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Vendée Globe 2024-2025 | Clarisse Crémer : "On ne peut pas obliger les femmes à disparaître si elles ont des enfants"

Tristan Henry

Mis à jour 09/02/2024 à 09:23 GMT+1

Presque un an après avoir été lâchée par son précédent sponsor à cause de sa maternité, Clarisse Crémer entame les derniers mois de préparation au Vendée Globe 2024-2025, qui partira des Sables d'Olonne le 10 novembre prochain. A la tête d'une toute nouvelle équipe, L'Occitane en Provence, elle fixe le cap vers une course qu'elle aborde malgré tout avec ambition.

Clarisse Crémer (L'Occitane), le 18 avril 2023 à Locmiquelic

Crédit: Getty Images

Clarisse, on est à neuf mois du départ Vendée Globe. C'est le début du rush ?
Clarisse Crémer : C'est un peu tout le temps le rush dans ce métier ! On termine actuellement le chantier d'hiver du bateau. C'est un sport mécanique, on démonte, on remonte, on change quelques trucs, mais surtout, on travaille à rendre tout plus fiable. Il faut être prêt et d'attaque avant d'aller à l'eau. Ensuite, on enchaîne sur deux transatlantiques en solitaire. On refera un chantier cet été, puis il y aura le Vendée Globe en fin d'année. En un peu plus d'un an, on aura fait quatre Transatlantiques et un Vendée Globe.
Comment sont les sensations ? Avez-vous pu prendre vos marques dans le bateau, l'équipe ? Est-ce que vous pouvez nous expliquer vos premiers pas avec votre nouveau projet ?
C.C. : Quand j'ai perdu mon précédent sponsor (ndlr : en février 2023), je me suis associé avec Alex Thomson pour pouvoir remonter un projet, recréer une équipe et racheter le bateau (ndlr : l'ancien Apivia, avec lequel Charlie Dalin a fait 2e en 2022). On a mis le bateau à l'eau en juillet dernier, je l'ai découvert à cette époque-là. Entre mon retour de grossesse, un retour à la course en solitaire après trois ans de pause, et une nouvelle équipe, ça faisait beaucoup de nouveautés, mais ça s'est bien passé et on est contents du résultat. Entre ceux qui travaillent sur le bateau et l'équipe communication, nous sommes une dizaine dans l'équipe L'Occitane. Dans nos métiers, on est un peu gestionnaires de projets, il faut s'adapter. Avec Alex, on est en collaboration directe. Il a de l'expérience (2e du Vendée Globe 2016-2017), il sait où il met les pieds. On est pas du tout le même genre de marins, mais c'est génial de pouvoir échanger avec lui.
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Clarisse Crémer (L'Occitane en Provence) avant le départ de la Transat Jacques Vabre, la 28 octobre 2023 au Havre

Crédit: Getty Images

Votre contexte est particulier parce que votre mari Tanguy Le Turquais se prépare actuellement à la course. Comment gérez-vous une possible compétition entre vous ? Vous devez vous cacher des petits secrets sur vos bateaux ? Est-ce que cela aide d'avoir des aspirations similaires ?
C.C. : Nous ne sommes pas en concurrence directe. Il a un bateau plus ancien, il est plus sur l'objectif de finir, même s'il est compétiteur et très bon skipper. J'ai un bateau qui est censé être plus performant, même si on verra ce que ça donne sur l'eau (rires). Sur le Vendée, on est nos principaux concurrents. Ce n'est pas du tout un problème. Par contre, c'est cool d'être avec quelqu'un qui partage la même passion. C'est un sport exigeant avec des contraintes qui sont particulières. Pouvoir échanger sur les difficultés, qu'elles soient en mer ou à terre, c'est chouette. Ce n'est pas toujours facile parce qu'on a des agendas particuliers, mais c'est surtout une force.
Votre fille a donc ses deux parents navigateurs, comment gérez-vous cela ?
C.C. : Depuis le printemps dernier, sa soeur fait partie de son équipe technique et s'occupe de Mathilda (leur fille née en 2022) quand nous ne sommes pas là. On a de la chance parce que cela crée de la stabilité pour elle, c'est un troisième parent officiel. C'est toujours difficile de la quitter, mais au moins, on est sereins et confiants pour elle.
Vous avez évoqué la perte de votre précédent sponsor au moment de votre grossesse : est-ce que vous pouvez revenir sur cet épisode qui a marqué le grand public ? Que s'est-il passé ?
C.C. : Pour résumer, il y a beaucoup de monde qui veut faire le prochain Vendée Globe. Il y a donc une course à la sélection pour faire partie des 40 participants. Dans cette course, le règlement est relativement simple malgré quelques exceptions : il faut faire le plus possible de milles en course dans les quatre ans entre les deux éditions. Moi, à la fin du dernier Vendée, j'avais 31 ans, cela faisait plus de dix ans que j'étais avec mon mari, et on voulait fonder une famille. J'en ai parlé de façon assez transparente, et j'ai fini par être enceinte. Je n'ai logiquement pas navigué pendant un certain temps, pour des raisons qu'on comprend. Suite à l'engouement pour le Vendée, j'étais mal placée pour la sélection. Mon sponsor a décidé que cela présentait un risque trop important et qu'il préférait me remplacer.
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Clarisse Crémer (L'Occitane en Provence), le 18 avril 2023 à Locmiquelic

