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Juanma Lillo, l’homme qu’il faut au football français
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Publié 31/03/2016 à 18:40 GMT+2
"J’ai rencontré quelqu’un de plus fou que nous", confia un jour Menotti à Valdano au sujet de cet homme. Futur adjoint de Jorge Sampaoli, son nom est sur les lèvres de ceux qui cherchent un avenir au banc de l’Olympique de Marseille. Portrait d’un homme dont le palmarès se compte en amitiés et en admirations mutuelles.
Juanma Lillo sur le banc d'Alméria en 2010
Crédit: Imago
Quel est l’objet du football ? Certains hommes ont pour mission d’éclairer l’époque de leurs lumières. Celui-là a les cheveux bouclés et grisonnant. Il parle vite, répond au téléphone quand il peut, aime "organiser les mots dans un certain ordre" et a pour habitude, à la fin d’une conversation, de toujours rendre son interlocuteur plus intelligent qu’il ne l’était à son commencement.
Juanma Lillo (Tolosa, 1965) a été de tous les footballs (espagnol, mexicain, colombien, chilien, basque…) et de toutes les époques (à 29 ans, il entraînait déjà Salamanque en première division). De la terrasse de sa maison installée sur les hauteurs de la Meseta, le pays des Moulins à vents, Juanma règne sur un monde d’idées et d’enthousiasme.
On raconte que Jorge Sampaoli, avide de nouveauté et de progrès, se dirigea un jour vers lui pour converser à son tour. "Jorge est un homme doué d’une grande ouverture d’esprit et qui partage la même idée que nous : dominer les matchs en faisant en sorte qu’il s’y déroule le plus de choses prévues. Notre idée est donc d’avoir l’initiative sur le jeu. Être toujours actifs, pas réactifs, même si parfois il faut apprendre aussi à réagir. Ce que cherche Jorge avec moi, c’est essayer de sortir un peu du vertige et parvenir à maintenir les matchs dans une phase plus stabilisée afin d’obtenir un meilleur contrôle sur le jeu."
Juanma Lillo est aujourd’hui le nouveau binôme de Jorge Sampaoli, l’entraîneur le plus prometteur de l’époque. Cette idée donne tout à coup l’envie de se remettre à la philo.
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Juanma Lillo sur le banc d'Alméria en 2010
Crédit: Imago
Être ou ne pas être entraîneur
Ce dont parle Juanma quand il dit "nous", c’est d’une confrérie secrète mais ouverte à tous, à laquelle appartiennent les serviteurs d’une même idée du football. Nous c’est Cruyff, Sampaoli, Menotti, Valdano et bien sûr, son ami intime et plus célèbre disciple (qu’il a dirigé au Mexique en 2006), Pep Guardiola. Aussi, la première réaction devant une telle ambition, c’est d’abord d’esquisser un pas en retrait. On hésite à accorder son crédit à un homme qui se permet de penser à l’inverse de tous les autres, qui ne se réclame d’aucun mentor célèbre, qui préfère garder un ami à perdre un travail, qui parle aussi agréablement de football avec un gamin de 15 ans, un journaliste, un philosophe qu’avec un champion d’Europe.
" Il y a des gens qui sont incroyables quand même ! Ils sont capables de te dire 'à trois heure et quart, le mardi quatorze, Cruyff m’a influencé…' . Soyons un peu honnête par pitié. À force de toujours tout simplifier, on finit par ne plus rien comprendre du tout. (…) Mon admiration pour certains hommes a plus à voir avec les joueurs que j’ai admirés, pas vraiment les entraîneurs, mis à part ceux peut-être que j’ai connus mais qui sont anonymes pour le grand public : Demetrio Terradillos, Mikel Etxarri, Joe Manuel Odriozola, Marco Antonio Boronat. Ces gens-là disaient des choses que d’autres aujourd’hui prétendent avoir inventées. C’était il y a 50 ans". Si le football pour cet homme ressemble plus à un art qu’à une technique, à un sacerdoce qu’à une profession, c’est qu’il est tout entier composé d’une matière instable et mouvante : l’esprit humain.
Son idée de jeu (baptisée" jeu de position") et celle de ses célèbres élèves tient en deux phrases. "Le jeu se développe sur une idée de bon sens qui est inscrite dans le règlement : emporte le match celui qui marque un but de plus que son adversaire. Le jeu de position c’est essayer de ne pas aller contre la nature de ce jeu. C’est tout." Le jeu et le résultat, c’est donc la même chose. Conséquence immédiate : pour gagner il faut jouer.
"Mise à part la magnitude d’une défaite (une finale, une relégation etc), je crois que la manière qu’on a de perdre m’affecte autant que la défaite. Nous sommes tous construit pour gagner. La défaite est toujours douloureuse. Je ne connais personne qui ne veuille pas gagner. Même les gamins au baby-foot veulent toujours gagner (…) Mais la manière de gagner ou de perdre est importante pour le jour d’après. Si tu gagnes alors que ton rival a tapé 5 fois le poteau et tu n’as fait que défendre, tu es soulagé, certes, mais quand le lundi tu retournes à l’entraînement, tu te sens mal."
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Juanma Lillo sur le banc d'Alméria en 2010
Crédit: Imago
Juanma et le football français
L’amitié avec Juanma Lillo est un voyage initiatique. On pensait tout savoir, tout connaître sur les choses du football. On ne faisait en réalité que lire les étiquettes que d’autres avaient posé sur elles à notre place. Si Juanma est un philosophe, c’est que sa mission consiste à retirer une à une ces petits autocollants qui nous masquent la vue pour ensuite laisser entrevoir ce que, derrière les innombrables préjugés et idées reçues, le football avait à nous dire sur nous-mêmes.
La première fois que j’ai rencontré cet homme, il était plongé dans les archives vidéo du Stade de Reims. Avec la précision et l’émerveillement du philosophe qui venait de prouver par la raison l’existence d’une vie après la mort, Juanma Lillo se mit à me parler du football français comment jamais personne ne l’avait fait avant lui.
Il venait de lever voile sur une tradition oubliée "le football français était un football merveilleux. Parmi tous les joueurs que j’ai pu voir dans les archives, c’est Roger Piantoni (ancien intérieur du Stade de Reims) qui m’a le plus impressionné. Il était capable d’améliorer constamment les conditions du jeu, où qu’il se trouve sur le terrain. Pour moi le football français est un football terriblement associatif, incroyablement collectif, avec un goût prononcé pour la victoire à travers l’augmentation des probabilités de jeu. C’est un peu dans la ligne du football espagnol qui vit en ce moment ses plus belles heures. C’est un football très fier. (…) Je me rappelle aussi de l’époque où on allait écouter les conférences de Michel Hidalgo… Quel pied ! (…) Non, les années de pénitence pour vous, ça a été celles de Gérard Houllier. C’est terrible mais il est parvenu a changé la mentalité de tout un pays." Juanma Lillo, sans jamais avoir entraîné en France, était l’homme qui en savait le mieux sur nous et nos vieilles chimères. C’est donc l’homme qu’il faut au football français.
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