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Par sa mainmise totale, le Bayern est-il en train de tuer la Bundesliga ?

David Lortholary

Mis à jour 06/06/2020 à 13:08 GMT+2

En route vers le 30e titre de champion de son histoire, le huitième consécutif, le Bayern a installé au fil du temps une domination sans partage sur la Bundesliga. Mais cette suprématie est en réalité plus financière que sportive.

Leon Goretzka et Robert Lewandowski lors du match opposant le Bayern Munich à l'Eintracht Francfort, le 23 mai 2020

Crédit: Getty Images

"Sur les 20 prochaines années, le Bayern sera champion 16 fois." La prophétie d'Heribert Bruchhagen, formulée en janvier 2006, a beau dater, elle n'en a pas perdu une once d'acuité. La réalité est étrangement proche des chiffres avancés par l'ancien président de l'Eintracht Francfort : sur les 14 saisons écoulées depuis, les Munichois du Bayern ont soulevé 10 fois le trophée appelé Meisterschale. "Et depuis la victoire 1-0 à Dortmund, il est acquis que dans quelques semaines, le 11e titre s'y ajoutera. Ce n'est qu'une formalité", tranche Martin Volkmar, rédacteur en chef du portail d'informations sportives Spox, reflétant ainsi l'avis général.
On en sera alors à 30 championnats remportés par le "Rekordmeister", qui porte son nom mieux que jamais. "Que les supporters de football en Allemagne âgés d'une dizaine d'années, avec ce 8e titre d'affilée, ne puissent se souvenir d'aucun autre champion que le FC Bayern, ça dit tout sur la domination de longue durée des Bavarois", poursuit Martin Volkmar. "Et quand on regarde à quel point, sous Hansi Flick, la confiance est revenue, quand on regarde à quel point le Bayern a profité de la pause due à la pandémie pour préparer l'équipe pour l'avenir, la probabilité est grande que le futur ressemble au présent et que la prédiction de Bruchhagen soit même dépassée."

"Quand le Bayern faiblit, les autres ne sont pas au rendez-vous"

Le Bayern a-t-il tué la Bundesliga ? La réaction des concurrents apporte des arguments à cette thèse abrupte. "La façon dont les clubs du championnat abdiquent sans combattre devant la primauté du Bayern, y compris cette saison, est un signe de faiblesse", pointe Martin Volkmar. "Le patron de Dortmund, Hans-Joachim Watzke, explique que 'nous n'avons une chance que si le Bayern faiblit'". Or c'est arrivé deux fois récemment, et personne n'en a profité : la saison passée, le Borussia a dilapidé un butin de 9 points d'avance sur un Bayern de Kovac tout sauf impressionnant, échouant notamment de manière éclatante face à un Schalke moribond dans le derby. Cette saison, les Munichois ont commencé encore plus mal, se séparant de Kovac début novembre après une claque 1-5 à Francfort. Avec son successeur, l'équipe s'est ressaisie mais n'en a pas moins enregistré deux nouvelles défaites, contre Gladbach et Leverkusen."
À la fin des matches aller, le RB Leipzig comptait quatre points d'avance sur un Bayern seulement troisième. "Quand les Bavarois faibliront, il faudra que nous soyons là", avait exhorté l'entraîneur de Leipzig Julian Nagelsmann l'été dernier, à la manière de Watzke. "Mais la reprise l'a montré : le problème de la Bundesliga, c'est que même quand le Bayern faiblit, les autres ne sont pas au rendez-vous. Et c'est le contraire qui est survenu : quand le Bayern est là, les autres faiblissent", conclut Martin Volkmar.
L'Allianz Arena du Bayern Munich
Le reproche qui sert de refrain aux adversaires des "Roten" et aux esprits critiques sur la Bundesliga ? Le Bayern assèche l'adversité en faisant son marché sur le territoire national. De fait, depuis 30 ans, la liste chronologique des transferts – dont certains gratuits, en fin de contrat – des stars du championnat national vers le Bayern est plutôt fournie et clinquante. Elle comprend une grosse cinquantaine de joueurs, de Michael Sternkopf (en provenance de Karlsruhe) à Alexander Nübel (Schalke) en passant par Stefan Effenberg (Mönchengladbach), Mehmet Scholl (Karlsruhe), Oliver Kahn (Karlsruhe), Giovane Elber (Stuttgart), Michael Ballack (Bayer Leverkusen), Miroslav Klose (Werder Brême), Manuel Neuer (Schalke) ou Robert Lewandowski (Dortmund). Et la liste n'a certainement pas fini de s'allonger.

