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Les Grands Récits - Rallye - Michèle Mouton, pilote pionnière à l'aube d'une révolution

Stéphane Vrignaud

Mis à jour 14/10/2022 à 12:48 GMT+2

Michèle Mouton est allée au bout d'elle-même et plus loin que son père ne l'aurait imaginé. Il l'a incitée à faire du rallye et elle est devenue l'un des plus grands pilotes. Quatre fois victorieuse en Championnat du monde, elle a lutté pour le titre en 1982 avec son Audi avant-gardiste. Elle ne s'est jamais vue comme une exception dans un monde d'hommes mais a laissé une empreinte indélébile.

Michèle Mouton - Grand récit

Crédit: Getty Images

Michèle Mouton a donné une dimension fascinante, inattendue, aux rallyes en devenant la première femme à remporter une épreuve de championnat du monde, en 1981. Au volant de son Audi révolutionnaire à quatre roues motrices, la Quattro, la Française a bousculé l'ordre masculin et les préjugés dans l'ère naissante de ces monstres d'un nouveau genre, débordant de puissance, lancés sur des routes dangereuses. Jusqu'à être marquée par plusieurs drames qui sonneront la fin d'un temps mémorable.
Venue aux sports mécaniques par hasard, la pilote native de Grasse ne s'est jamais vue comme une exception dans ce milieu et n'a jamais fait de sa vocation une question de représentation féminine dans son sport. Encore moins un enjeu, qu'elle laissait à l'agitation médiatique. "Je ne suis pas attachée à l'idée de la femme dans la compétition, dit-elle. Dans les années 70, les femmes étaient très libres, il n'y avait aucun problème. Ce n'était pas comme certains l'imaginent. On était libre de tout, d'être en mini-jupe, en topless sur la plage. On faisait ce qu'on voulait. Il y avait aussi énormément de femmes en rallye."
"Je suis arrivée dans ce milieu par hasard, précise-t-elle. Mon père m'a mis au défi de faire des résultats dans l'année, sinon j'arrêtais. J'avais 22 ans, j'étais pleine d'énergie et très motivée. Je me suis donnée à fond. Le challenge était de voir ce que faisaient les autres, progresser et faire aussi bien." Il se trouve juste que ses alter ego étaient des hommes.
Sa motivation n'était pas de régler leur compte aux rouleurs de mécaniques mais elle a dû combattre les idées reçues, ceux qui avaient fait de leur lutte une question d'honneur. Parmi ceux-ci, Walter Röhrl a certainement été le plus entreprenant, par peur d'être celui qui allait perdre le titre contre la Française en 1982. Orgueilleux, l'Allemand n'a pas compté ses sorties médiatiques amères, tendancieuses. Jusqu'à suggérer qu'un singe pourrait conduire cette Audi Quattro qu'il jalousait.
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Michele Mouton (Audi Sport) en 1981

Crédit: Panoramic

Souriante, tenace, surnommée le "Beau volcan noir" pour ses cheveux longs, son regard sombre et ses éruptions de colère, Michèle Mouton a continué sa route, sûre qu'elle pourrait encore faire chanceler son adversaire, jusqu'à ce Rallye de Côte d'Ivoire de tous les possibles. Mais à Abidjan, le sort en est jeté. Le drame s'est noué ailleurs, à plusieurs milliers de kilomètres de là.

Drame familial, rallye décisif et dérisoire

"C'était le matin du départ du rallye, j'allais à l'hôtel, se souvient-elle. J'avais une interview prévue avec la télévision à 8h. Mon compagnon m'a appelé à 7h pour m'annoncer le décès de mon père. Je lui ai dit : 'Je rentre tout de suite'. Il m'a passé ma mère, qui m'a dit : 'Non, ton père n'aurait jamais voulu que tu rentres. Tu fais ta course et on t'attend."
Elle décide alors de mettre dans la confidence sa copilote, Fabrizia Pons, et son directeur d'équipe, Roland Gumpert, pour éviter un trop plein d'émotions impossibles à gérer au sein de l'équipe. "J'ai réussi à faire abstraction de tout, se remémore-t-elle. Ça marchait très bien puisque j'avais 1h15 d'avance, lorsque j'ai commencé à ressentir des difficultés dans les changements de vitesse."
C'est vrai, la Quattro souffre de maux de jeunesse mais elle tient encore cette chance unique par un fil. Bientôt, sa position devient plus précaire encore. Son avance se réduit comme Peau de chagrin car la réparation vire au fiasco. C'était improbable, mais les mécaniciens ont remonté à l'envers des éléments de la boîte de vitesses. Ce nouvel anéantissement est celui de trop, au bout d'un combat dérisoire. Il révèle un épuisement moral, et précède une sortie de route synonyme de ses dernières chances de titre.
Mais ses 52 rallyes en Mondial ne seront pas tout. L'odyssée de Michèle Mouton dans la légendaire course de côte américaine Pikes Peak constitue un autre précédent dans l'Histoire du sport auto en 1985. Jamais la montagne du Colorado n'avait vu une femme se jouer des hommes, s'élever au-delà de leur machisme jusqu'aux nuages, triompher avec un moteur turbo. Pour cette pionnière curieuse de tout, c'était juste là une expérience différente, une satisfaction de plus sans arrière-pensée. Et tant pis si ce n'était pas partagé par tous.
Michèle Mouton ne s'était pourtant jamais imaginée pilote, encore moins couverte de gloire. Un cadre familial propice aurait pu la conduire à cette vocation qui sommeillait mais le hasard s'en est finalement chargé. Née le 23 juin 1951 à Grasse, elle grandit dans une famille d'horticulteurs. Ses parents cultivent la rose et le jasmin pour une parfumerie locale, et c'est assez innocemment qu'elle conduit à 14 ans la 2cv dans les petits chemins limitant les champs d'exploitation provençaux. Son père Pierre, passionné de course automobile, a toujours possédé des voitures de sport.
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Michèle Mouton et Fabrizia Pons (Audi Sport) lors du Rallye de Grande-Bretagne 1984

