La Vuelta - Kuss, Vingegaard et Roglic sont prêts : l'Angliru, une horreur et un pivot pour le cyclisme moderne
Publié 12/09/2023 à 23:36 GMT+2
Dernier col hors catégorie de la Vuelta 2023, l'Alto de l'Angliru a tout de la montée décisive pour déterminer le futur vainqueur de l'épreuve au sein du trio Jumbo-Visma Sepp Kuss - Jonas Vingegaard - Primoz Roglic. Rendez-vous jeune de la Vuelta, qui se cherchait un endroit marquant dans les années 1990, la montée asturienne est une horreur pour les cyclistes, ce qui lui a joué des tours.
La reco la plus épique d'Alberto Contador : l'Angliru, un sommet vers la gloire
Video credit: Eurosport
C’est quoi l’Angliru ?
Bienvenue en enfer. L’Alto de l’Angliru est une montagne située dans le massif de la cordillère Cantabrique, à 30 kilomètres d’Oviedo, la capitale des Asturies. Il était historiquement et principalement utilisé pour la transhumance dans ce coin reculé qui surplombe la commune de Riosa. Plus tard, les randonneurs et autres férus de montagne y ont posé les pieds.
Il faut savoir que les Asturies sont des terres d’élevage et le coin a également un passé minier. La légende qui raconte que les Asturiens sont de gros bosseurs et l'Angliru résume bien leur état d'esprit. Il y a encore 30-40 ans, l'endroit avait la singularité d'avoir échappé à la politique d'aménagement du territoire local. Bien évidemment, tout a changé depuis.
Alors ça veut dire quoi Angliru ? C’est en fait une contraction d’Anguiliru, la traduction en asturien d’anguilero / anguilas, soit l'anguille. Vu les pentes abruptes proposées par le monstre, notamment dans son final, le nom a été bien choisi. Un petit lac situé dans le secteur porte ce nom.
Voici le CV de la bête qui sera le dernier col "especial" (hors catégorie) de cette Vuelta 2023 : 12,4 kilomètres d’ascension avec une moyenne de pente à 9,8%. Si les cinq premiers kilomètres sont “humains”, la seconde partie d’ascension ressemble à un cauchemar. La pente s’élève de manière radicale entre le 5e et 6e kilomètre avec de premiers passages à 22%. Au 9e kilomètre, le secteur le plus difficile, la "Cueña les Cabres", propose une pente moyenne à 18% avec des passages à 24%. Une horreur.
/origin-imgresizer.eurosport.com/2020/11/01/2926562-60125208-2560-1440.jpg)
"Je cherchais une location de VTT au pied du col" : Jacky Durand raconte "son" Angliru
Video credit: Eurosport
Comment la Vuelta a découvert ce monstre ?
A la recherche d’une ascension marquante et très difficile, pour ne pas perdre la course au spectacle face au Giro et au Tour de France et ses monstres sacrés (le Mortirolo, le Monte Zoncolan, le Tourmalet, l’Alpe d’Huez), le Tour d’Espagne s’est mis en quête de trouver la perle rare au début des années 1990. La région des Asturies proposait déjà les Lacs de Covadonga, mais l’expérience n’était pas considérée comme assez radicale.
Dans un article paru fin 2020, El Confidencial évoque le cheminement qui a mené l’Espagne à poser ses yeux sur ce bout de terre alors complètement anonyme des grandes épreuves cyclistes. Tout est parti d’un article paru en janvier 1996 dans un magazine spécialisé nommé Ciclismo a Fondo (qui existe toujours). Un reportage dédié aux découvertes pour les cyclotouristes consacre ses lignes à une ascension nommée "La Gamonal", asphaltée en 1993 par la commune de Riosa. La Gamonal, c'est l'autre nom de l'Angliru.
La suite est plus connue. Miguel Prieto, ancien directeur de communication de l'équipe cycliste ONCE - l’organisation sociale des personnes aveugles et malvoyantes en Espagne - découvre la montée lors d'une balade dans le coin, lui qui est Asturien. Il avertit l’ancienne société responsable de l’organisation du Tour d’Espagne. La perle rare tant recherchée est enfin trouvée. Quelques mois plus tard, entre 1997 et 1998, l’ensemble est de nouveau asphalté pour permettre à la Vuelta de débuter son aventure à partir de l’édition 1999.
