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24 Heures du Mans | Benoît Tréluyer : "Chez Audi ils prévoyaient tout, c'était un truc de fou"

Mis à jour 09/06/2023 à 10:04 GMT+2

Benoît Tréluyer a remporté trois fois les 24 Heures du Mans, associés à Andre Lotterer et Marcel Fassler, avec qui il avait des liens étroits. Dans l'esprit de l'Endurance, aucun des pilote ne tirait la couverture à soi. Et côté préparation, Audi se chargeait de mettre en place les moyens nécessaires, à un niveau absolument diabolique. Le Français nous l'explique dans les Fous du volant.

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Benoît, vous serez aux 24 Heures du Mans samedi et dimanche, mais pas au volant.
Benoît Tréluyer : J'y serai comme tous les ans ; j'ai dû louper une édition parce que j'avais une course et une autre pendant le confinement. J'ai essayé, un petit peu, d'y être à bord d'une voiture, mais l'occasion ne s'est pas présentée.
Vous, triple vainqueur, c'est quand même incroyable !
B. T. : J'y suis allé l'année dernière, pour prospecter on va dire. Ma dernière participation remonte à 2016. Je ne fais plus que du développement depuis 2018 et des courses très occasionnellement pour remplacer. Je suis toujours classé Platinium, ce qui est un problème car des pilotes Silver se débrouillent très bien et apportent des budgets. Pour un pilote comme moi, qui va avoir 46 ans et ne veut pas apporter de budget parce que c'est mon métier et je ne vais pas payer pour travailler, c'est compliqué.
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Vous avez gagné trois fois, avec Marcel Fassler et Andre Lotterer. Comment votre équipage s'est constitué ?
B. T. : Avec Andre, on roulait au Japon, l'un contre l'autre, et on était super potes. Je lui parlait toujours du Mans. En 2009, je l'ai tellement tanné qu'il a fini par trouver un volant chez Kolles, sur une Audi. Il s'est fait remarquer parce que l'un de ses coéquipiers, Narain Karthikeyan, s'est blessé en passant par-dessus le muret juste avant le départ. C'était impossible de le remplacer et il a fait les 24 Heures avec un seul coéquipier. Il a sorti une performance vraiment incroyable pour ses premières 24 Heures du Mans.
Audi nous avait contactés (avec Lotterer) pour faire du DTM, mais je venais d'arriver au Japon chez Nissan comme pilote n°1 et j'avais décliné. Je leur avait dit : si vous avez une autre proposition, n'hésitez pas, ce sera un honneur de rouler pour vous. Deux ans après, ils m'ont appelé. Ça tombait bien : j'avais prévu de me consacrer aux courses en Europe, avec Henri. Je l'ai contacté, et je lui ai dit : "J'ai un petit problème, Audi m'a contacté pour rouler chez eux. Ça m'embête…" Il m'a répondu : "Et alors ? Il faut accepter !" C'est ce qui est génial avec Henri : il était là pour nous aider à progresser, pas juste pour nous garder et essayer de gagner Le Mans avec ses pilotes. Il pouvait avoir un panel de pilotes assez incroyables.
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Wolfgang Ullrich avait une certaine science pour composer les équipages en ne se concentrant pas que sur les chronos, mais l'attitude, les échanges entre pilotes. A-t-il fallu vous adapter en venant de chez Pescarolo ?
B. T. : Ce sont deux hommes qui adorent leurs pilotes, qui font tout pour eux. Il nous a choisis en se disant : "Ils vont bien s'entendre". Il ne pensait pas à quel point, même s'il savait qu'Andre et moi on était déjà potes et que je m'entendais bien avec Marcel, même si on ne s'était pas vu depuis longtemps ; on avait débuté ensemble, en Formule Campus et en Formule Renault. Quand on s'est retrouvé dans la voiture de location pour les Tests à Sebring (en 2010), on a rigolé tout le trajet.
Comment voyez-vous cette armada Audi à l'époque, avec ses moyens extraordinaires face aux privés ?
B. T. : Il y avait d'énormes budgets du côté d'Audi et des moyens beaucoup moins importants du côté des privés comme Pescarolo. La préparation était complètement différente et ce n'était pas la même façon de travailler non plus. Il y avait une équipe de dingue chez Henri - c'était une famille - mais on ne pouvait faire les mêmes choix, les mêmes essais préparatoires. Chez Audi, quand je suis arrivé, on faisait des séances de roulages de 30 heures. Quand une pièce cassait, on recommençait. On s'entraînait dans les conditions réelles pour changer des turbo. A la fin, ils avaient refait carrément les pits du Mans dans les locaux Audi, au bord de la piste d'essais. Derrière, il y avait un constructeur avec de vrais enjeux. Si Audi a une telle image de fiabilité aujourd'hui, c'est dû au 24 Heures du Mans.
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Fässler, Lotterer, Tréluyer - Audi n°2 - 24 Heures du Mans 2014