Crédit: Getty Images

Au baptême du Championnat du monde

"Je pratiquais le tennis et je rêvais surtout de compétition à ski. Sans le savoir, j'aimais déjà la vitesse, les trajectoires", raconte-t-elle. Pas étonnant qu'à 18 ans elle rêve de passer son permis de conduire plutôt que le Bac. Jeune femme sérieuse, l'un ne va pas sans l'autre pour elle. Diplôme en poche, elle veut devenir éducatrice pour adolescents en difficulté et suit une formation pendant deux ans à Grenoble, auprès d'handicapés et de délinquants. Le week-end elle rentre à Grasse en 4L, à toute vitesse. "Chaque fois, je regardais si j'avais mis moins de temps, avoue-t-elle. J'étais folle de voitures, pour l'amour de la voiture. C'était ma liberté, mon indépendance. Des valeurs capitales pour moi."
Tout cela ne saurait en faire une aspirante pilote. C'est alors que sa vie bascule lors d'une soirée. Passionnée de danse, elle inscrit à un concours de rock'n'roll avec Jean Taïbi, un ami de son quartier, à Grasse. "Au fil des éliminations on était toujours là, et à un moment, il me dit : 'Au fait, je pars faire le Tour de Corse.' Je lui ai demandé ce qu'était le rallye, en quoi cela consistait. Il m'a tout expliqué, j'étais très excitée. A la fin du concours, il m'a invitée à venir avec eux. J'ai donc fait toutes les reconnaissances derrière dans la voiture, avec son copilote. Après le rallye, fin novembre, il m'a confié que ça n'allait pas avec son copilote et il m'a proposé de participer au Monte-Carlo à ses côtés. Je crois qu'il était un peu amoureux de moi aussi ! S'il ne m'avait pas parlé de ça, je n'aurais jamais fait de compétition automobile. Je n'y étais pas prédisposée : dans la famille, on aimait juste la voiture pour partir, voyager et se sentir indépendant."
La plus prestigieuse épreuve de rallye est également en ce mois de janvier 1973 la manche d'ouverture du nouveau championnat du monde. Né en 1911, sa légende n'est plus à faire car il faut avoir du tempérament pour se lancer sur ces routes de l'arrière-pays niçois, de jour comme de nuit dans les lacets du mythique col du Turini, par un froid polaire, dans un décor qui se réinvente au fil de l'altitude. Malheureusement, cette édition sera le temps des pionniers et des déçus. L'équipage de la Peugeot 304 n°153 fait partie des nombreux amateurs mis hors course à cause d'une route bloquée par une tempête de neige.
Ce goût d'inachevé ne perdure pas, son père veut la voir au volant et rapidement. "Il m'a dit : 'Tu fais le Paris-Saint-Raphaël féminin pour te situer par rapport, puis le Tour de France, le rallye le plus difficile, pour voir à quel niveau tu dois arriver.'" A 21 ans, la jeune Michèle se prend au jeu, par défi, sachant qu'elle n'aura pas de seconde chance. Un jour, elle a gagné une bouteille de champagne en remportant un gymkhana sur une 4L, et cet amusement est bien loin.
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Michèle Mouton, Françoise Conconi (FIAT France) avant le départ du Rallye Monte-Carlo 1976

Crédit: Getty Images

Le circuit, une fausse-piste

"Je ne suis jamais partie avec l'objectif de battre les autres femmes, mais de me mesurer aux meilleurs. Et il se trouve que les meilleurs étaient des hommes", dira-t-elle. Son premier classement, une 18e place, marque le début d'une "époque fantastique" avec cette Berlinette Alpine qui convient bien à son style coulé, alors que son père lui loue une R12 Gordini pour s'entraîner à prendre de meilleurs départs dans les courses de côte. En fin de saison, elle s'avoue quand même lassée par ses engagements en section féminine, dans cette Coupe des Dames réductrice. Elle trouve sa victoire sans signification.
La seule façon de couper le cordon est de se confronter aux meilleurs. Et la saison 1974 valide cette ambition avec un titre honorifique de vice-championne de France dans la 2e division nationale. Le talent de la jeune azuréenne ne passe pas inaperçu et c'est le temps des sollicitations. Michèle s'aventure ainsi aux 24 Heures du Mans en 1975, au volant d'une Moynet, avec deux pilotes reconnues, Christine Dacremont et Mariane Hoepfner. Sans préparation. "Nous étions un peu inconscientes car la voiture n'avait pas subi d'essais aérodynamiques et on ne savait pas si elle allait s'envoler", se souvient-elle.
Le trio est 21e au général et premier de sa catégorie, mais elle n'est pas conquise. Le circuit est une fausse piste, le projet de son nouveau sponsor Elf de l'amener à la monoplace en 1977 voué à l'échec. Lors d'un stage de deux jours à Magny-Cours, elle tourne sur une Formule Renault Europe, conseillée par Didier Pironi, mais tout ça ne rime à rien. "Ça me fatigue. Je n'aime pas tourner en rond", explique-t-elle.
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Michèle Mouton (Lancia Stratos) au Rallye Monte-Carlo 1978

