Tour de France 2015 - "Ce n'est pas à partir de sa performance qu'on peut dire si Froome est dopé"

Préparateur physique depuis une quinzaine d'années, Benoît Nave travaille au quotidien avec des coureurs de premier plan (Simon Gerrans, Mark Renshaw, Maxime Bouet…) et avec les données qui sont au cœur du débat depuis la prise de pouvoir de Chris Froome sur ce Tour de France. 1 000 watts ? 120 tours par minute ? Nous lui avons demandé de nous éclairer sur les éléments publiés par la Sky et calculés par différents experts.

Benoît NAVE : Si les données sont exactes, et elles me semblent plausibles, on est dans des valeurs parfaitement acceptables en termes de capacité physiologique. C'est aussi très comparable à sa performance sur la première étape de montagne du Tour 2013, à Ax-3-Domaines, quand lui et Porte avaient dominé tout le monde.

B.N. : Les Sky n'ont pas vraiment changé de niveau. Ce qui rend les différences aussi flagrantes, c'est qu'en dehors de Quintana et Valverde, les autres ne sont pas au niveau. Gesink et Mollema ont fait une bonne montée mais Nibali n'est pas à la hauteur de ce qu'il faisait l'an dernier. Geraint Thomas n'est pas une grande surprise, on l'a vu venir progressivement, s'améliorer dans ce type d'ascensions. Il ne débarque pas. Autant Tony Gallopin c'est une surprise, autant Geraint Thomas, pas spécialement.

B. N. : C'est aussi ce que faisait Wiggins. En fait, qu'est-ce que c'est un super pistard ? Un mec qui sait frotter et se placer dans un peloton, exactement ce dont a besoin un coureur de classiques. C'est plus facile de faire ça dans l'ordre pistard – coureur de classique – grimpeur que l'inverse. Si tu es pur grimpeur, tu peux toujours courir pour être bon dans les classiques et sur la piste !

B. N. : C'est n'importe quoi… D'abord, ils n'ont pas pris le bon poids pour Froome, il est complètement erroné. Le modèle de calcul ne tient pas compte du tout de tout ce qui est gagné sur les phénomènes de friction au niveau des roulements de dérailleur, des roulements de boîtier de pédalier, des maillons de la chaîne... J'avais bossé là-dessus l'année dernière avec Maxime Bouet et on avait gagné 20 watts. On ne tient pas compte non plus du rendement mécanique*. Certains coureurs ont un rendement à 21%, d'autres à 24%, et ça ne fait pas une différence de 3% mais de 15% !

B. N. : On est encore dans l'extrapolation. Si on avait le VO2max et le rendement, avec des mesures de laboratoire, on pourrait dire si le reste est cohérent – mais tu peux être à 5 W/kg et être dopé. Ce n'est pas à partir de sa performance qu'on peut dire si Froome est dopé. Ceux qui l'accusent ne savent pas, pas plus que nous. Je ne dis pas que Froome n'est pas dopé. Je dis : "Arrêtons de sortir des chiffres dans tous les sens, ce sont des conneries." Et s'il y a un mec qui est bien placé pour avoir un avis plutôt objectif sur la question, c'est Fred Grappe et il dit la même chose.

B. N. : C'est une fréquence de pédalage très élevée en montagne. J'ai regardé des gars véloces. Simon (NDLR : Gerrans, vainqueur de Liège-Bastogne-Liège, maillot jaune du Tour) n'est pas un grand grimpeur de cols mais c'est quelqu'un qui tourne bien les jambes sur des bosses de 8-10 minutes et il est autour de 91-92 tours par minute. Mais Froome a une particularité biomécanique qui est peu évoquée : son fémur est trop court, du coup il n'a pas de levier fémoral et beaucoup moins de force. Il n'a pas le choix, pour avoir une puissance identique, il doit compenser par la vitesse. C'est quelque chose qu'il avait déjà il y a très longtemps. En 2008, il tournait déjà les jambes très vite.

B. N. : C'est équivalent par exemple à Mark Renshaw, dont la fréquence maximale est aussi de 174. Avec une moyenne à 158, ça correspond probablement à un niveau de lactates autour de 4 milimoles, ce qu'on appelle de façon un peu erronée le seuil. Sur un effort de 30 à 40 minutes, c'est le rendement maximal qu'on peut espérer d'un coureur.

B. N. : (Soupir) Un mec qui est capable de voler des données, on ne sait pas jusqu'où il peut aller. Rien ne l'empêche de trafiquer ces données. Si quelqu'un arrive et dit : "C'est moi, j'ai volé les données pour le bien public, les voilà." Il n'y aura rien à dire. Mais tel que c'est fait là, ce n'est pas bien.