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Michele Scarponi, ou le sourire emporté par un putain de camion

Laurent Vergne

Mis à jour 22/04/2017 à 13:15 GMT+2

La disparition de Michele Scarponi, victime d'un accident de la route alors qu'il s'entraînait à vélo, a laissé le monde du cyclisme totalement interdit samedi. Elle vient aussi rappeler à quel point les coureurs sont fragilisés lorsqu'ils ne sont pas en situation de course.

Michele Scarponi (1979 - 2017)

Crédit: Getty Images

Il y a les pertes auxquelles l'esprit peut se préparer, même si cela ne les rend pas davantage supportables. Et il y a celles qui vous happe avec une brutalité telle que leur absurdité en devient intolérable. Samedi matin, Michele Scarponi est mort. Comme il l'avait fait des centaines et des centaines de fois dans sa vie de cycliste, l'Italien avait pris le vélo pour une banale sortie d'entraînement. Sauf que cette fois, il n'est pas rentré à la maison. Il est mort à quelques kilomètres de chez lui, à Filottrano, heurté par une camionnette.
C'est peu dire que cette nouvelle laisse le monde du cyclisme sous le choc. "Je ne sais pas, je n'y arrive pas. Je n'ai pas de mots, mon ami...", a témoigné dans des mots emprunts d'autant de pudeur que de tristesse Vincenzo Nibali, pour qui Scarponi fut un lieutenant si fidèle et si précieux lors des conquêtes du Tour 2014 et du Giro 2016.
Alberto Contador, lui, s'est dit "paralysé, sans voix". Les deux hommes ont souvent ferraillé, leurs destins ne se trouvant jamais autant liés que lors de ce Tour d'Italie 2011, que l'Espagnol avait gagné sur la route devant Scarponi, avant de céder, contraint et forcé, la victoire à ce dernier sur tapis vert à la suite de sa suspension. Que tout ceci apparait dérisoire à présent.
Hier, on roulait ensemble comme des cadets…
Il y a encore quelques heures, Michele Scarponi était sur les routes du Tour des Alpes. Lundi, il en avait même remporté la première étape. Scarponi était en forme, il se préparait pour le Giro, où le forfait de Fabio Aru lui conférait un statut de leader chez Astana. Pour ceux, coéquipiers et rivaux, qui se trouvaient à ses côtés cette semaine, la stupeur est peut-être plus abrupte encore. Comment concevoir qu'une personne aussi vivante quand vous l'avez quitté le vendredi soir puisse s'évaporer comme ça ?
"Hier, on roulait ensemble comme des cadets à s'attaquer dans les montées, les descentes... On se faisait des sprints etc.", a raconté Pierre Rolland, en postant sur son compte Instagram une photo de lui et Scarponi, seuls, échappés, en montagne. Le Français avait terminé 6e du classement général, deux rangs derrière le Transalpin. N'oubliant pas d'évoquer l'homme derrière le champion, Rolland a ajouté : "Mais toujours une poignée de main après l'arrivée : une rigolade et une tape dans le dos !"
Car le coureur de l'équipe Astana, personnage affable, toujours souriant et, de l'avis général, drôle comme pas deux, était extrêmement apprécié humainement dans le peloton. Il eut été un salopard que sa disparition n'aurait pas été moins tragique, mais disons que cela ne fait qu'ajouter à la consternation. A l'image de Pierre Rolland, c'est cette perte-là que ses confrères ou copains ont voulu souligner samedi.
Trop vulnérables sur nos vélos
"Quel choc ce matin d'apprendre la disparition de Michele Scarponi, mais sa gentillesse et son sourire resteront dans nos mémoires", a ainsi tweeté Alexis Vuillermoz. "Il avait toujours le sourire dans le peloton, il nous manquera tant", a ajouté Greg Van Avermaet. Contador, lui aussi, a tenu à évoquer ce "sourire contagieux". Sourire, c'est sans doute le mot qui revient le plus ce samedi dans les témoignages et hommages. Spontanément, ce sont ces sept lettres qui leur surgissent à l'esprit pour le définir. Un sourire soufflé en une fraction de secondes.
Le cyclisme est un sport par nature dangereux. Les disparitions en course d'un Fabio Casartelli, d'un Andrei Kivilev, d'un Wouter Weylandt et de bien d'autres encore, forment les plaies béantes des risques de ce métier pas tout à fait comme les autres. Elles sont terriblement douloureuses, mais pour les coureurs, il y a peut-être quelque chose de plus insupportable encore dans des drames du type de celui qui a frappé Scarponi. Là, la colère se mêle au chagrin. Surtout si l'enquête confirme les premiers éléments dévoilés par le journal italien Il Resto del Carlino, qui évoque un refus de priorité du camion, en citant comme source les carabinieri. Cette colère qui pointe dans les mots d'Amaël Moinard : "Un de plus qui laisse sa vie sur la route. Champion ou pas, nous sommes trop vulnérables sur nos vélos."

La "Doyenne" partira sans lui, le cœur lourd

Michele Scarponi n'est pas le premier coureur, qu'il fut professionnel ou du dimanche, à trouver la mort dans l'exercice de son métier ou de sa passion. Il y a 15 mois, le jeune Romain Guyot, membre du Vendée U, avait trouvé la mort après avoir été percuté par un poids lourds. En janvier 2016, Warren Barguil, John Degenkolb et quatre de leurs coéquipiers chez Giant-Alpecin avaient frôlé le drame absolu dans des circonstances équivalentes. On aimerait croire que, de par sa notoriété, sa disparition puisse amener une prise de conscience. Sans trop y croire quand même, car la force de l'habitude et celle de la bêtise écrasent non seulement des vies mais chassent aussi l'émotion, puissante mais trop éphémère, qui accompagne ces événements. Combien de putains de camions et de putains de drames faudra-t-il ?
Tard dans la soirée de vendredi, Michele Scarponi, de retour chez lui, avait posté sur son compte Twitter une photo de lui avec ses deux "bambini" sur le dos. Ses jumeaux. "Même si ce n'est que pour une journée, j'ai pensé que je pouvais porter ces deux maillots à domicile." Le contraste entre cette image, qui ne ferait pas une vilaine définition du bonheur, et la nouvelle de ce samedi matin, dépasse presque l'entendement. Comme un énième rappel à l'ordre de l'extrême fragilité des choses. On le sait toujours, ou plutôt on croit le savoir, mais on ne le mesure vraiment que confronté à la réalité. Dimanche, Liège-Bastogne-Liège, cette course qui lui correspondait si bien, partira sans lui. Comme toutes les autres après. Et le peloton, soyez-en sûrs, aura le cœur et les jambes lourdes.
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