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Révolution des oeillets : De qui Salazar était-il supporter ?

Nicolas Vilas

Mis à jour 26/04/2014 à 09:01 GMT+2

Il y a 40 ans l'une des plus anciennes dictatures du monde tombait, au Portugal. Le régime imposé par Salazar en 1933 a pondu de nombreux mythes sur son supposé clubisme. De qui le dictateur était-il supporter ? Une question qui continue de diviser les Portugais...

Salazar

Crédit: AFP

Voilà aujourd'hui 40 ans, les militaires portugais faisaient tomber la dictature de l'Etat Nouveau. Sans sang, ni heurts, la Révolution des Œillets allait mener le Portugal sur la voie de la démocratie. Antonio Oliveira Salazar avait plongé son pays dans l'autarcie depuis 1933. Et certains fantômes continuent de cohabiter avec les fantasmes. Le football faisait partie intégrante de ce système et un doute ne cesse d’attiser les débats et les haines : quel était le club de Salazar ? Une question bien plus simple que sa réponse...

Le mythe Benfica

Derrière cette interrogation polémique se cache encore et toujours les éternelles guerres clubistiques. Dans le nord, il se dit que Salazar était benfiquiste. Les nombreuses conquêtes du SLB durant la période de l’Etat Nouveau ont cultivé ce mythe qui n’a pas de réel fondement. La finale de la Coupe du Portugal de 1969 a alimenté cette croyance. Les Lisboètes allaient s’imposer (2-1 a.p.) dans ce qui allait être la rencontre la plus politisée du pays mais aussi celle qui traduit le mieux l’agonie prochaine de sa dictature. Les Etudiants se faisaient le relais de la lutte antifasciste et revendiquaient plus de démocratie, notamment dans l’enseignement. La fac de Coimbra s’était mise en grève. La répression fut violente.
Les joueurs de l’Académica se pointaient sur le terrain en blanc ou leur cap en berne, signes de deuil et de protestations pour les étudiants. Leur leader et meilleur buteur, Artur Jorge, fut privé de cette rencontre. Le hasard - et l’armée - a appelé le futur joueur… du Benfica en ce 22 juin afin qu’il honore son service militaire. Les anti-Benfiquistes se saisirent de cet épisode pour enrichir leur thèse. Plus qu’une volonté d’aider le Benfica, Marcello Caetano, qui avait succédé au très fatigué – et fatigant - Salazar, aurait été motivé par l’envie d’éviter la gloire aux jeunes rebelles. Dans les faits, le Benfica est l’équipe ayant remporté le plus de titres durant la dictature de l’Etat Nouveau. Mais cette dernière se divise en plusieurs phases. Avec une mainmise plus ou moins forte sur les divers secteurs sociaux, économiques et culturels. Le sport en faisait partie. Pas toujours intégrante…
Le Benfica a conquis la plupart des titres décernés dans les années 60 (sept Championnats, quatre Coupes nationales), années faibles du régime salazariste, dont le leader n’allait pas tarder à s’éteindre (il a quitté ses fonctions de Président du Conseil des Minitres en 1968 et est décédé en 1970.) Les guerres coloniales avaient plongé le pays dans une profonde crise. L’empire portugais s’effritait. En cette période, le SLB était alors l’équipe la plus forte du Portugal. Et pas que. Les conquêtes en Coupe des Clubs Champions en 1961 et 1962 illustraient la puissance de l’équipe alors entraînée par Bela Guttman.
Salazar n’avait pas vraiment de quoi sympathiser avec le Benfica dont la simple couleur suffisait à lui donner des boutons. Rouge. La couleur des communistes, ennemis de Dieu et de la patrie de Salazar. La propagande allait passer par là. Initialement appelés les Rouges (Os Vermelhos), les Benfiquistes se sont vus imposés le surnom de Encarnados (couleur chair). Les journalistes sportifs étaient tenus de suivre scrupuleusement cette règle.
Certains présidents du SLB se sont carrément opposés aux idées salazaristes. Fondateur et mécène du Sport Lisboa e Benfica, Félix Bermudes en a aussi été l’auteur de son premier hymne : "Avante, Avante p’lo Benfica." Un titre évocateur qui fut immédiatement censuré par les pouvoirs publics. Président des Aigles à trois reprises (1916-1917, 1930-1931 et 1945), Bermudes était un homme de lettres engagé. Un opposant connu de la dictature. En 1947, João Tamagini Barbosa est nommé président à son tour. Militaire de profession, il a été Ministre de l’Intérieur, des Colonies et des Finances au cours de la Nouvelle République de Sidónio Pais (1917-1918). Franc-maçon, Tamagini Barbosa s’est cherché politiquement. Candidat à la présidence de la République en tant que gauchiste en 1911, il a rallié le Parti Centriste Républicain en 1917 et éprouvera une certaine admiration pour le fascisme italien. Moins pour celui de Salazar. Il sera poursuivi par ce dernier après avoir été accusé de conspirer contre l’Etat Nouveau. Il mourra au cours de son mandat.