Crédit: Panoramic

Audi se rapproche aussi des standards de la Formule 1 en termes de simulations de scénarios de course.
B. T. : Avant d'arriver au Mans, la voiture a fait des simulations de 30 heures et on sait à peu près ce qui risque de casser et si on en rajoute. En 2010, on était à quatre secondes en performance pure des Peugeot. On avait essayé une version un peu plus puissante de notre moteur, qui n'avait pas cassé en essai. Mais après démontage, on nous avait dit qu'il était au bout du bout, et qu'il n'aurait pas fallu (l'utiliser) dix heures de plus. C'était un peu risqué. Pour gagner, il faut d'abord finir et Audi l'avait bien compris. Ce moteur nous aurait bien fait gagner deux secondes par tour, mais le responsable Moteurs, Ullrich Baretzky, nous avait dit : "C'est hors de question ! Il y a trop de risques de casser un moteur." C'était la seule personne contre pour le mettre aux 24 Heures du Mans, sachant qu'Audi n'a jamais cassé un moteur. En course, on prend 4 secondes par tour de la part de Peugeot, qui casse un châssis avec une voiture et les moteurs des trois autres. Ce jour-là, Baretzky est devenu le dieu d'Audi !
Et puis, il y a d'autres stratégies. En 2011, par exemple, on roule avec des vieux pneus en qualification au Mans, et on sait qu'on peut faire cinq relais avec les mêmes pneus. Sans le faire, pour ne pas dévoiler notre stratégie. On sait que c'est tendu mais qu'on peut le faire. Et on sait qu'au cas où, si on a une voiture de sécurité de telle heure à telle heure, on peut tenter une double stratégie avec un quintuple relais. Et là, à dix minutes près ça tombe pile-poil dans la fenêtre. Sur 24 heures, c'est quelque chose qui ne peut pas arriver. Dans un team traditionnel, personne ne prévoyait ça. Mais eux, ils prévoyait tout, un truc de fou. On avait des fenêtres de tir s'il arrivait ça à telle heure, ça à telle heure, etc…
C'est comme ça qu'on gagne de 13 secondes…
B. T. : Oui. Ça nous fait gagner 20 secondes, et à la fin on gagne de 13 secondes. On nous avait dit ça pendant le briefing avant la course. On se disait : "C'est des malades !" Ils se prennent la tête pour 20 secondes ! Et en fait on gagne grâce à ça !"
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Audi #1 de Marcel Fässler, André Lotterer, Benoît Tréluyer - 24 Heures du Mans 2013

Crédit: Michelin compétition

Comment on se répartit les rôles dans un tel équipage ?
B. T. : Cela a été un gros avantage : on n'avait pas de problème d'égo. On était potes, toujours là pour aider les autres. Au fil du temps, on s'est aperçu qu'Andre adorait montrer sa vitesse, faire le meilleur temps en course. On s'est dit : "Eh bien, tu n'as qu'à faire ça !" Avec Marcel, on était plus vieux - on avait cinq and de plus - et on s'en foutait. Ce que l'on voulait, c'était être sur la plus haute marche du podium.
Le circuit des 24 Heures est un circuit qui change d'heure en heure, et spécialement la nuit. Le pilote doit savoir changer dans son attitude. Comment ça se passe à bord ?
B. T. : Il y a un peu de solitude pour certains, qui aiment bien parler avec l'ingénieur. Je me rappelle qu'Andre aimait bien qu'on lui parle tout le temps. Moi, j'aimais être peinard. En fait, j'ai besoin de concentration, je ne sais pas faire deux choses à la fois. La nuit, ça me plaisait parce que j'étais au calme. On a moins de paramètres qui entrent dans le champ visuel, et on se fait ses petits repères. J'avais le delta time - qui indique si on est en avance ou en retard sur le temps idéal - et pour garder ma concentration, j'essayais de faire les relais les plus précis possibles. J'avais toujours une marge de sécurité. Parfois, ça m'amusait : j'avais perdu du temps derrière une GT, j'attaquais un plus - des fois c'est une connerie - pour être dans le même dixième. J'avais toujours des relais hyper constants, c'était ma façon de garder la concentration extrême. Parce que rester concentrer, c'est le plus dur.
Finalement, qu'est-ce qui fait la magie du Mans ?
B. T. C'est une course qui est préparée pendant un an. Bien sûr elle fait 24 Heures, c'est de nuit, sur route ouverte, c'est une ambiance dans le paddock qui dure plusieurs semaines même si ça s'est rétréci depuis un moment. C'est une autre dimension de circuit, d'organisation, de paddock. Ce n'est pas juste une course, c'est tout ce qu'il y a derrière : la parade des pilotes, tellement de choses. C'est unique.
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