Un mariage contrasté
L’histoire sportive entre la Vuelta et l’Angliru n’est pas aussi belle qu’attendue. Après trois passages entre 1999 et 2002, le peloton de l’époque se plaint des conditions difficiles rencontrées lors de l’ascension, où les véhicules suiveurs calent. Autre soucis : la météo horrible. En 1999, 2000, 2002, 2011 et 2013 un épais brouillard avait envahi l’endroit, proposant aux coureurs une montée presque à l’aveugle. Le regretté José María Jiménez, "El Chava", est devenu le premier vainqueur là-haut après avoir soufflé la victoire à Pavel Tonkov, sans qu'on y voit grand chose.
En 2002, celle de l'ascension la plus dantesque, David Millar quitte la Vuelta après une étape immonde, où il a chuté dans l’ascension sur une chaussée détrempée. Percuté par sa voiture au moment de son gadin, son vélo le sauvera d’une grave blessure. Juste avant de franchir la ligne d’arrivée, l’Ecossais enlève son dossard et quitte la Vuelta. "Nous ne sommes pas des animaux et ceci est inhumain", glisse-t-il sur le moment. Il regrettera sa décision plus tard.
"J'avais l'impression qu'on n'y se prenait pas bien. Ils voulaient se démarquer du Giro et du Tour de France", raconte Millar dans le documentaire "Angliru" de GCN+. "Ils voulaient du spectacle, qu'on en parle en mettant des étapes de plus en plus extrêmes et j'avais l'impression d'être un animal de cirque. Ils testaient des choses et on avait l'impression d'être des cobayes." L'épisode de 2002 restera : la Vuelta évite d'y revenir jusqu'en 2008.
/origin-imgresizer.eurosport.com/2023/09/12/3783675-76963428-2560-1440.jpg)
David Millar, à terre après une chute lors de la montée de l'Angliru, lors de la Vuelta 2002
Crédit: Getty Images
Pas un endroit marquant dans l'histoire de la Vuelta
Les polémiques ont donc éloigné la Vuelta de son nouveau jouet au coeur des années 2000. Puis Alberto Contador s’y est imposé par deux fois en 2008 et 2017, où il a signé le 68e et dernier succès de sa belle carrière. Le Pistolero en avait fait une affaire personnelle, c'est presque le seul à ce jour.
L’Angliru n'a pas été l'endroit le plus décisif de l'épreuve au fil des ans, malgré huit passages. En 2000, Roberto Heras y forge sa victoire finale à venir en profitant de la craquante d'Angel Casero. En 2013, Chris Horner y décroche son sacre à la veille de l'arrivée, en résistant aux assauts de Vincenzo Nibali, avant de le lâcher dans le dernier kilomètre. Dans les deux cas, rien de gravé dans le marbre. Il manque un grand moment de sport là-haut.
/origin-imgresizer.eurosport.com/2020/11/01/2926740-60128768-2560-1440.jpg)
Martin inspiré, Carapaz obstiné, Roglic malmené et Carthy sacré : le résumé de la 12e étape
Video credit: Eurosport
Peut-on y creuser de gros écarts ? Pas vraiment, à cause de l'extrême difficulté. Contador avait pris presque une minute sur le duo Caisse d'Epargne Alejandro Valverde (42") - Joaquim Rodriguez (58") en 2008. Mais en 2017, il avait gagné avec seulement 17 secondes d'avance sur le duo Sky Wout Poels - Chris Froome. En 2013, Kenny Elissonde, seul vainqueur français, avait résisté au retour de Chris Horner pour 26 secondes. En 2020, Hugh Carthy avait devancé son trio de poursuivants de 16 secondes. Celui qui a creusé les plus gros écarts, c'est Gilberto Simoni en 2000. L'Italien avait repoussé son dauphin à presque trois minutes.
De par sa difficulté extrême, l'Angliru est donc plus un test de résistance qu'un lieu où la légende de la Vuelta s'est écrite. Pour David Millar, aller là-bas a été un tournant pour le cyclisme professionnel. "Je pense que le cyclisme s'est développé. Mais je pense qu'ajouter l'Angliru, alors que nous n'étions pas prêts, ça a forcé le changement. Cela a forcé à changer l'organisation des courses. Cette montée est à elle seule le pivot du cyclisme moderne."
/origin-imgresizer.eurosport.com/2020/11/01/2926750-60128968-2560-1440.jpg)
Carthy n'en revient pas : gagner sur l'Angliru, "c'est un rêve qui devient réalité"
Video credit: Eurosport
Sur le même sujet
Publicité
Publicité