Le mythique Eusébio

Le nom d’Eusébio anime aujourd’hui encore beaucoup de débats portant sur l’éventuelle implication de Salazar dans la vie footballistique. En 1960, le jeune attaquant du Sporting Lourenço Marques s’engage avec le Benfica. Tout était pourtant dealé avec le Sporting Portugal, dont Lourenço Marques était une filiale. La légende populaire affirme que la "Panthère Noire" aurait été enlevée par les Benfiquistes. Une hypothèse que l’intéressé n’a jamais confirmée. Et pour cause. Si Eusébio a rejoint le SLB c’est qu’il y trouvait son compte. Les Lions ne lui offraient qu’un essai. La mère du buteur n’était pas rassurée par tant d’incertitudes et elle a rapidement été convaincue par la proposition du Glorioso, qui lui a offert au passage 250 000 escudos. Une coquette somme pour l’époque. Le litige entre les deux ennemis lisboètes allait durer près de six mois. Les pouvoirs publics du sport (DGEFDSE) tranchent alors : le Benfica doit verser 400 000 escudos au Sporting. Un montant vertigineux pour l’époque. La preuve que les instances dirigeantes n’étaient pas partie prenante. Eusébio a rejoint le Benfica mais ce dernier a dû débourser beaucoup pour un joueur au talent alors inconnu.
Deux ans plus tard, il est courtisé par la Juventus. "J’allais y gagner beaucoup d’argent, confie-t-il en 1995 à A Bola.Mais Salazar est intervenu a dit que j’étais patrimoine national." Cette déclaration a nourri les opinions de ceux qui voyaient en Salazar un Benfiquiste. Reste à comprendre pourquoi le dictateur a émis une telle opposition au départ d’Eusébio. D’abord parce que le joueur avait des obligations comme il l’avoue lui-même : "J’avais 20 ans et je devais effectuer mon service militaire." Salazar ne voulait dispenser qui que ce soit de ce devoir. Surtout pas à cette période. Le début des années 60 marque le début des guerres coloniales. Et Eusébio était un symbole de l’union de son Empire. Il convient aussi de modérer le statut dont jouissait Eusébio au cours de cette période. A 20 ans, il n’était pas encore un héros national, statut qu’il obtiendra en 1965 avec le Ballon d’Or.
L’année suivante, il termine troisième de la Coupe du monde avec le Portugal. C’est alors l’Inter Milan qui s’approche de lui. Mais le transfert capote, une nouvelle fois. Et Salazar n’y est pour rien. Les mauvais résultats de l’Italie au Mondial poussent les décideurs du Calcio à fermer les frontières. Officiellement, elles tomberont cinq plus tard. Dans les faits, cette interdiction de recruter étranger durera jusque dans les années 80. Eusébio est devenu malgré lui l’emblème du colonialisme portugais, de l’union de l’empire défendu par Salazar.
Le Benfica n’a modifié ses statuts qu’en 1979 pour autoriser le recrutement de joueurs étrangers. Beaucoup ont vu en ce patriotisme un rapprochement avec les idées salazaristes. Un raccourci sans réel fondement. L’Athletic Bilbao ne recrute que des Basques, le Chivas de Guadalajara ne prend que des Mexicains. En fait-on des clubs fascistes ?

