Cette évolution tactique que la France refuse de considérer
ParEurosport
Mis à jour 10/10/2013 à 15:16 GMT+2
A la mode en Italie, le 3-5-2 reste un schéma impopulaire en France. Même s'il a parfois affiché une grande efficacité par le passé.
On entend souvent qu'un entraîneur est toujours seul. En France, Alain Casanova l'est plus qu'un autre. Sur la fin de la saison passée, le coach du TFC s'est démarqué de ses semblables en adoptant un système à trois défenseurs qu'il utilise encore aujourd'hui. Un 3-5-2 unique en Ligue 1 même si, ces derniers mois, Francis Gillot et Michel Der Zakarian s'y sont essayés par intermittence, respectivement avec Bordeaux et Nantes, surtout par rapport à des adversaires spécifiques et sans chercher à creuser davantage. Ils ont contribué à confirmer une idée reçue, résumée sur ce site par Philippe Troussier à notre journaliste Gil Baudu il y a un an et demi : "On considère que c'est plus rassurant de jouer à quatre derrière." Et, par extension, qu'un système en 3-5-2 n'est pas vraiment jugé comme une option par les techniciens français. Alors qu'il a prouvé son efficacité par le passé et même à l'heure actuelle, ce système n'est apparu comme une option à aucune équipe nationale et à aucun club de premier plan.
OM 1993 – PSG 1996 : un schéma qui gagne
Au départ, le 3-5-2, un système "particulièrement exigeant" comme l'explique Raymond Domenech, n'est pas vraiment dans la culture du football français, traditionnellement orienté vers le 4-4-2. Il lui a pourtant permis de connaître ses premiers moments de gloire dans les années 90. L'OM de Raymond Goethals a remporté la première Coupe d'Europe d'un club français, la Ligue des champions 1993 face à l'AC Milan (1-0), avec un système à trois défenseurs axiaux (Angloma-Boli-Desailly) et deux joueurs de couloir (Eydelie et Di Meco), deux ans après avoir atteint la finale de l'épreuve contre l'Etoile Rouge de Belgrade (0-0, 3-5 t.a.b.) avec le trio Mozer-Boli-Casoni derrière.
Le deuxième sacre européen d'une équipe tricolore, la Coupe des Coupes remportée en 1996 par le PSG contre le Rapid Vienne (1-0), avait également prouvé le succès de ce schéma. Sous les ordres de Luis Fernandez, Paris alignait aussi une défense à trois (Roche, Le Guen et N'Gotty), avec Fournier et Colleter sur les côtés. Le 3-5-2 était plus répandu à une époque plus favorable, avec davantage de marquage individuel que de défense de zone. Il convenait particulièrement bien pour contrer un 4-4-2 et avait prouvé son succès au niveau international.
L'Argentine avait remporté la Coupe du monde 1986 et l'Allemagne celle de 1990 avec ce schéma. Il convenait logiquement de s'inspirer d'un modèle qui gagnait et qui a offert au football français ses premiers succès en club, posant ainsi les bases de sa future gloire en sélection.
2004 : Les échecs de Domenech et Troussier
Une décennie après les succès de l'OM et du PSG, le 3-5-2 était quasiment tombé aux oubliettes. Les sacres de l'équipe de France à la Coupe du monde 1998 et à l'Euro 2000 avec un schéma à quatre défenseurs n'y étaient pas étrangers. La généralisation de la défense en zone non plus. La logique était de poursuivre dans cette voie et de bonifier le modèle. Pas pour Raymond Domenech, adepte du 3-5-2 avec les Espoirs avant de tenter de transposer schéma en équipe de France. L'expérience n'est pas allée plus loin que son premier match au mois d'août, face à la Bosnie (1-1), pendant une mi-temps, puis son premier match de qualification pour la Coupe du monde 2006 contre Israël au Stade de France (0-0).
Quelques mois plus tard, Philippe Troussier, nommé en novembre 2004 à la tête de Marseille, a également essayé de remettre au goût du jour un système qui avait fait la gloire des Phocéens dix ans auparavant. Il a lui aussi rapidement déchanté. Après cinq matches, il est revenu à un schéma qui convenait davantage à ses joueurs. "Ils n'étaient pas réceptifs. On aurait dit qu'ils semblaient perdus", se souvient cet inconditionnel du 3-5-2, contraint de renoncer à ses propres convictions car rattrapé par l'exigence d'un système qui nécessite des joueurs spécifiques, comme le détaille Domenech. Ces deux cas ont contribué à écarter durablement l'idée d'évoluer à trois défenseurs chez les techniciens français, hors de quelques tentatives isolées.