Crédit: Getty Images

Spécialiste de l'asphalte, l'espoir du rallye tricolore élargit son horizon en 1977 au Rallye d'Espagne. Avec trois mécaniciens pour gérer sa Porsche Carrera et des pneus de fortune, le format vaut pour sa mixité. Après le bitume du premier jour, la terre est une révélation. "J'ai découvert un monde fantastique", se réjouit-elle. Elle n'est pas au bout de son émerveillement. Sandro Munari, 7 victoires en Mondial dont 3 au Monte-Carlo sur la mythique Lancia Stratos, abandonne dans la dernière spéciale. "On a découvert à l'arrivée qu'on avait gagné", se remémore-t-elle.
Cette première victoire d'envergure marque une nouvelle accélération dans sa carrière puisque FIAT France lui confie une Abarth 131 pour la Corse. Un cadeau empoisonné en vérité. "Cette FIAT était très, très physique, se souvient-t-elle. Elle n'avait pas de direction assistée, un moteur à l'avant, des roues avant très larges. Un véritable camion ! Je me suis énormément donnée, mais sur beaucoup de rallyes c'était très difficile. Au Monte-Carl', je n'arrivais plus à tourner le volant dans les épingles, ma coéquipière devait m'aider. Et puis, la 131 avait une boîte de vitesses à crabots. Il fallait passer les vitesses au bon régime, et si je loupais une vitesse je recevais une décharge électrique dans la main. Ce fut dur. Je portais un bracelet rigide en ivoire qu'une amie m'avait donné comme porte-bonheur. J'avais la main en sang et j'ai mis une semaine pour l'enlever." "C'est la voiture qui m'a demandé le plus d'efforts, assure-t-elle. Mon coéquipier, Jean-Claude Andruet, était le meilleur pilote français et je ne voulais pas être ridicule."
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Michèle Mouton (Lancia Stratos) au Rallye Monte-Carlo 1978

Crédit: Getty Images

Révélation et explosion médiatique

Au bout de cette torture, il y a une huitième place et un contrat pro pour 1978 avec FIAT France. Avant cela, Michèle Mouton va juste faire le Monte-Carlo avec la Stratos de Bernard Darniche. L'occasion d'une parenthèse enchantée, un fabuleux voyage avec un monument. "C'est la plus esthétique, la plus belle que j'ai jamais conduite, dit-elle. Elle ne se voit pas maîtriser ce monstre alliant la maniabilité de la Berlinette Alpine et la puissance de la Porsche, mais elle y arrive très bien. De son côté, Bernard Darniche hérite de sa 131 et est sûr d'une chose : "Michèle avait déjà un niveau international."
Septième en Principauté, la nouvelle égérie de FIAT accède à la reconnaissance au Tour de France auto. Après 72 heures de conduite pour cinq heures de sommeil, son exploit dépasse le milieu du rallye. Anne-Aymone Girard d'Estaing, épouse du président de la République, la félicite, tout comme le ministre de la Condition féminine, auquel la lauréate assure "qu'il n'y a pas de quoi s'étonner de voir gagner une femme", car "le Tour Auto, en tant que longue épreuve, fait autant appel, sinon plus, à la réflexion qu'à l'attaque."
Dans les jours qui suivent, elle fait la Une de la presse nationale, participe à 53 émissions de télévision. Cependant, cette médaille a son revers car on lui demande d'incarner une certaine idée de la femme qu'elle n'est pas. "Cette victoire a commencé à me déranger, s'agace-t-elle. Je détestais tout particulièrement les photographes qui ouvraient la portière à l'arrivée des spéciales pour me demander de sourire. C'est pour ça qu'on m'a toujours dit que j'avais mauvais caractère. Je venais de faire un effort et ce n'était pas le moment pour moi."
Heureusement, la pilote des Alpes-Maritimes ne se laisse pas submerger et l'ambiance reste familiale chez FIAT. Au volant, elle est d'une régularité impressionnante au Monte-Carlo et en Corse, où elle se classe 7e et 5e trois années de suite. Elle est certes beaucoup plus sortie de la route en 1979 et 1980 mais c'était le prix du risque et Audi en a suffisamment vu. En rallye, la marque allemande n'évoque rien mais, en dépit d'un anglais hésitant, elle comprend que le constructeur l'appelle pour lui offrir un volant en championnat du monde et qu'il s'agit d'une quatre roues motrices.
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Michèle Mouton (FIAT France) au Tour de Corse 1980