Watzke ou la servitude volontaire

Arne Bensiek, journaliste au Tagesspiegel, connaît cette litanie par cœur et ne peut que confirmer. "Le FC Bayern a systématiquement brisé ses concurrents nationaux depuis trois décennies, de Karlsruhe dans les années 1990 à Dortmund dans les années 2010. C'est un secret de polichinelle. Plutôt faire venir un joueur de Bundesliga que de l'étranger, parce qu'ainsi, on en profite pour affaiblir la concurrence. En faisant cela, le Bayern n'a pas détruit la Bundesliga, il l'a rendue ennuyeuse. Elle serait plus intéressante si les gros transferts venaient de l'étranger, comme Ribéry et Robben, comme Thiago et Coman. Des transferts comme Götze, Lewandowski, Hummels, Rudy, Rode, Nübel et autres abîment la Bundesliga."
Le même reproche, certes dans une moindre mesure mais dans un ping-pong savoureux entre supporters des deux camps, a été fait au BvB ces dernières années, qui s'est attaché les services de Marco Reus, Sokratis Papastatopoulos, Matthias Ginter, Adrian Ramos, Gonzalo Castro, Roman Bürki, Andre Schürrle, Maximilian Philipp, Ömer Toprak, Mahmoud Dahoud, Abdou Diallo, Thomas Delaney, Marius Wolf, Julian Brandt, Nico Schulz ou Thorgan Hazard.
Robert Lewandowski
C'est que l'aspect financier, au fond, est beaucoup plus important que les aléas sportifs. Sur le dernier exercice, le Bayern a étalé un chiffre d'affaire de 750 M€, contre 500 M€ à son plus proche adversaire, le Borussia Dortmund. Hans-Joachim Watzke, qui gère la destinée opérationnelle du BvB, en a pleinement conscience. "En 2011 et 2012, la dernière fois que nous avons pu laisser les Bavarois derrière nous, leur surface salariale était de 80 M€, la nôtre de 40 M€, c'est-à-dire deux fois moins. Quelques années après, c'est toujours le même ratio : nous sommes à 110 M€, le Bayern à 220 M€. L'écart est donc passé de 40 à 110. Ça veut tout dire."
Et de poursuivre le raisonnement : "Même si nous parvenions à former de nouveau deux ou trois pépites grâce auxquelles nous pourrions les mettre en danger, les Bavarois, forts de leurs possibilités financières, feraient vraisemblablement vite leur marché chez nous. En perdant Lewandowski, Hummels et Götze, tous partis à Munich, nous avons été clairement affaiblis. Mais il est légitime que les Bavarois se servent de ce facteur financier comme d'une stratégie." Watzke ou la servitude volontaire...

"Le 'Klassiker' n'existe plus depuis bien longtemps"

"Cet argent, les Munichois ne l'ont volé à personne", rappelle Claudio Catuogno, éditorialiste au Süddeutsche Zeitung. "Ils l'ont gagné sur le marché grâce à leur domination. Une domination qui se renforce pour l'éternité. Le Bayern est le seul club allemand dans lequel les joueurs ne sont pas de passage. L'équipe n'a besoin de se renforcer qu'à la marge. Alors qu'à Dortmund, au contraire, on doit espérer que des Haaland ou Sancho restent une année de plus avant de s'en aller et qu'il faille s'atteler à un nouveau chantier."
La conclusion est péremptoire : "La dualité, ce que le monde entier fait miroiter sous le nom de 'Klassiker' Bayern-Dortmund, n'existe plus depuis bien longtemps en Bundesliga." Supportrice de longue date du Werder Brême, Jana Herrmann en a conscience mais fait contre mauvaise fortune bon cœur. "Les Bavarois dominent la Bundesliga et cette domination réduit le suspense, mais je ne dirais pas qu'ils tuent le championnat. Quand on aime vraiment le jeu, ce qui est le cas des Allemands, on doit reconnaître sans jalousie que le Bayern est au top niveau, ce qui n'est plus le cas des autres clubs traditionnels. Mais c'est vrai qu'il n'y aura vraisemblablement jamais, au Bayern, de lutte pleine d'émotion comme en ce moment à Brême..."
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Dortmund Bayern