2013 : La France résiste, elle n'est pas seule, mais...
Le "rejet" du 3-5-2 depuis une quinzaine d'années n'est pas une exception culturelle française. En Allemagne, où le système était particulièrement populaire il y a vingt ans, toutes les formations de Bundesliga évoluent désormais avec quatre défenseurs. Le constat est identique en Espagne. Mais ces deux nations ont davantage de raisons que la France de ne pas s'appuyer sur ce schéma car elles ont un modèle qui obtient déjà des résultats. La mode du 4-2-3-1 outre-Rhin, système utilisée par la Mannschaft de Joachim Löw, est d'autant plus destinée à perdurer après avoir prouvé son efficacité au sein des clubs. Le Bayern Munich et le Borussia Dortmund, finalistes de la dernière Ligue des champions avec ce schéma, en sont les meilleurs exemples. L'Espagne est dans un cas similaire après avoir transposé le modèle barcelonais et son 4-3-3 au sein d'une sélection qui a remporté ses trois derniers grands tournois internationaux (Euro 2008 et 2012, Mondial 2010).
Le phénomène est différent en Angleterre, où Liverpool, seule formation de Premier League à évoluer actuellement en 3-5-2, est l'exception qui confirme la règle dans un pays lui aussi accroché aux systèmes à quatre défenseurs. Fraîchement débarqué chez les Reds, Mamadou Sakho témoigne des difficultés pour assimiler ce système. "Tactiquement, il faut se placer différemment. Quand on est défenseur central, il faut écarter rapidement sur les lignes de touche, on n'a pas forcément l'habitude. Il faut être réactif", nous expliquait mercredi l'ancien Parisien. Dans ce contexte, il n'est pas illogique de voir les entraîneurs de Premier League éviter de prendre le risque de ce changement. Comme en France, les traditions ont la vie dure outre-Manche. Même quand les titres se font attendre. Et même si la dernière performance marquante de la sélection aux Trois Lions, sa demi-finale à l'Euro 96, avait été réalisée avec un 3-5-2 mis en place par Terry Venables.
Les vertus du modèle italien
Si le 3-5-2 reste globalement oublié en France, en Allemagne, en Espagne et en Angleterre, il est en revanche très présent en Italie où près de la moitié des formations de Serie A utilisent un schéma à trois défenseurs. Un phénomène qui s'explique en partie par la réussite de la Juventus Turin dans ce système depuis 2011 sous les ordres d'Antonio Conte, mais les techniciens transalpins sont généralement plus ouverts au 3-5-2 à l'image de Walter Mazzarri. Ce n'est pas un hasard si ce schéma est employé si fréquemment en Italie, où la culture tactique est plus développée qu'ailleurs.
Le jeu en vaut cependant la chandelle. Après son fiasco du Mondial 2010, l'Italie de Cesare Prandelli s'est relancée en atteignant la finale de l'Euro 2012 en s'appuyant sur une ossature bianconera, utilisant parfois un 3-5-2 comparable à celui d'Antonio Conte. La révolution tactique a porté ses fruits. Le football français, dont les clubs sont globalement à la peine en Coupe d'Europe (PSG excepté), dont la sélection n'est plus loin du pire classement FIFA de son histoire (25e), n'aurait peut-être pas tort de s'en inspirer et de s'ouvrir à un système qui a aussi fait sa gloire par le passé. Le temps du changement ne semble cependant pas pour maintenant. Le fait que Laurent Blanc n'ait jamais songé à un 3-5-2 au PSG malgré la qualité de ses défenseurs centraux, les caractéristiques de ses joueurs de couloir, l'efficacité du trio Verratti-Matuidi-Motta au milieu et le potentiel du duo Ibra-Cavani en attaque, est particulièrement troublant. Il témoigne de la difficulté des techniciens français à abandonner la sacro-sainte défense à quatre.
Casanova n'a probablement pas fini d'être le seul à suivre cette voie.
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