Crédit: Imago

Après sept ans à écumer les mêmes routes, dont les trois dernières avec l'une des pires voitures qui soient, elle a juste une interrogation. Pourquoi le champion du monde en titre, Walter Rörhl, a-t-il choisi de quitter FIAT pour Mercedes plutôt qu'Audi ? "Elle m'a téléphoné pour savoir si je doutais de la compétitivité ou de la fiabilité de la Quattro, confie l'Allemand. Je lui ai conseillé de signer, la Quattro étant destinée à devenir la meilleure voiture de rallye." Elle s'engage alors pour la saison 1981.
Tout va donc changer pour la Française, y compris sa coéquipière Françoise Conconi, qui veut se consacrer à sa famille. Et pour la remplacer, elle reçoit une suggestion surprenante. "Quand je suis allée à Ingolstadt rencontrer les responsables d'Audi, j'étais prête à faire équipe avec un garçon, mais ils voulaient un équipage 100% féminin", révèle-t-elle. Pas convaincue par les noms proposés, elle suit le conseil de son compagnon. Fabrizia Pons, une ancienne pilote reconvertie depuis deux ans comme navigatrice, a le profil idéal. "Ça a tout de suite fait tilt entre nous, d'autant qu'elle parlait très bien français." Cette première impression est la bonne : l'entente est fusionnelle et l'Italienne a le don de devancer ses attentes et la rassurer.

"Nous devons cesser de considérer Michèle comme une femme au volant"

Vient alors le temps de découvrir cette fameuse Quattro, qui ne se laisse pas dompter comme ça. La traction intégrale servie par un moteur turbo de 320 chevaux est d'un autre monde, ses réactions sont brutales. La puissance arrive vite et il ne faut surtout pas rentrer trop fort dans les virages. Hannu Mikkola, l'autre pilote Audi, lui souffle la solution : il faut freiner du pied gauche afin de laisser le droit garder un peu d'accélération pour ne pas bloquer les roues.
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Hannu Mikkola (Audi Sport) en 1981

Crédit: Imago

La Quattro va-t-elle être à la hauteur pour son baptême du feu au Monte-Carlo ? Le Parcours de concentration, sorte d'échauffement qui amène les 263 équipages de huit villes d'Europe à Aix-les-Bains, apporte une première réponse. Une quinzaine de kilomètres après Paris, la voiture de la Française s'arrête, moteur en panne ; et bientôt hors-course à cause d'une erreur des mécaniciens. Avec la seule Audi en lice, Mikkola va survoler les six premières spéciales jusqu'à une faute éliminatoire, mais faire triompher la Quattro trois semaines plus tard en Suède.
C'est donc au Portugal que Michèle Mouton, pas très à l'aise sur la glace, effectue ses véritables débuts avec l'Audi et marque les points de la quatrième place malgré plusieurs pépins. Bientôt, elle la confirmation que la Quattro est taillée pour les surfaces glissantes : au rallye des Garrigues, elle survole la manche du Championnat de France avec 14 meilleurs temps sur 17 possibles.
Ce succès est un acompte, mais elle réalise encore que la patience est le maître mot dans ce début d'aventure avec Audi. En Corse, son moteur la contraint à l'abandon. La réalité est désormais plus nuancée : la Quattro est un colosse au pied d'argile réclamant beaucoup de travail et son avènement n'est pas pour demain.
Néanmoins, la pression monte sur l'équipe à l'approche du Rallye de l'Acropole. "J'ai senti dès le début qu'ils étaient très motivés, que j'étais dans une équipe professionnelle qui exigeait des résultats", confirme Michèle. Son auto est taillée pour la Grèce et l'ingénieur en chef, Walter Treser, se vante d'avoir réussi "là où d'autres constructeurs prestigieux se sont cassé les dents". Il va pourtant déchanter : à mi-parcours, ses trois Quattro sont disqualifiées pour des modifications illicites.
Néanmoins, Michèle Mouton peut être satisfaite de ses nouveaux progrès. L'épreuve spéciale n°1 l'a fait entrer dans l'Histoire de son sport comme la première femme auteure d'un meilleur temps en Mondial. De fait, elle devient la première pilote leader d'une manche du championnat du monde, et les quatre scratches qu'elle ajoute à son tableau de chasse lui valent les commentaires élogieux du vainqueur, Ari Vatanen. "Je crois que nous devons cesser de considérer Michèle Mouton comme une femme au volant, prévient le Finlandais dans la presse française. Maintenant, j'ai admis ce fait : elle est à la hauteur de n'importe quel rallyman de haut niveau international et c'est fantastique pour le sport. Les gens ont longtemps eu des idées préconçues en matière de sport automobile. Il faut admettre que rien n'est plus tout à fait comme avant dans l'échelle des valeurs."

