Allemagne: Schweinsteiger est indispensable à la Mannschaft... dans un rôle inédit et multifonctions

Lukas Podolski est spécialiste des selfies. Le soir d'Allemagne-Ukraine, dans le vestiaire après le match, "Poldi" n'a pas manqué d'immortaliser le moment et de le poster sur un réseau social. Sans grande surprise, on voit la plupart des vainqueurs du soir sourire. Planté au milieu d'eux, bras croisés, port altier, l'air satisfait : le boss Bastian Schweinsteiger. Qui profite à plein de l'instant. Il y a de quoi... 89 minutes durant, le successeur de Philipp Lahm comme capitaine de la sélection avait dû regarder la rencontre depuis le banc. Longtemps blessé au genou cette saison avec Manchester United, "Basti" n'est pas revenu au top de sa forme et avait donc contraint le sélectionneur à le maintenir en réserve. À la dernière minute, alors que l'Allemagne mène 1-0 et demeure sous la menace d'un retour ukrainien, Löw décide de remplacer Mario Götze par Schweinsteiger.

La suite, comme dirait Mario Gomez, est une histoire "comme seul le football peut en proposer". 92e minute : les Allemands lancent rondement un contre qui, via André Schürrle, parvient à Mesut Özil sur la gauche. Ce dernier lève la tête et adresse le centre parfait pour Schweinsteiger, accouru de son camp comme un dératé. "Schweini" reprend de volée, porte le score à 2-0 et poursuit sa course folle façon Amok en direction des supporters puis de son banc, comme pour montrer à quel point il est en bonne santé. Il se jette enfin dans les bras de Manuel Neuer, qui l'a suppléé comme capitaine d'un soir. "Incroyable que de telles choses se produisent alors que tu penses qu'elles ne sont que des rêves", soufflera l'ancien Bavarois aux micros de la télévision allemande quelques minutes plus tard. "Je n'ai joué que 300 minutes sur toute la saison, et voilà ce qui arrive maintenant..." Plus que visible, le soulagement emporte tout. Cette délivrance d'un premier but en sélection depuis le... 7 octobre 2011 !

La vengeance est délicieuse et son frère Tobi ne s'est pas prié pour jubiler au nez et à la barbe des pourfendeurs de tout poil. "Trop vieux ! Trop lourd ! Trop lent ! Sur la fin ! Booooooooooooooom ! Ne jamais enterrer Bastian Schweinsteiger !!!", a-t-il twitté à peine la rencontre terminée.

Les coéquipiers du revenant lui ont, eux aussi, apporté un chaleureux soutien. "Super. Insensé. Quelle histoire. Je me réjouis grandement pour lui ", a lâché Thomas Müller. Son gardien Manuel Neuer est même allé plus loin. "J'espère qu'il pourra jouer d'entrée le plus tôt possible, afin de montrer à quel point il a la classe. Ses qualités, on les connaît. Il met de l'ordre dans notre jeu." Löw osera-t-il opter pour une titularisation contre la Pologne ?

Cette option est à considérer avec grand sérieux. Contre l'Ukraine, en effet, le secteur défensif de la Mannschaft a concentré la plupart des critiques. Pourtant, l'origine des courants d'air était aussi, voire surtout, à chercher au milieu de terrain. Toni Kroos est un exceptionnel chef d'orchestre offensif mais, comme d'habitude, le match a montré que son profil était plus celui d'un n°8 que d'un n°6. Le Madrilène préfère porter le danger vers le but adverse que de salir son short à la récupération. Sami Khedira, à ses côtés, a éprouvé les mêmes penchants, livrant lui aussi une prestation plus proche d'un n°8 que d'un n°6. Les défenseurs, du coup, se sont retrouvés fréquemment en situation délicate, abandonnés par leurs milieux prétendument défensifs. Un phénomène amplifié, de surcroît, par le manque de franchise, dans le repli, des milieux excentrés comme Julian Draxler. Souvent, les latéraux Jonas Hector et Benedikt Höwedes se sont retrouvés seuls à défendre dans leur secteur.

Le sélectionneur corrigera peut-être ce déséquilibre, au moins dans un premier temps, sans faire appel à Schweinsteiger comme titulaire. Et peut-être ce dernier pourra-t-il ainsi en profiter pour développer un nouveau profil : peu importe si je suis en forme, tant que je suis décisif, ça me va bien ! Le joueur aux 116 sélections – 4e rang de l'histoire derrière Matthäus (150), Klose (137) et Podolski (128) – a parcouru officiellement 530 m contre l'Ukraine, sprint d'après-but non compris. Poids des ans aidant, Schweinsteiger est comme les mécaniques italiennes du siècle dernier. Au démarrage, ne les brusquez pas. Une fois en température, en revanche, elles vous portent au nirvana dans un éclat de tonnerre et d'éclairs, procurant une intense explosion de bonheur telle que celle exprimée dimanche par le gamin de Kolbermoor.

Souffreteux depuis le Mondial 2014, en finale duquel il avait livré une prestation essentielle pour la victoire, Schweinsteiger est ressorti du garage la chevelure blanchie de poussière. Qu'il joue à Munich ou à Manchester, qu'il joue bien ou mal, qu'il joue ou pas, qu'il passe son temps dans l'avion pour suivre les matches de tennis, qu'il soit assis en cabine les genoux d'aplomb ou pas, qu'importe : il est en passe de devenir le premier joueur de tournoi de l'histoire du football. Ici, au côté des délicats esthètes que sont les Götze et autre Özil, il y aura toujours besoin d'un dur au mal qui gagne des duels en mettant son cœur à l'ouvrage. Anobli par son sélectionneur, et dont l'aura inspire le respect à l'adversaire.