Crédit: Getty Images

Le journaliste Sönke Gorgos a dès lors la solution ultime : "Je trouve que le Bayern devrait sortir de la Bundesliga", assène le rédacteur de Sportbuzzer. "Je précise d'emblée que je n'ai absolument rien contre le Bayern. Mais quand je regarde le classement, j'ai des maux de ventre. Prenons le cas du transfert de Leon Goretzka de Schalke, en 2018. Un transfert controversé. Les Bavarois détruisent-ils la Bundesliga avec ce transfert ? Évidemment que non. Il n'y a pas lieu de reprocher au Bayern de s'attacher les services d'un joueur libre, ni que ce dernier, meilleur joueur de Schalke, souhaite aller jouer dans le meilleur club d'Allemagne."
" En revanche, que Schalke ait cassé sa tirelire pour proposer à un joueur de 22 ans le plus haut salaire de l'histoire du club et que les Munichois aient surpassé ce chiffre sans forcer, voilà qui fait réfléchir, estime-t-il. Avec Götze, Lewandowski ou Hummels, pour n'en citer que quelques-uns, le club de départ était également sans la moindre chance."
Une concurrence démesurée qui mène à une illusion de compétition sportive. "La sortie enjouée de Karl-Heinz Rummenigge, selon lequel le transfert permettait de conserver Leon Goretzka en Bundesliga, insinuant ainsi que les supporters allemands devaient être contents de pouvoir continuer à admirer le joueur, montre à quel point les Munichois se sont éloignés de la réalité de la première division nationale. La concurrence sportive n'est même plus seulement une illusion : réfléchir dessus n'est même plus autorisé !"

"Une compétition mirage, donc une farce"

La Bundesliga est-elle, dès lors, comparable à des championnats fantoches comme en France ou en Écosse, où un seul club écrase tout ? "Une compétition dans laquelle une seule équipe peut gagner est une compétition mirage, et donc une farce", abonde Sönke Gorgos. "Le FC Bayern devrait former sa propre Super Ligue avec d'autres dominants d'Europe – le PSG, Barcelone, Manchester City – et laisser une place libre en Bundesliga, pour le bien de cette dernière."
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Franz Beckenbauer et Uli Hoeness

Crédit: Getty Images

Et non pas, comme l'a esquissé Rummenigge en tant que patron de l'association des clubs européens (ECA), d'ajouter la Super Ligue à la Ligue des champions et aux championnats nationaux car, dans ce cas, la première citée, machine à cash, perpétuerait le déséquilibre concurrentiel. "Sortir le Bayern de la Bundesliga permettrait à cette dernière de revivre et au Bayern de retrouver des adversaires à sa hauteur. Ne nous faisons pas d'illusion : même en abolissant la règle des 50+1 (qui empêche, en Allemagne, un investisseur de détenir plus de la moitié des parts d'un club), ça ne changera rien. Le football allemand montre où mène le capitalisme à long terme dans le sport : dans une impasse. Les riches s'enrichissent. Un début de solution consisterait à répartir les droits télé non pas proportionnellement mais à parts égales", esquisse Sönke Gorgos.
Pour un semblant de lutte sportive. Aujourd'hui, dans ce domaine, le Bayern a tellement d'avance qu'il est déjà dans la saison prochaine. L'entrée du jeune Cuisance contre Düsseldorf, le week-end dernier alors que le score était acquis (5-0), peut ainsi être perçu comme un signal pour l'avenir. Uli Hoeness, dont la voix continue de porter en Bavière, s'est d'ailleurs récemment enflammé à l'idée de cette "nouvelle ère" qui se dessinait au Bayern avec les Davies, Kimmich et, espère-t-il, Sané.
"Personne ne sait dans quelle mesure ce Bayern est apte à affronter la tempête, personne ne sait comment ces jeunes pétris de talent et leur entraîneur réagiront quand les grands méchants de la Ligue des champions comme Sergio Ramos arriveront et feront "Hou !"", juge Christoph Kneer, chroniqueur au Süddeutsche Zeitung. "Mais les Bavarois sont actuellement en mesure de faire un peu peur à la concurrence. Alors que les équipes de pointe, partout en Europe, sont en prise avec l'incertitude née des contraintes de la pandémie virale en ce qui concerne leur effectif, les bosseurs de Munich paraissent déjà dangereusement prêts." Pour remporter la Ligue des champions, s'entend. Bien au-delà de frontières nationales décidément trop étroites pour le géant de Bavière.
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Les célébrations du titre du Bayern en 2019

Crédit: Getty Images

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