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Roger-Vasselin : "En France, on a une mauvaise image du double alors qu'on a les meilleurs joueurs"

Maxime Battistella

Mis à jour 30/05/2020 à 11:31 GMT+2

Edouard Roger-Vasselin est revenu pour Eurosport.fr sur l'idée de Marion Bartoli de redistribuer une partie du prize money des doubles vers le circuit Challenger pour aider les joueurs de simple les plus fragilisés par la crise. Au-delà de la polémique et avec un certain recul, il s'est ému du traitement dans l'Hexagone de la discipline du double, pourtant une spécialité française.

Nicolas Mahut et Edouard Roger-Vasselin lors de France - Serbie - ATP Cup 2020

Crédit: Getty Images

Edouard Roger-Vasselin sera de retour la semaine prochaine à Paris pour reprendre l'entraînement intensif. Après des mois de confinement, le Français de 36 ans, 18e joueur mondial en double et finaliste de Wimbledon avec Nicolas Mahut l'année dernière, est dans l'expectative comme nombre de ses collègues quant à l'éventuelle reprise du circuit cet été. En attendant, il suit l'actualité de son sport et a accepté de revenir avec nous sur la proposition de Marion Bartoli d'aider les joueurs moins bien classés en simple en réduisant les dotations des doubles sur le circuit. Il regrette avant tout la tendance à opposer simple et double et la conception péjorative de sa discipline véhiculée en France selon lui.
Pour aider les joueurs hors top 100 à mieux gagner leur vie en simple, Marion Bartoli a suggéré de supprimer des tournois de double et de redistribuer leur prize money vers les Challengers. Qu’en pensez-vous ?
Edouard Roger-Vasselin : Déjà, je ne pense pas que ce soit possible d’organiser des tournois strictement réservés au simple. Historiquement, il y a toujours eu simple et double, c’est l’âme du tennis. Et d’autre part, il y a quelques années, on a changé les règles pour que les matches de double soient plus courts : deux sets avec le No-Ad (pas d’avantage à 40/40, ndlr) et un super tie-break en cas d’égalité à une manche partout. Tout ça, c’était pour amener les joueurs de simple à jouer aussi le double. Moi-même quand je jouais en simple, j’étais bien content de pouvoir enchaîner avec un double d’une heure, une heure et demie plutôt que de se taper trois sets gagnants. Et le prize money a été augmenté en simple et en double pour permettre aux joueurs de simple d’avoir une autre source de revenus avec le double. Ce serait faire machine arrière que de supprimer des tournois de doubles, même si les meilleurs joueurs du monde ne jouent effectivement pas le double malgré tout.
Cette proposition n’est-elle pas le reflet de la manière dont on voit traditionnellement le double ? Est-ce que la discipline est dénigrée selon vous ?
E. R.-V. : C’est quand même un comble qu’en France on ait une mauvaise image du joueur de double, alors qu’on a les meilleurs spécialistes du monde : entre Pierre-Hugues (Herbert) et Nico (Mahut) qui sont la meilleure équipe française de l’histoire (ils ont fait le Grand Chelem en carrière et ont gagné le Masters, ndlr) et Kristina (Mladenovic) qui a été numéro 1 et a gagné des titres en Grand Chelem. Historiquement, on a toujours eu une paire très forte en Coupe Davis. L’année dernière, on a eu trois équipes en finales de Majeurs : Nico et Pierre-Hugues en Australie, Fabrice (Martin) et Jérémy (Chardy) à Roland et Nico et moi à Wimbledon. En Australie et en Angleterre, ils adorent le double. Mais en finale du double à Roland, le stade n’était pas plein avec une paire française, alors qu’à Wimbledon, le stade était comble pour notre finale de cinq heures qui a duré jusqu’à 21h. C’est un peu dommage qu’on ait cette image faussée du joueur de double qui n’a pas réussi en simple en France. En gros, on est les "mauvais".
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Des staffs de six personnes ? Bartoli a peut-être vu les frères Bryan, leur coach, leur préparateur physique, leurs femmes et leurs enfants
Marion Bartoli dit avoir croisé des spécialistes du double entourés de staffs de "six personnes". D’après votre expérience sur le circuit, les joueurs peuvent-ils vraiment se payer ces équipes élargies ?
E. R.-V. : Elle a peut-être vu les frères Bryan, leur coach, leur préparateur physique, leurs femmes et leurs enfants, c’est peut-être ça. (Rires). Non, sur le circuit, personne ne peut se permettre d’avoir six personnes pour une équipe. Financièrement, c’est impossible. Je reconnais que le prize money a beaucoup augmenté et il me permet par exemple à moi de ne vivre que du double, chose que je n’aurais peut-être pas pu faire il y a dix ans. Je ne sais pas exactement quel est le rapport entre le prize money des joueurs de simple et des joueurs de double à classement comparable, mais en tout cas, il faut vraiment être trop 30-40 en double pour s’en sortir correctement. J’ai vu que Nico (Mahut) avait tweeté qu’il était "jaloux" ironiquement, c’est vrai que lui a un staff élargi et c’est deux voire trois personnes maximum autour de lui. Et il est encore joueur de simple, il ne faut pas l’oublier.
