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Colin Kaepernick, le protestataire devenu paria

Laurent Vergne

Mis à jour 19/09/2017 à 21:01 GMT+2

NFL – Un an après avoir entamé son mouvement de protestation contre l'hymne américain, Colin Kaepernick est aujourd'hui sans équipe. L'ancien quarterback de San Francisco, qui a quitté les 49ers à la fin de la saison dernière, est devenu tricard. Pour combien de temps encore ?

Colin Kaepernick.

Crédit: Getty Images

Il y a un an tout juste, la NFL était en pleine révolution kaepernicienne. Colin Kaepernick, quarterback des San Francisco 49ers, avait mis le feu à la Ligue en protestant contre les violences policières envers la communauté noire. D'abord assis sur une chaise au bord du terrain, avant de trouver sa posture emblématique : un genou à terre. Son boycott de l'hymne et du drapeau, deux symboles sacrés aux Etats-Unis, avait fait tache d'huile auprès de certains de ses confrères en NFL, mais également bien au-delà. D'autres sportifs lui avaient emboité le pas à mesure que la polémique gagnait en ampleur.
Douze mois plus tard, le protestataire est devenu indésirable. Arrivé au bout de son lucratif contrat avec San Francisco à la sortie de l'hiver dernier, Kaepernick n'a pas retrouvé de travail. Alors que la saison régulière a débuté depuis deux semaines, l'ancienne star de l'Université du Nevada attend un coup de fil d'une des 32 franchises de la NFL. Incompréhensible, pour beaucoup. Il n'est certes pas le quarterback parfait, et après deux saisons remarquables qui lui avaient notamment permis de mener les 49ers jusqu'au Super Bowl en 2013, son jeu avait décliné.
Vous allez me faire croire qu'il ne fait pas partie des 64 meilleurs à son poste ?
Mais les franchises NFL comptent en général trois quarterbacks dans leur effectif. Soit, au total, une centaine de postes. Au strict minimum, Kaepernick pourrait prétendre à un poste de N.2. Venu en voisin au match d'ouverture des 49ers, Stephen Curry a tout résumé début septembre. "Si vous prenez les 32 titulaires et les 32 remplaçants au poste de quarterback en NFL, vous allez me faire croire qu'il ne fait pas partie des 64 meilleurs à son poste ? Si c'est vrai, je ne sais pas quel sport je regarde..." s'est énervé la star NBA, qui le soutient depuis le début.
C'est d'autant plus aberrant que Kaepernick est encore jeune puisqu'il n'a pas encore fêté ses 30 ans. Alors, pourquoi ne retrouve-t-il pas un poste ? Une rumeur persistante évoquait une gourmandise excessive de l'intéressé en matière salariale. Mais dès le mois de juin, il avait balayé l'argument. Et quand on voit que les Dolphins sont capables de payer 10 millions de dollars pour une saison un Jay Cutler qui avait… annoncé sa retraite au printemps dernier, on se dit que l'argent n'est clairement pas le nerf de cette guerre-là.
Pour d'autres, Colin Kaepernick n'aurait tout simplement plus envie de jouer au football. Mais lorsque l'ancien Niner est sorti de son silence pas plus tard que dimanche, il a clairement réfuté cette idée. Shaun King, le journaliste du New York Daily News, lui a posé la question : "est-ce que tu veux encore jouer au football?" "Oui, a répondu Kapernick sans détour. Je n'ai jamais arrêté de vouloir jouer. Je suis prêt et je m'entraîne tous les jours pour ça." Message limpide. Kaepernick veut jouer. Il peut jouer.

Septembre 2016 : Kaepernick dans la tourmente

La peur de la "fan base"

S'il n'est aujourd'hui sur aucun roster, c'est bien parce qu'il continue de faire peur. Beaucoup de managers craignent qu'il ne devienne une distraction. Que la folie médiatique n'empêche de se focaliser sur le jeu et rien que le jeu. Le 25 mars dernier, en plein free agency (la période du mercato de la NFL, pour schématiser), Joe Thomas, qui évolue aux Cleveland Browns, avait relayé cette opinion dans un tweet : "les équipes ne le voient pas actuellement comme un QB titulaire et les équipes NFL acceptent ZERO distraction de la part de leur quarterback remplaçant".
Sauf que Chip Kelly, l'entraîneur des 49ers, a répété à de multiples reprises que Kaepernick n'avait jamais été un élément perturbateur la saison dernière. "Compte tenu du contexte, Kap a été incroyable, a-t-il confié à CBS fin juin. Dans le vestiaire, certains joueurs étaient d'accord avec lui, d'autres non. Mais jamais il n'a laissé son engagement personnel perturber l'équipe. Il a travaillé, comme les autres."
Reste que certains propriétaires ont également peur de la réaction de leurs fans. Kaepernick divise, clive et cela inquiète. John Mara, l'homme à la tête des New York Giants, avouait cet été à Sports Illustrated ne jamais avoir reçu autant de courrier que sur Kaepernick. Avec un message clair : vous le recrutez, on ne met plus les pieds au stade. "Et ce n'était pas quelques mails, expliquait Mara. Mais beaucoup, beaucoup de mails. Je n'avais jamais vu ça, même après toutes ces années dans la Ligue." Et le patron des Giants de souligner le caractère très émotionnel, presque irrationnel de ces messages.
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Colin Kaepernick à la Une de Time Magazine