Le Sporting, roi des années 40

La décennie de 1940/50 a été la plus faste pour Salazar. Pour le Sporting, aussi. Le club de la haute société lisboète a remporté cinq Championnats et quatre Coupes dans cette période. Fondé en 1906, le Sporting Clube de Portugal est profondément lié à l’aristocratie portugaise. Avant de devenir un club populaire, le Sporting était réservé aux gens de "la bonne société", comme il le stipulait dans ses statuts. Lorsqu’elle a été implantée (1926), la IIe République a transformé la monarchie "légitime" – qui tentait de retrouver le pouvoir en cette période politique très instable – en une espèce de haute bourgeoisie, composée de riches propriétaires.
Certaines familles règnent ainsi depuis des décennies sur les plus grosses boites du pays. Et pas mal d’entre elles se sont lancées en politique. Des ministres et des conseillers de Salazar étaient sportinguistes. De là à dire qu’ils influaient sur les résultats… Les Lions ont dévoré la plupart des trophées dans les années 40. Parce que – comme le Benfica dix ans plus tard – ils étaient sûrement les meilleurs. Les "Cinco Violinos" Correia, Vasques, Albano, Peyroteo et José Travassos ont animé l’attaque du SCP entre 1946 et 1949 mais aussi celle de la Seleção. L’image soignée et aristo du club en a fait un ambassadeur respectable et respecté du foot portugais. Ainsi, lorsque la Coupe des Clubs Champions a été lancée en 1955, c’est le Sporting qui a été envoyé et pas le Benfica, récent champion. Il a été choisi en hommage à son prestige international.

Les stades du pouvoir

La construction de l’ancien Estádio da Luz a contribué à forger l’esprit militant des supporters du "Glorioso". L’enceinte inaugurée le 1er décembre 1954 a été financée, en grande partie, par ses socios, qui se sentaient bien à l’étroit dans le modeste Campo Grande. Le Benfica était le grand le plus mal loti du pays, le seul à avoir dû déménager cinq fois (Terras do Desembargador, Feiteira, Sete Rios, Amoreiras et Campo Grande). Des appels aux dons et des quêtes étaient menés, avec notamment la fameuse "Campagne du ciment". Initiée lors du premier trimestre de 1954, elle visait à faciliter les finitions du stade, notamment la construction des tribunes. Les sacs de ciment abondaient de partout et même des colonies. Entreprises, particuliers : tout le monde a donné. Les clubs aussi dont… le FC Porto.
Les Dragons ont fait un don de 4006 escudos au SLB et ont ainsi rendu la politesse à leur rival qui, quelques mois plus tôt, s’était montré tout aussi généreux lors de l’élaboration du stade des Antas (le Benfica avait d’ailleurs été invité pour inaugurer le stade et s’était imposé 8-1, Porto a ensuite inauguré la Luz et s’y est imposé 3-1). En 1957, le président Bogalho avait liquidé les 12 037 638,65 escudos équivalents au coût du stade qui pouvait alors accueillir 38 000 personnes. Sans le soutien des pouvoir locaux, contrairement au FC Porto. Curieusement, la Luz a dû attendre le 21 avril 1971 pour accueillir un match de la Seleção (2-0 contre l’Ecosse). Bien après s’être essayé au Estádio Nacional, aux Antas, à Alvalade et même au Restelo, le Portugal a joué dans le nid des Aigles.

Estádio das Antas

Le projet des Antas a été approuvé en 1949 par le Ministre des Travaux Publics, Frederico Ulrich qui a alloué 3 000 000 escudos pour le projet. La Mairie de Porto aligne 500 000 escudos. Toute l’agglomération se mobilise. Le club qui végétait dans une profonde crise financière et sportive en appelle à la générosité de ses sympathisants, comme le fera le Benfica. Les aides locales (publiques ou privées) traduisent surtout une tradition spécifique. Porto est un club régionaliste, une "Nação" disent carrément certains de ses supporters. Pas assez encore pour rembourser la dette globale (11 000 000 escudos).
Ce sont les socios qui boucleront le budget, par des dons d’argent, de matières premières. Certains entrepreneurs mettront leurs véhicules à disposition du club. Les Dragons s’en sortiront sous la présidence de Urgel Horta. Député à l’Assemblée Nationale en 1953 (année de l’inauguration des Antas) et 1965, il était proche du régime. La date de l’inauguration du stade, un 28 mai, n’était pas innocente. Elle coïncidait au 26ème anniversaire de la Révolution du 28 mai 1926, qui allait instaurer la Dictature Militaire puis l’Etat Nouveau. Le président de la république Craveiro Lopes était présent. Il le sera aussi pour le baptême de la Luz, d’Alvalade ou du Restelo (Belenenses). Le palmarès de Porto durant cette période est maigre et écarte tout éventuel favoritisme.