En double, l’investissement physique est toutefois moins important qu’en simple, vous en convenez ?
E. R.-V. : Marion Bartoli n’a pas tort de dire qu’on fait moins d’efforts en double. On voit encore quelques joueurs de double pas super affûtés, comme peuvent l’être les joueurs de simple, c’est vrai. Mais le tennis, ce n’est pas que le physique, il y a d’autres critères super importants comme la technique, la concentration par exemple.
C'est grâce au double que j'ai pu continuer à jouer au tennis. En simple, je ne pouvais plus enchaîner physiquement
Mais ce n’est pas forcément un mal d’ailleurs : le double peut aussi permettre à certaines carrières de se prolonger…
E. R.-V. : Oui, c’est vrai. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai pu continuer à jouer au tennis (il a arrêté le simple fin 2016, ndlr). En simple, je ne pouvais plus me permettre d’enchaîner physiquement, alors qu’en double, je peux. Mais parler de la dimension physique, ce n’est pas un argument suffisant pour justifier une baisse du prize money.
Comment aider alors les joueurs moins bien classés en simple qui souffrent en ce moment de la crise ?
E. R.-V. : Pour être honnête, j’ai déjà du mal à savoir à quel niveau on devrait gagner sa vie en jouant au tennis. Est-ce que c’est 500e ? 300e ? 1000e ? Et je n’ai pas de réponse. Aujourd’hui, il faut être clair, personne ne connaît le 500e mondial, il ne gagne pas d’argent. Est-ce qu’il faudrait mettre plus d’argent dans les Futures et d’où viendrait-il cet argent ? Du top, vraisemblablement. Oui, je suis d’accord. Mais on s’arrête où ? Aujourd’hui, on parle du 500e et peut-être que demain, ce sera le 1000e. Comme il y a beaucoup d’argent dans le tennis, il est évident que ce serait pas mal de reverser une partie de ce que gagnent les vainqueurs de Grand Chelem vers les Challengers et les Futures comme le disait Murray. Malgré tout, tout joueur de tennis sait que, quand il commence sa carrière, c’est un investissement pour le long terme. Au début, ça va être galère.
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En Coupe Davis, c'était rempli avec une ambiance de fou. Mais dans les tournois, on a l'impression qu'on dérange
Pour les petits tournois, les tableaux de doubles ne sont souvent pas rentables. La discipline ne souffre-t-elle pas d’un déficit de popularité ?
E. R.-V. : Parfois, on a l’impression, pardonnez-moi l’expression, qu’on fait "chier" les directeurs de tournois par rapport à la programmation. Et en France notamment, c’est vrai que parfois, il n’y a pas beaucoup de spectateurs sur les premiers tours. Le souci, je le répète, c’est l’image de la discipline. Et pourtant, on serait très contents d’avoir une médaille aux Jeux et on en est capable. En Coupe Davis, dans l’ancienne formule, c’était rempli aussi pour le match du samedi avec une ambiance de fou pour le double. Mais dans les tournois, on a l’impression qu’on dérange. Il y a deux discours qui s’opposent et je pense que les organisateurs de tournois et les médias doivent progresser là-dessus. Evidemment, je prêche pour ma paroisse mais il faut savoir ce qu’on veut : soit le double, c’est chiant et on n’en veut pas, soit on aime bien et il faut comprendre que ça fait partie de la famille du tennis. Et pour avoir des titres en Grand Chelem ou une médaille aux Jeux, il faut passer par les petits tournois.
Qu’est-ce qu’il faudrait faire pour promouvoir un peu plus le double selon vous ?
E. R.-V. : L’ATP et le Conseil des joueurs où il y a certains spécialistes comme Bruno Soares ou Jamie Murray font un travail important dans cette direction, surtout dans les Masters 1000. Les joueurs de doubles sont présents, avant le début de la compétition, pour taper dans la balle avec des enfants dans des "clinics" pendant une heure, ce qui peut saouler un peu les joueurs de simple, ce que je comprends d’ailleurs. Nous nous étions engagés à nous rendre disponibles pour ça pour les tournois. Et en échange, il y a une plus grande promotion de la discipline : des vidéos de points spectaculaires de double sont mises en ligne. C'est sympa pour les gens de voir ces échanges avec des réflexes et changer leur perception.
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