Les 1000 Lacs, un toboggan pour Scandinaves

Si cet hommage corrige un prisme déformé dans le monde du rallye, la Française doit enfoncer d'autres portes pour trouver sa place dans ce milieu codifié. Le meilleur exemple est le rallye des 1000 lacs. Dans le temple finlandais du pilotage, elle est emportée dans un tourbillon au cœur d'une foule dense, dans une sorte de toboggan à plus de 200 km/h, rythmé par des bosses à n'en plus finir, entre lacs et forêts. "Les virages sont non seulement de gauche à droite, mais aussi de bas en haut", note-t-elle, en parlant d'un "gros monument, spécialement la nuit". C'est surtout un monde dont les secrets sont bien gardés par les Scandinaves, seuls à figurer au palmarès depuis la création de l'épreuve, en 1951.
Aux 1000 Lacs, le non-initié découvre un rallye sournois, ambivalent, admiré et détesté pour les mêmes raisons. Il réalise au début des 12 jours d'entraînements que tout y est pratiquement joué d'avance, que c'est une affaire de famille qui doit le rester. Les rallymen locaux s'entraînent sur ces routes en forme de montagnes russes et l'étranger qui s'y aventure n'a aucune chance de briller. A part consentir l'exil, ce dont personne n'a le temps ni l'envie. Pour Michèle Mouton, c'est une certitude : "Il faut y être toute l'année."
Une fois ce tri préalable effectué, les spécialistes se battent comme des rapaces pour la même proie. "Les Mikkola, Alén, Vatanen, Toivonen, Salonen, qui ne sont pas du genre à limer les routes dans les autres courses du championnat du monde, sont ici nuits et jours dans leur auto, constate la novice d'Audi. Ils passent huit à dix fois dans les spéciales qu'ils pourraient déjà parcourir les yeux fermés. Mikkola m'a avoué qu'il connaissait par cœur 450 kilomètres d'épreuves ! J'ai fait un petit tour avec lui, et effectivement il n'a pas besoin de notes." Ni de copilote, laissé à l'hôtel lors des repérages.
A raison de 500 km découpés en 47 secteurs, c'est donc mission impossible. Et comme si cela ne suffisait pas, les entraînements se font au ralenti, sauf la veille du départ : c'est 30 km/h maximum dans les domaines fermiers, 50 à 80 km/h ailleurs et gare aux chauffards ! Surprise à 60 km/h en travers à la réception d'une bosse, Michèle Mouton n'y échappe pas et se fait sermonner au poste pour "conduite dangereuse" ; à la prochaine infraction, ce sera l'exclusion. Elle poursuit donc les reconnaissances prudemment avec sa voiture de location, parce que sa Quattro a été jugée trop bruyante malgré un pot d'échappement silencieux. Alors, quand Mikkola l'appelle gentiment pour lui rapporter qu'elle a fait l'objet d'autres plaintes, elle entre dans une colère folle… Dans ces conditions, sa 13e place finale force l'admiration des locaux, qui l'appellent "Mina Moutonen".
Cet examen de passage réussi, Michèle Mouton roule avec une nouvelle confiance au Rallye Sanremo, et distance peu à peu les meilleurs. Rörhl, sur Opel, ses coéquipiers Cinotto et Mikkola, et enfin Vatanen. En tête depuis la 25e des 61 spéciales, elle doute au moment de conclure. Elle éprouve cette peur de gagner que beaucoup ont connue. Va-t-elle pouvoir résister au Finlandais, qui a besoin de s'imposer pour devenir champion du monde ? "Avant la dernière spéciale, de nuit, j'ai 34 secondes d'avance sur lui, se souvient-elle. Et là, je dis Fabrizia : 'On ne part pas comme si c'était la dernière spéciale, mais la première'. Ça voulait dire qu'on allait rouler comme d'habitude, sans se mettre la pression. Je suis parvenue à le faire. J'ai aussi dit à ma copilote que l'un des deux allait faire une faute, et c'est ce qui est arrivé."

Rörhl, le singe et la Quattro

Mouton fait désormais partie du cercle des vainqueurs en championnat du monde. Elle se souvient de ce concours de danse qui a tout changé pour elle, il y a vingt ans. De cette proposition de son père, acceptée par défi. De sa détermination à gravir les échelons, repousser ses limites à force de travail. Son parcours unique trouve là sa plus juste récompense, sans lui faire tourner la tête, ni se sentir une femme d'exception. Juste une pilote qui voulait se hisser au niveau des meilleurs.
Alors, forcément, ce qu'on lui répète la surprend. On la présente comme la première femme vainqueure en Mondial, mais ce n'est pas ce qu'elle retient. Elle a gagné sa place dans cet univers très fermé du rallye et ceux qui n'étaient pas prêts à ça doivent en accepter l'augure. "Ils me considèreront peut-être un peu plus comme un pilote et un peu mois comme une femme qui va vite en auto car jusqu'à présent ils admettaient toutes les louanges à mon égard tant que ça ne bouleversait rien pour eux-mêmes", remarque-t-elle. Et Vatanen est un peu de ceux-là, forcément. "Il a toujours été l'un des premiers à me féliciter, à me dire que ce que je faisais était fantastique… Mais inconsciemment quand même, le fait que je sois devant le poussait à attaquer un peu plus fort encore." Et de révéler qu'il l'avait félicité pour son rallye juste après la Grèce : "Le jour où tu seras plus rapide que moi, j'arrêterai."
Plus que tout, cette victoire marque un avant et un après. "Il y a deux ans, au Monte-Carlo, lorsque Rörhl me talonnait, c'était un peu la panique, avoue-t-elle. Aujourd'hui, je suis capable de garder la tête froide." Après ça, Michèle Mouton va conclure sa saison sur un abandon en Grande-Bretagne, une huitième place au championnat et la conviction d'être préparée à d'autres succès en 1982.
Cependant, les choses recommencent mal au Monte-Carlo pour l'armada allemande. Dès la 12e spéciale, Michèle Mouton disparaît dans un crash. "Je suis arrivée à fond de troisième sur le verglas et l'Audi est allée tout droit dans un mur à plus de 110 km/h. Quel carton !", s'exclame-t-elle. Et pendant que Mikkola attend désespérément la neige pour fructifier ses 300 chevaux, Michèle Mouton découvre un nouveau rival. De retour après une saison presque blanche, Walter Rörhl fait parler son style coulé et les 258 chevaux de son Opel Ascona. Mais cette victoire limpide ne lui suffit pas et il dérape à l'arrivée.
Dans une interview au magazine AutoHebdo, le champion du monde 1980 juge que la Quattro est "si bonne qu'il n'est pas nécessaire qu'un bon pilote soit à son volant pour qu'elle s'impose." A l'entendre, un singe ferait l'affaire... Folle de rage, la Française lui répond que la Quattro "n'est pas la voiture miracle qui franchit la ligne d'arrivée deux jours avant tout le monde." L'Allemand mettra quand même quarante ans pour lui formuler des excuses.
Ecœurée par cette guerre des mots, Michèle Mouton préfère penser à autre chose et découvrir la neige suédoise sur laquelle elle n'a pas plus de chances de battre les spécialistes locaux que les "Finlandais volants" aux 1000 Lacs. Sur cette glace où les bolides tiennent sur des clous, elle percute la Quattro de Mikkola encastrée dans un mur de neige à moins de cinq kilomètres de l'arrivée. Et comble de l'ironie, le pigiste Stig Blomqvist gagne avec sa voiture victorieuse du Sanremo.
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Walter Rörhl (Audi Sport) - 1985