"Espantoso" Estádio José Alvalade

En 1956, le "Espantoso Alvalade" (Epoustouflant Alvalade) est achevé. Le Sporting accouche d’une enceinte olympique de 70 000 places. Alvalade est le plus grand stade du pays. Piste d’athlétisme, éclairage artificiel… Tout y est. Une œuvre à 26 000 000 escudos que les Lions n’ont pas eu grand mal à financer. Les socios ont été sollicités. Mais, durant cette période, la masse associative sportinguiste ne rivalisait pas encore avec celle de ses concurrents. Ils étaient moins nombreux mais mieux lotis. Une quarantaine de "notables" a fait don de 200 000 escudos. Chacun. Ils se sont aussi porté garants auprès de la banque BES, qui a accepté un crédit de 8 900 000 escudos au SCP.
Le Sporting a une attache historique avec les banques (qui lui coûte cher aujourd’hui). L’Etat a concédé une enveloppe de 2 100 000 escudos. Et le Sporting ne manquera pas de rendre hommage au régime le jour de l’inauguration de son nouvel écrin. Les dirigeants choisiront le 10 juin, "le jour de la race" portugaise. Salazar, qui avait fêté ses 28 ans de règne quelques jours auparavant, sera dignement félicité. Le discours inaugural est teinté de nationalisme et d’impérialisme. Le club a mobilisé la présence de toutes ses filiales. Même celle de Goa (Inde) et de Timor. Une action forte dans une période marquée par les résurgences indépendantistes dans ces régions.

Le prétentieux Estádio do Restelo

Le dernier club de référence à changer de terrain sera le Belenenses. Quelques mois après Alvalade, Belém est fier de présenter son nouveau stade : le Restelo. Un changement dont l’équipe de Belém se serait bien passé. Les Salésias donnaient entière satisfaction au Belenenses mais la mairie de Lisbonne a réquisitionné le terrain pour y construire une école. En échange, elle refila des terrains au "Azulão". L’ambitieux projet du Restelo voit ainsi le jour. Le chantier va coûter 25 000 000 d’escudos. L’aide des socios, la solidarité de la Fédération, du Benfica ou du FC Porto, ainsi que l’aide gouvernementale (3 000 000 d’escudos), ne suffiront pas. Le Belenenses va contracter plusieurs prêts qu’il peinera à rembourser jusqu’au milieu des années 80. La construction du Restelo et ses conséquences traduisent les limites de ce club de quartier. Son principal soutien sera Américo Tomáz. Ancien président du club, il sera entre 1958 et 1974, année de la chute du régime, président de la République. A la fin des années 60, il va lui éviter la banqueroute.
L’omniprésence de Tomáz – qui donnera même son nom au stade pendant quelques années - va contribuer à faire du Belenenses l’un des préférés du régime, dans l’imaginaire collectif. Le bleu de Belém, le club de la Croix du Christ, est souvent associé aux idées salazaristes. Une vision simpliste. Le symbolisme avait une importance capitale dans les dictatures du XXe siècle. Les chemises noires italiennes avaient inspiré les uniformes marrons des Sections d’Assauts d’Hitler et les chemises bleues des fascistes portugais. Ces dernières n’étaient cependant pas liées au salazarisme. Elles en étaient même ennemies. Rolão Preto, chef du Movimento Nacional-Sindicalista (fondé en 1932), sera poussé à l’exil avant de revenir en tant que défenseur de la Monarchie, son premier amour.  Le club de la Croix du Christ  a, cependant, bénéficié de certaines décisions favorables de la part des instances dirigeantes. Les Cas Mapuala (1987), Mateus (2006) ou la rétrogradation de l’Estrela da Amadora (2009) retarderont sa descente en D2.

Porto favorisé ?