Crédit: Eurosport

Le soutien de Tom Brady

Paradoxalement, certains joueurs en NFL continuent aujourd'hui de mettre un genou à terre au moment où résonne le Star splanged banner, alors que Kaepernick, six mois après avoir affirmé qu'il ne protesterait plus de cette façon, est toujours sans club. Il paie, seul, un prix exorbitant.
Dimanche, le paria a toutefois reçu un soutien de poids, celui de Tom Brady. Star parmi les stars, le multiple MVP de la NFL n'était pas à proprement parlé sur la ligne Kaepernick. On dit le quarterback des Patriots proche politiquement de Donald Trump (lequel avait, en pleine campagne, estimé en septembre 2016 que si Kaepernick n'était pas heureux aux Etats-Unis, il devrait se chercher un nouveau pays), même s'il prend soin de ne pas trop s'engager publiquement.
Le 11 septembre, interrogé sur le cas de son confrère, Brady avouait ne "pas trop y prêter attention". Six jours plus tard, changement de ton. Trente minutes après la prise de parole de Colin Kaepernick sur son désir intact de jouer en NFL, l'homme aux cinq Super Bowls était interrogé sur CBS. Se plaçant sur un strict plan sportif, Brady a livré son sentiment. Opération soutien.
Je l'ai toujours admiré, j'ai toujours admiré son style de jeu. C'était un très bon jeune quarterback. Il est venu dans notre stade, nous a battus, a emmené son équipe au Super Bowl. Il a beaucoup accompli chez les pros en tant que joueur. Il est très certainement qualifié pour ce job, et j'espère qu'il aura une chance.

Chip Kelly : "Kap, un bon mec, un bon joueur"

La prise de parole de Tom Brady n'est pas anodine, d'autant qu'elle survient après celle du Packer Aaron Rodgers. "On sait tous pourquoi il n'a pas de boulot aujourd'hui", avait clamé le double MVP. Quand les deux meilleurs quarterbacks de la NFL s'expriment publiquement pour juger qu'un autre quarterback a toute sa place dans la Ligue, cela pèse forcément. Au fond, ils ne disent rien d'autre que ce que tout le monde sait : il est ridicule, sportivement parlant, que Kaepernick ne soit pas sous contrat quelque part. Mais quand eux le clament, la parole porte plus fort et plus loin.
Depuis qu'il est devenu free agent en mars, 37 quarterbacks ont signé un contrat. Mais pas lui. Il n'a été en contact direct qu'avec une seule franchise, les Seahawks. Pourtant, beaucoup d'équipes auraient besoin des services d'un QB comme Colin Kaepernick aujourd'hui. Selon Pro Football Talk, plusieurs joueurs de Cincinnati, qui vit un début de saison cauchemardesque avec deux défaites en deux matches et aucun touchdown inscrit, auraient pris la parole dans le vestiaire pour réclamer le recrutement de Colin Kaepernick.
Alors, entre sa prise de parole dimanche, le positionnement de figures comme Brady ou Rodgers et le pétrin dans lequel se trouvent déjà plusieurs équipes dès la mi-septembre, le vent serait-il en train de tourner ? Peut-être. Chip Kelly l'espère. "J'ai vu Kap trois ou quatre fois depuis qu'il a quitté San Francisco, dit-il. Je sais qu'il travaille pour être prêt. C'est un bon mec, et un bon joueur. J'ai adoré être son entraîneur. Il n'était pas à son meilleur niveau l'an dernier, notamment parce qu'il sortait de plusieurs blessures. Il serait bien meilleur cette année."
Pourtant, malgré une telle lettre de recommandation, Kaepernick attend encore. Que l'on soit d'accord ou non avec le fond et la forme de sa protestation l'an dernier, rien ne justifie un tel ostracisme. Pas d'un point de vue sportif et encore moins sur un plan moral, dans une NFL où certains joueurs, même obscurs, exercent encore leur métier après avoir agressé une femme. Kaepernick, lui, a juste mis un genou à terre.
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Colin Kaepernick en 2016 avec les San Francisco 49ers.

Crédit: Getty Images

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