Crédit: Audi Motorsport

Ferveur portugaise, exploit en enfer

La Provençale n'est pas maudite et la roue va finir par tourner. Trois semaines, au Portugal, elle triomphe sur cette terre battue qu'elle commence à apprivoiser, dans un décor enfiévré. Indiscipliné, aimanté par les bolides, le public forme une masse mouvante barrant l'horizon, une haie d'honneur qui ne s'ouvre qu'au dernier moment devant les bolides, comme un torero esquive son taureau. Et c'est dans des conditions dantesques que la pilote de la Quattro n°7 fait rendre raison aux plus grands. Dans la spéciale n°11, elle prend les commandes au bout d'un enfer de 23 kilomètres. En pleine nuit, sous la pluie, elle surgit d'un épais brouillard en héroïne miraculeuse. Le fier Rörhl est relégué à 42 secondes et le téméraire Mikkola a été englouti par ce décor d'Apocalypse dans une série de tonneaux.
L'exploit de Michèle Mouton est monumental et sa victoire saluée comme il se doit. Pourtant une voix dissonante se fait entendre dans le concert de louanges. Toujours la même ! "Quand Walter Rörhl dit que c'est l'auto qui fait tout, ça me révolte !", peste la nouvelle deuxième au championnat, à quatre petits points de son rival.
Et heureusement, le public n'est pas aussi ingrat que l'Allemand. Son enthousiasme est à la hauteur de l'exploit et l'élégance particulière des femmes rend ces moments assez magiques. "Au Portugal, à cette époque, elles étaient habillées tout en noir et les voir nous offrir des œillets et des roses était très émouvant", se souvient la vainqueure.
Ce succès au Portugal est le premier temps fort de la saison de Michèle Mouton, désormais l'égale des meilleurs sur la terre, mais elle ne va pas pouvoir les affronter partout. Seuls les 7 meilleurs résultats des 12 épreuves sont comptabilisés et les équipes font des impasses, comme au Safari Rally où en l'absence d'Audi, Rörl termine troisième au Kenya et prend 19 points d'avance sur elle.
Au moment où elle pensait avoir pris son envol, l'Azuréenne subit un autre revers sur le bitume corse, où elle se classe septième place. Heureusement, l'agenda lui offre une formidable occasion de briller en terre grecque. Au Rallye de l'Acropole, elle se retrouve vite en tête-à-tête d'une course à élimination, et résiste avec autorité à Rörhl jusqu'au bout des 57 spéciales, dans le Péloponnèse. C'est un jour radieux pour la fer de lance de la firme aux anneaux, mais pas parfait au plan comptable. Elle ne reprend que cinq points à l'Allemand. Il lui en reste 20 à combler et c'est encore face à ce métronome qu'est Rörhl.

Cacher la terrible nouvelle

Comme un symbole, la Nouvelle-Zélande souligne la fragilité de la Quattro et le représentant Opel rafle encore la mise avec une troisième place. Et malheureusement, Michèle Mouton signe une victoire aussi magnifique que désespérante au Brésil : retardée par une cascade d'ennuis - ses mécaniciens ont même raté une assistance technique - elle déloge l'Allemand de la première place à cinq chronos de l'arrivée mais le gain au championnat est marginal et le scénario de cette troisième victoire ressemble décidément à la fable du lièvre et de la tortue.
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Michèle Mouton (Audi Sport) au Rallye de Grèce 1982

