Je préfère m’extasier sur la réussite d’un Clément qui atteint une finale de tournoi du Grand Chelem à force de travail et d’abnégation, plutôt que me satisfaire du fait que Tsonga ait également atteint une finale. Ce dernier aurait pu en gagner quatre ou cinq et là, je pourrais dire qu’il a effectivement exploité son potentiel. Idem pour Gasquet ou pour Monfils.
Me donner comme argument de la réussite du système les résultats de ces joueurs me semble presque une provocation tellement leur potentiel est élevé. C’est une génération dorée qui, pour le moment, ne produit absolument pas les résultats espérés, même si les coaches font leur travail et les font évoluer. Nous ne pouvons nous satisfaire de ces résultats, ce serait une insulte à leur talent.

Vous avez un sentiment de gâchis concernant cette génération ?

P.M. : Clairement oui. Même si tout reste encore possible. Jo semble prendre les choses par le bon bout depuis janvier et se donner les moyens de ses ambitions. Mais quand on prend en considération le talent de nos joueurs, on ne peut pas être satisfait de leurs résultats. Si on l’est, cela montre seulement à quel point nous manquons d’ambition.

Et concernant les coaches français, que signifie “la grosse qualité des coaches français c’est qu’ils sont gratuits ?

P.M. : Cela signifie que le système est tronqué aujourd’hui et ne permet pas de connaître la valeur des uns et des autres. Les coaches fédéraux sont mis à disposition gratuitement depuis des décennies au profit des joueurs. Quand on connaît les économies que cela représente, le cadeau est de taille. Je ne pense pas que cela éduque correctement les joueurs. Cela les habitue à de l’assistanat. Cela ne les pousse pas à rechercher la solution la plus performante, mais la plus lucrative. Quel message envoie-t-on ? Encore une fois, le système devient l’ennemi de la performance. Quant aux coaches, il n’y a aucun moyen de savoir s'ils sont performants. Sur le circuit, les meilleurs coaches gagnent bien leur vie, les moyens difficilement, les autres n’ont pas de travail car c’est la loi de l’offre et de la demande. A la fédération, ils sont mis à disposition gratuitement. Cela fausse totalement la perception des joueurs. Si demain, j’ouvre un restaurant qui propose un menu gratuit, je fais salle comble tous les soirs... Même si on ne mange pas très bien, que le décor est quelconque, et que le service est mauvais... Je ne dis pas que les coaches français n’ont pas de qualité, je pense en revanche que le système est pervers, ne permet à personne de s’étalonner et dévalorise le rôle de coach auprès des joueurs car ce qui est gratuit n’a jamais de valeur.

Parce que vous dites tout de même que si vous aviez un garçon de 14 ans qui avait du potentiel, vous ne le confieriez pas à un coach français...

P.M. : Oui j’ai dit ça car j’ai répondu à une question. J’ai expliqué que comme tout parent, si mon enfant avait un grand potentiel, je chercherais ce qui se fait de mieux pour lui. Certains coaches ont réalisé de très grandes choses, par exemple Tony Roche (14 titres du Grand Chelem comme coach avec 3 joueurs différents), Peter Lundgren ou Bob Brett. Si je devais dresser une liste des cinq plus grands coaches actuels, pour un homme, il n’y a aucun Français parmi eux. Mais ce ne veut pas dire que tous les coaches français sont mauvais. Je ne le pense pas. Je constate malgré tout que Jo Tsonga a choisi un Australien (comme Gaël Monfils avant lui), que Gilles Simon a choisi un Allemand et que Richard Gasquet a pris un Italien. Ils n’ont donc pas trouvé en France ce qu’ils cherchaient. Gaël dit d’ailleurs ne pas trouver pour le moment le coach qu’il cherche. Ils ont donc la même perception que moi. Je pense que le grand chantier des prochaines années pour le tennis français se décompose en deux parties: faire évoluer nos coaches pour développer chez eux une véritable culture de la gagne et éduquer nos joueurs dès le plus jeune âge aux valeurs du haut niveau.

Et chez les femmes ?

P.M. : Chez les femmes c’est intéressant de constater que les numéro un et trois mondiales ont fait appel à des coaches français. J’ai d’ailleurs beaucoup de respect pour Sam Sumyk (coach de Victoria Azarenka) qui est un très grand professionnel et qui n’est surement pas là par hasard. Nous ne pouvons que faire confiance aux meilleurs mondiaux. Ils ne se trompent pas sur le choix de leur encadrement car leur niveau d’exigence est le plus élevé de tous. C’est aussi valable dans d’autres sports, les meilleurs clubs de football se paient également les meilleurs entraîneurs. Serait-il crédible d’imaginer le Real Madrid, Manchester United ou le Bayern Munich avec des coachs de deuxième division ? Sam s’est fait tout seul. Il n’est pas le produit d’un système. Il n’a jamais été subventionné, jamais été aidé, il s’est construit dans la difficulté, à la dure. Pour garder son job il devait gagner, c’est la meilleure école. Il est devenu l’un des meilleurs coaches au monde.  Prenons exemple sur ces réussites individuelles pour créer un système qui permettra aux individualités de se développer avec réussite.

Finalement, comment pourrait-on améliorer le système ?

P.M. : Croyez-moi, je n’ai qu’une envie, c’est que ça bouge ! J’ai envie de voir la France gagner. J’aimerais que la Fédération, plutôt que de chercher à ligoter le système privé, s’assoit avec l’ensemble des acteurs pour faire avancer le tennis en France. J’ai envie que la Fédération mette en place un système équitable qui permette aux joueurs de choisir le meilleur système pour eux sur d’autres critères que financiers. J’ai envie enfin que cette concurrence entre le public et le privé permette à chacun d’élever son niveau et qu’au final nos joueurs soient éduqués dans un système concurrentiel, basé sur les résultats, et qui développe les vraies valeurs du haut niveau. Je suis peut-être idéaliste, mais je pense que ce sont les conditions pour que la France rayonne mondialement dans le tennis. Nous en avons le potentiel humain, aussi bien en ce qui concerne les coaches que les joueurs, les moyens financiers. C’est uniquement une question de volonté politique. Ceux qui s’érigent contre ces constats sont simplement ceux qui veulent garder leurs privilèges.
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