Crédit: Getty Images

Certains ont mis en cause la décision de votre sponsor de l'époque, Banque Populaire, d'autres ont pointé les carences du règlement, pour vous, à qui la faute ?
C.C. : Il y a plusieurs choses. Du côté du sponsor, j'ai peut-être été naïve, mais je n'avais jamais pensé que cela pouvait être leur choix de communication. On est pas chirurgiens, on ne sauve pas des vies, on est aussi là pour raconter des histoires, pour lier des relations et monter des projets. Eux, ils ont voulu se centrer sur un risque, qu'ils n'ont pas voulu prendre. Mais on peut aussi penser au règlement qui rend difficile pour une femme de participer au Vendée. Ce qui est chouette c'est que l'organisation de la course a pris ses responsabilités et fait évoluer le règlement pour l'édition suivante, parce que c'est intenable. La voile, c'est un des rares sports mixtes où on court à chance égale. Tu ne peux pas te vanter de permettre aux femmes d’exister sur le Vendée Globe et les obliger à disparaître si elles ont des enfants. Surtout que la trentaine, début de quarantaine, c'est souvent l'âge où les marins brillent, parce que tu commences à avoir pas mal d'expérience tout en étant dans la force de l'âge.
Le fait d'avoir déjà terminé 12e en 2021 a dû rendre cette décision encore plus difficile à accepter.
C.C. : ll faut comprendre que la sélection ne vise pas à juger la compétence, mais c'est vraiment juste pour choisir qui prend le départ, et ce n'est pas forcément facile de départager les gens dans notre discipline. Ce n'est pas comme les JO, avec des minimas de performance à fixer. Nos projets, ce sont des entreprises avec des temps de maturation longs, des structures très différentes les unes des autres, et sanctionner tel ou tel projet en l'empêchant de participer, c'est compliqué pour tout le monde.
Moi ce que j'ai déploré, c'est un choix de positionnement, de valeurs, qui a été de dire "c'est impossible, tant pis", et de lâcher l'affaire aussi vite. Il était encore tout à fait possible de me qualifier. D'ailleurs, c'est que je suis en train de faire. C'est du sport, on est plus dans les années 80, ce n'est plus la performance à tout prix. Il y a des engagements que tu peux prendre en tant qu'entreprise. Si tu n'es pas d'accord avec le règlement d'une course, tu peux fixer ton positionnement par rapport à la carrière des femmes qui ont des enfants. C'est ce que j'ai déploré. On est dans un sport dans lequel il y a des incertitudes et du risque absolument partout, que ce soit la technologie, la météo… Ces risques sont acceptés. Et là, tout d'un coup, cette incertitude-là, c'était impossible.
Où en êtes-vous dans la course aux milles à l'heure actuelle ?
C.C. : Je suis 39e sur 40 ! On saura tout cet été entre fin juin et début juillet.
Vous parlez de raconter des histoires. Quelle est l'histoire que vous voulez raconter ? "J'y vais mais j'ai peur" (titre de la BD, écrite avec Maud Benezit pour Delcourt, sur son premier Vendée Globe) ?
C.C. : Ça, c'était l'histoire de mon dernier Vendée Globe. C'était une histoire à part entière, j'ai pas mal grandi entretemps, pas mal évolué. J'ai acquis plein d'expérience, ce sera forcément une histoire différente.
Est-ce qu'il y aura un côté revanchard après ce qu'il s'est passé ?
C.C. : Tu ne te mets pas dans des conditions pareilles, dans des projets pareils, pour prouver quelque chose aux autres. Il faut que ça vienne de toi, sinon tu vas droit dans le mur. Après… ça fait forcément partie de l'équation. Mais c'est loin d'être l'essence même de la motivation. C'est un métier super chouette, j'ai la chance de vivre de ma passion, et j'ai envie de revivre cette aventure. J'ai buté sur plein d'écueils lors de la première édition, j'ai envie de voir si je peux en éviter certains… ou tomber sur des problèmes différents… Être meilleure, plus forte. J'ai envie de revivre ce voyage, de revoir ces paysages uniques. Si je veux prouver quelque chose… non. Par contre, ce qui est vrai, c'est que ce sera une victoire d'être au départ, beaucoup plus que la dernière fois.
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Clarisse Crémer et Alan Roberts (L'Occitane en Provence) lors de la Transat Jacques Vabre 2023

Crédit: Getty Images

Est-ce que vous voulez montrer aux petites filles qu'elles peuvent le faire ?
C.C. : Oui carrément. Moi, dernièrement, c'est ça qui a été difficile. Il y a très peu d'exemples de femmes qui ont pu cumuler la carrière de navigatrice et avoir des enfants à côté. Cela complexifie. Je ne me vois pas comme un exemple ou un modèle, mais si je peux ouvrir un petit peu la voie, c'est un bonus.
Et pour la course, quelle est votre ambition ?
C.C. : La dernière fois j'ai fait 12e, donc j'aimerais faire mieux, mais il y a 13, 14 bateaux neufs. Mécaniquement, cela va être difficile de m'améliorer, mais j'aimerais bien rentrer dans un top 10, voire au-dessus. Surtout, la dernière fois, mon objectif était vraiment de terminer. Je faisais mes choix dans l'espoir de franchir la ligne. Là, j'ai envie que la performance soit en haut de mes considérations. C'est un sport de compromis et je veux mettre le curseur de risque plus haut. J'ai envie d'approcher la course différemment, d'être plus solide sur mes appuis. Avec notamment de la préparation mentale, même si rien ne remplace l'expérience.
Si vous vous projetez, vous vous voyez continuer la course au large longtemps ?
C.C. : Je ne sais pas du tout. Le bateau et la mer feront partie de ma vie. Mais pour une vie de famille, le large, ce n'est pas toujours facile. J'ai du mal à me projeter sur l'après, et un Vendée c'est tellement énorme que c'est dur de voir derrière. Avant le dernier Vendée, je ne comprenais pas ceux qui voulaient y retourner. Je me disais "après ça, tu peux t'arrêter !". Mais il y a un côté addictif. C'est comme voyager dans un pays dont tu tombes amoureux.
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