Porto a aussi bénéficié de la compréhension des décideurs du foot portugais. Avant 1946-1947, les équipes assuraient leur présence en Liga via les championnats régionaux. En 1942, le FCP ne termine que troisième de son championnat régional. Seuls les deux premiers accédaient en championnat national. Pour inclure le FCP mais aussi sous la pression des districts de Braga, Aveiro et Faro, l’élargissement a été adopté (de 8 à 12 clubs).
Quelques années plus tard, en 1955, le président Cesário Bonito s’est mis à dos la FPF et son organisme de tutelle, la Direction Générale des Sports. La fédération avait ordonné le décalage d’un FC Porto – Sporting en raison de l’absence de José Travassos. Le joueur des Lions était retenu à Lisbonne à cause du brouillard. Bonito réagit  alors avec véhémence et est radié par la Fédé. La police politique, la PIDE, se mêle aussi de l’affaire. Six autres dirigeants portistes sont suspendus. Le dossier dépasse le domaine du sport et la contestation populaire se fait sentir. Le Ministre de l’Education intervient et la FPF annule les sanctions. "Il a été le premier dirigeant capable de se lever contre le despotisme du pouvoir central", dit de lui Pinto da Costa, actuel président de Porto.

Les stades nationaux de Jamor et de Braga

Les stades les plus politisés par Salazar sont ailleurs. Inauguré en 1944, l’Estádio Nacional – qui reçoit aujourd’hui encore la finale de la Coupe du Portugal – était une promesse de Salazar. La matérialisation de la toute-puissance de son empire. Une œuvre de plus dans sa politique de grands travaux. Mais c’est deux ans plus tard, à Braga, que se tiendra la manifestation la plus instrumentalisée. Le 28 mai 1946, la cité des archevêques baptise sa nouvelle enceinte. Il s’agit du second stade public après celui du Jamor. Le lieu et la date ne sont pas anodins. Le pouvoir fête les 20 ans du coup d’Etat de 1926. Les militaires prennent le pouvoir et initient leur mouvement à Braga. Salazar est présent pour la commémoration. Chose rare. Le Premier Ministre raréfie ses apparitions en public. Contrairement aux régimes fascistes italien ou au nazisme hitlérien, il a une profonde peur des masses et du monde urbain.
Lors des inaugurations des Antas, de la Luz ou d’Alvalade, Salazar n’était pas présent. C’est le président de la République, Craveiro Lopes, qui a représenté l’Etat. Aucun club n’a donc reçu la médaille du Mérite Sportif des mains du gouvernement salazariste mais de celui du président qui est connu pour son opposition aux guerres coloniales. Il jouissait d’ailleurs d’une belle cote de sympathie en Afrique. Il sera impliqué dans l’"Abrilada" de 1961, la tentative de coup d’état menée par Botelho Moniz.

Cândido de Oliveira, le sélectionneur engagé

Cândido de Oliveira est l’un des plus grands personnages du football portugais. Pour la première édition officielle de la Supercoupe du Portugal, la fédé a donné son nom à la compétition, en 1980. Quelques années après la chute du régime dictatorial. L’ancien joueur du Benfica et du Casia Pia, sélectionneur du Portugal, entraîneur du Belenenses, du Sporting ou du FC Porto, était un opposant connu de Salazar, ce qui lui a valu d’être envoyé au camp de prisonnier de Tarrafal au Cap-Vert. C’est là-bas que le régime expédiait ses plus partisans adversaires. Il y passera deux ans (entre 1942 et 1944). Il avait été viré de son poste d’employé à La Poste mais restait le patron de la Seleção, qu’il retrouvera dès sa sortie du camp. En 1945, il fut l’un des fondateurs du quotidien A Bola qu’il voulait comme un moyen d’expression d’homme libre.
Il mourra au cours de la Coupe du Monde 1958, à Stockholm. Alors qu’il couvrait l’événement pour son canard, il a succombé à une inflammation pulmonaire. Bien que lié aux plus grands clubs du pays et même à son équipe nationale, il n’a jamais été aidé. La preuve que le pouvoir en place ne se souciait guère du football. Contrairement à l’Italie fasciste ou à l’Allemagne nazie qui connaissaient leur apogée au cours de ces années 30-40, le Portugal de Salazar n’instrumentalisait pas le sport comme moyen de propagande. Le dictateur portugais avait opté pour l’autarcie, le repliement sur soi.

Et s’il n’en avait rien à foot ?