Crédit: Imago

Elle court donc toujours après son destin sans parvenir à le rattraper, et les quatre épreuves restantes ressemblent à un défi impossible qu'elle est quand même prête à relever. Comme aux 1000 Lacs, où elle rivalise avec Mikkola et Blomqvist avant de casser un amortisseur de nuit, à la réception d'une bosse. Un podium s'envole, quelques illusions aussi, et les regrets dominent car Rörhl n'a pour une fois pas fini. Et le Sanremo ne fait que renforcer ce sentiment de frustration : avec six Quattro au départ, Audi assure le doublé, malheureusement pas celui espéré. Mikkola et Blomqvist à la parade, l'incontournable Rörhl l'a doublée in extremis pour s'inviter sur le podium.
Quelque chose d'inexorable entoure encore l'Allemand en cette saison 1982. On a l'impression que rien ne peut lui arriver et la Côte d'Ivoire est désormais prête à le consacrer si l'Azuréenne elle ne se met pas en travers de sa route. Le seul bémol pour Rörhl est qu'il déteste les rallyes africains et tous ceux disputés sur routes ouvertes. Chez Audi, le patron Roland Gumpert en est persuadé : elle a toutes les qualités pour se couronner. L'objectif est juste de sortir de cette épreuve particulière avec des chances raisonnables de titre quatre semaines plus tard, au pays de Galles. Cependant, rien ne va être simple sur la piste et tout va basculer dans le drame avant même le départ.
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Michèle Mouton et Fabrizia Pons (Audi Sport) lors du Rallye de Grande-Bretagne 1984

Crédit: Getty Images

A 7h du matin, le jour de la première spéciale programmée au Nord d'Abidjan, Michèle reçoit un appel de son compagnon, lui annonçant la mort de son père, à l'âgé de 68 ans. Dévastée, elle exprime le souhait de rentrer sans délai. Sa mère prend alors le combiné et lui demande courir, parce que son père l'aurait voulu ainsi.
Ce rallye est devenu tellement dérisoire, Gumpert le comprend et lui suggère de renoncer et évidemment il n'en est pas question. Son patron et sa coéquipière seuls dans le secret, elle va faire front. Elle le sait : la seule façon d'échapper à cette douloureuse réalité familiale est de foncer pour ne penser qu'au présent, écouter les notes de Fabrizia Pons tomber ; y réagir machinalement pour ne vivre que dans l'instant, aller de sursis en sursis au fil des jours. Jusqu'à l'arrivée, moment où la peine et le flot d'émotions surgiront d'où elle les avait enfouis.

"J'ai confondu et tout a valdingué"

Au départ, le secret tient d'autant plus que Michèle ne laisse rien transparaître dans le refuge qu'est devenu son Audi. Personne ne soupçonne la chape de plomb émotionnelle qui entoure ses performances. Elle est une leader implacable après la première étape : elle devance Mikkola et Rörhl. Et lorsque le Finlandais est contraint à l'abandon, elle se retrouve face à son rival ultime.
Et c'est au moment où tout est en place que les choses commencent à aller de travers. "J'avais 1h15 d'avance lorsque j'ai commencé à ressentir des difficultés dans les changements de vitesse, se souvient-elle. Hannu m'a dit : avec l'avance que tu as, il vaut mieux prévoir un changement de boîte de vitesses. Ça prendra 25 minutes et tu seras tranquille." Sauf que le changement lui coûte quarante minutes, et que la boîte est bloquée lorsque démarre. "Je revois les deux mécanos allemands devant le capot qui me disaient : 'Ça doit marcher…'", se rappelle-t-elle.
La nouvelle réparation s'ajoute à la tension nerveuse. "Je courais pour mon père, et à partir de là, avec la fatigue, la déception, tout s'est mélangé, avoue-t-elle. Après la boîte de vitesses, on a pris une pénalité à cause d'un boîtier électronique qui ne fonctionnait pas. A quatre heures du matin, c'était déjà juste pour pousser la Quattro, et là il fallait qu'on la sorte. Nous n'y sommes pas arrivées à deux avec Fabrizia. On a donc pris 10 minutes de pénalité de plus. Après, il y a eu le brouillard, et je me suis dit que j'allais rattraper le temps..." Mais les pistes ivoiriennes ne ressemblent pas à celles de l'exploit portugais d'Arganil. "En Afrique, il n'est pas possible d'avoir des notes aussi précises, explique-t-elle. Quand Fabrizia m'a annoncé un parking, j'ai confondu et tout a valdingué. Après, c'était pratiquement fini dans ma tête…."
La sortie de route éliminatoire est finalement une délivrance, la fin d'une épreuve à tout point de vue. "Je n'ai jamais pensé que j'avais perdu le championnat. Ça ne m'a jamais touché beaucoup", conclura la Provençale.
Pour Michèle Mouton, la chance venait de passer et elle ne se représenterait plus. Pour Rörhl, il s'agira plus d'un soulagement que d'un accomplissement aussi important que son premier sacre. "Je ne voulais pas être le premier homme à perdre contre une femme en sports mécaniques, et ça m'a mis beaucoup de pression", reconnaît-il.
Emoussée par cette lutte, Michèle Mouton ne connaîtra plus le même succès en 1983. Son meilleur résultat est une deuxième place au Portugal, qui a plus de valeur à ses yeux que sa victoire de l'année précédente, étant données les circonstances. "Il est très vraisemblable que je demanderai à ne pas disputer le Rallye du Portugal, explique-t-elle. Si l'an dernier le public venait à jouer le toréador dans chaque virage, cette année il était d'une agressivité particulièrement insupportable. Tout le monde voulait me parler, me voir, me prendre en photo, me toucher les cheveux comme à je ne sais quelle sainte ! Au départ des épreuves comme à chaque assistance c'était du délire, et le mot est faible. Imaginez le motorhome Audi secoué comme un prunier par cent personnes qui clament "Michèle Michèle !", sur l'air des lampions."
Si elle a tout de même du plaisir de collaborer avec la troisième recrue d'Audi, le Suédois Blomqvist, un ressort se casse en 1984. Avec le renfort de Walter Rörhl, la notion d'équipe d'usine porte plus que jamais son nom. "J'avais formé une équipe très forte avec Hannu Mikkola, confie-t-elle. Il réglait pratiquement la voiture pour moi. Il m'expliquait ce qu'il avait fait, pourquoi et je conduisais la Quattro comme ça. Puis Stig est arrivé et c'était bien car on avait besoin de lui. Avec Walter, ça faisait un peu trop. J'ai senti un changement. Non pas parce que c'était lui, mais on était une équipe de quatre et on est devenu des pilotes individuels. En plus, il parlait tout le temps allemand et on ne savait pas ce qu'il racontait. Ça a installé une ambiance différente."
Le dernier podium de Michèle Mouton sera une superbe deuxième place en Suède en 1984 avant une dernière danse au volant de la nouvelle reine des rallyes, la Peugeot 205, au Tour de Corse 1985. Un clin d'œil à l'édition 1972 et une boucle refermée dans la nostalgie, la tristesse aussi. Au lendemain de son abandon, l'Italien Attilio Bettega et son copilote Sergio Cresto se tuent au volant de leur Lancia. Le drame marque le début d'une prise de conscience quant à la surpuissance des voitures du Groupe B, et condamne cette catégorie un an plus tard, jour pour jour, lorsque Henri Toivonen connaît le même destin tragique en Corse. Michèle Mouton créera la Course des champions en 1988 pour honorer la mémoire de son ami, que beaucoup voyaient comme un futur champion du monde.