Né à Vimieiro, près de Santa Comba Dão, Salazar était un homme attaché à ses racines. Il a intégré, à onze ans, le Séminaire de Viseu. Il y passera huit ans. L’élan populaire affirme que le Portugal de Salazar était celui des trois F : "Fado, Fátima et Football" (musique, religion et foot). Mais sa vraie devise  était : "Dieu, Patrie et Famille". Pas de place donc pour le sport, ni la musique. Salazar ne s’est jamais enthousiasmé pour le ballon rond qui est né en même temps que lui, au Portugal. Le petit António s’est pris de passion pour la religion. Gamin, il s’affirmait déjà comme un défenseur de l’église catholique. Ses gouvernements ont pondu les premières lois relatives au sport. Plus par volonté de contrôle que par conviction. Les théoriciens de l’Ecole de Francfort diront que le sport deviendra un outil d’abrutissement des masses. Même pas… Pour l’historien Ricardo Serrado (O Jogo de Salazar – A Política e o Futebol no Estado Novo), le foot était une activité trop moderne pour le très conservateur Salazar et lui faisait donc peur.
Il percevait le football comme un simple sport. Il ne contribuera que mollement à son développement. L’Etat Nouveau a interdit sa pratique dans la rue et était profondément opposé au professionnalisme. En 1943, une loi va l’interdire. L’amateurisme marron s’installe dans les années 50. Le Sporting va émettre les statuts du joueur: amateur ou subventionné ou rémunéré ; en 1954, Otto Glória va éradiquer l’amateurisme du Benfica. L’entraîneur brésilien va imposer un règlement intérieur strict, faire édifier le "Lar do Benfica", premier lieu de vie et de stage pour des joueurs de foot au Portugal. Le professionnalisme ne sera admis légalement qu’en 1960. Pressé par les bons résultats de club portugais, Salazar plie et tente de tirer vers lui une activité en plein boom et ambassadrice de son Empire. Il le fera sans grande conviction.
L’Assemblée nationale adopte la loi sur le professionnalisme le 30 mai 1960 mais ne manque pas de saluer les pratiquants d’autres sports "ayant maintenu leurs caractéristiques très dignes de purs amateurs" tout en présentant le football comme "le sport qui attise le plus de passion, appelle le plus de public et qui génère le plus d’argent." Le professionnalisme est inévitable et comme nous l’avons vu, il existe déjà. Le foot populaire, dont les clubs sont la propriété des socios, prend le dessus sur le corporatisme d’Etat dont la Direcção-Geral de Educação Física, Desportos e Saúde Escolar était le représentant. L’intérêt général qu’elle défendait était dépassé par le clubisme. Contrairement aux idées reçues, le football n’a pas été un outil d’abrutissement des masses. Le salazarime n’était donc pas le pays des "3F". Il a été un moyen de lutte, de revendication. La finale de la Coupe 1969 le prouve.
Les clubs n’ont bénéficié que de quelques aides gouvernementales pour l’édification de leurs stades. Bien que bénéficiant du statut d’utilité publique, leur survie ils ne l’ont dû qu’à eux-mêmes. Salazar n’était pas supporter d’un quelconque club. Il ne supportait même pas le football. Un sport trop moderne à son goût, suscitant trop de velléités de professionnalisme, trop de passion populaire, une invention anglaise qui plus est. Le dictateur fait partie de cette génération ayant grandi avec la honte de l’Ultimatum anglais. En 1890, le roi D. Carlos 1er cède au Royaume-Uni les territoires (actuels Zimbabwe et Zambie) reliant l’Angola au Mozambique. Le monarque se plie aux exigences britanniques. Un épisode qui sera vécu avec déshonneur, de la part des républicains notamment.
Le football s’est effectivement développé au Portugal durant la dictature salazariste. Comme ailleurs… Il a connu ses heures de gloires durant cette période mais il serait erroné que d’affirmer que le pouvoir en place l’a aidé ou qu’il l’a instrumentalisé comme outil d’aliénation des foules. Juste après la 25 avril, les mouvements politiques d’extrême gauche ont remis en cause le professionnalisme et la "mercantilisation" du foot durant la période dictatoriale. L’Etat Nouveau n’a jamais encouragé cette démarche et n’a fait que dépénaliser des pratiques déjà courantes. La médiatisation croissante de ce sport, sa forte politisation, son développement économique exponentiel en font certainement une activité bien plus asservissante aujourd’hui qu’elle ne l’était à l’époque. Mais on ne se demande plus qui supporte le président de la République. Sûrement parce que tout le monde le sait : Cavaco Silva est socio du Olhanense…
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