Pikes Peak, "la course où j'ai senti le plus de machisme"

Entre-temps, Michèle Mouton aura trouvé un ultime défi à sa taille avec la Quattro sur la course de côte de Pikes Peak, en 1984, dans le Colorado. Avec un départ donné à 2865 mètres d'altitude et une arrivée 1440 mètres plus haut, au bout de 19,9 kilomètres et 156 virages au bord d'un précipice, Pikes Peak mérite bien son surnom de "Course vers les nuages" et représente une expérience unique. Et même normalement solitaire, ce qui la change des rallyes traditionnels. "La première année, comme je devais apprendre les 20 kilomètres par cœur et que Fabrizia [Pons] n'était pas très lourde, je suis partie avec elle et nous avons terminé deuxièmes", expose-t-elle.
Elle revient seule en 1985 pour vaincre dans une ambiance moins décontractée. "C'est la course où j'ai senti le plus de machisme, se souvient-elle. C'était flagrant, presque voyant. Ils ont vraiment tout fait pour m'empêcher de gagner. J'avais été un peu trop vite avant d'arriver au départ, aux essais. 'Overspeeding', m'a-t-on dit, à la direction de course, où il y avait le directeur et deux pilotes avec un enfant chacun sur les genoux, parce que là-bas ils sont très famille. Ils m'ont dit : 'Tu aurais pu tuer un de nos enfants'. C'est allé très loin. Ils m'ont infligé une pénalité m'obligeant à me tenir hors de la voiture au départ, et à sauter dedans sans être attachée. Je n'avais aucune chance ! Mais si la sécurité est tellement importante pour eux, qu'en était-il pour moi ? Qu'est-ce qui se passerait si je me tuais parce que je n'étais pas attachée ? J'ai reçu 5000 dollars d'amende, mais on m'a autorisée à partir ceinturée, sans vitesse engagée, en rejoignant la ligne de départ poussée par un mécanicien. Je me suis dit : 'Vous allez voir ce que vous allez voir !"
"C'est le seul moment de ma carrière où j'ai pensé que je n'allais pas y arriver, poursuit-elle. Il y avait un enchaînement de quatre virages à fond, sauf un au milieu où il fallait délester. J'étais tellement en colère que je n'ai pas levé le pied. J'ai senti la voiture partir vers la droite… et j'ai accéléré plus fort pour que la voiture parte de l'arrière. C'est passé juste, je m'en rappelle très bien…"
Cette victoire sera la conclusion d'un palmarès hors du commun, avant que Jean Todt, nouveau président de la Fédération internationale de l'automobile, ne l'appelle en 2009. "J'ai pris la tête de la Commission Femmes et Sport et j'ai été le manager du championnat du monde des rallyes. J'ai fait cinq ans de plus pour la sécurité. Je suis partie contente de ce qu'on avait fait", confie-t-elle.
Michèle Mouton méritait sûrement d'être championne du monde. Personne ne pouvait lui refuser ce droit, seulement le destin. Elle a ouvert une voie sur la plus haute marche des podiums de cette discipline qu'elle a révélé sous un jour nouveau, et c'est sa plus grande victoire. Ses héritières l'attendent. Ce n'est qu'une question de temps et de talent.
Sources : Eurosport, AutoHebdo, Echappements
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