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Nice ou le peuple de la zone

Thibaud Leplat

Mis à jour 16/09/2016 à 09:43 GMT+2

Il y avait longtemps en France qu’on n’avait pas vu de si belles périphéries. Lucien Favre remet au goût du jour une option tactique et philosophique ambitieuse. Pour bien se défendre faut-il se battre d’homme à homme ou s’entraider ? Voilà tout le dilemme de la défense en zone.

Lucien Favre sur le banc de Nice - 2016

Crédit: AFP

Dans cette nation imaginaire, le plus grand des tacticiens est aussi un poète. Cesar Luis Menotti, l’homme qui ne mettait jamais de glaçon dans son whisky, donne rarement dans le productivisme de supermarché, ne parle pas d’efficacité, ne compte pas les duels remportés à la fin d’un match pour se faire une opinion. Non, pour nous expliquer les principes de vie dans les faubourgs et par ce biais éduquer notre sensibilité, le sage argentin préfère la poésie aux traités d’économétrie.
Chez lui, la formule de la zone est une fable. Elle s’intitule "Chien de garde et chien féroce" et a pour thème un dilemme footballistique (et existentiel) : devant notre porte (qui veut aussi dire "but" en espagnol) faut-il défendre en zone ou en individuelle ? "Mettez un chien féroce devant la porte de chez vous. Imaginez ensuite deux voleurs. Le chien féroce se précipite sur le premier. Il aboie, se jette sur lui. Le voleur s’échappe en courant, mais le chien le poursuit et en même temps s’éloigne de la porte. Du coup, l’autre voleur peut entrer tranquillement et mener à bien son travail. En revanche le chien de garde, lui, même s’il aboiera sur le premier voleur, reviendra toujours vers la porte et ne cessera jamais de surveiller la maison. Vous comprenez ? Le chien de garde, c’est celui qui joue en zone, l’autre c’est celui qui joue sur l’homme."
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Lucien Favre, entraîneur de l'OGC Nice

Crédit: AFP

Le temps et l’espace

On pourrait dire tout de suite que le choix de la méthode pour mieux défendre est affaire de ressources et non d’idées. La zone qu’applique Lucien Favre depuis son arrivée à Nice sur tous les corners défensifs ne serait dans ce cas qu’une contingence appréciable mais éphémère. Le jour où l’Helvète aurait les hommes qu’il faut pour faire différemment (des costauds, pour parler vite), il reviendrait sans hésiter à la défense individuelle. On conclurait en 140 signes à la vacuité de cette tactique (et de cette chronique) ajoutant que pour bien défendre (et mieux écrire) rien ne vaut l’individuelle. Être fort et agressif "dans le bons sens du terme", voilà tout. Pourtant dès le premier corner cette saison, on avait trouvé cette idée largement répandue dans les bistrots bien trop insatisfaisante pour prendre la mesure de la profondeur des projets de Favre.
Dans les contrées footballistiques imaginaires que ce fin connaisseur de l’histoire de son sport nous invitait à traverser à sa suite, il y avait de la place pour les Hongrois de 1953, le Nantes d’Arribas, le Milan de Sacchi, le Lorient de Gourcuff ou le Barça de Pep. Or, ces équipes lointaines dans le temps et dans l’espace étaient pourtant proche de Nice dans la façon qu’elles avaient de défendre : regarder le ballon plutôt que la culotte de l’adversaire pour se ménager un temps d’avance sur lui.
En 2016 cette intuition a pris la forme suivante : 2-4-3-1 devant la ligne de but pour défendre les corners, joueurs alignés sur les coups francs indirects adverses, lignes regroupées à l’intérieur pour intercepter "dans le temps de la passe", absence de duels dans la surface. Dante à ce titre a été recruté pour son expertise en la matière (défense en zone au Mönchengladbach de Favre, au Bayern de Pep puis au Wolfsburg de Dieter Hecking). Le Nice de Favre habite le pays de la défense en zone systématique, la terre de ceux qui n’ont jamais aimé les bousculades ou les tirages de maillot, ceux-là même qui pensent que l’esprit ira toujours plus vite que les muscles. Nice, voilà une ville pour les poètes.

Marcel Desailly ou Vincent Koziello ?

Si cette tactique est un choix philosophique intéressant, c’est qu’elle repose sur une idée massive et commune à de nombreux sports collectifs : pour récupérer son dû (l’objet rebondissant), mieux vaut ne jamais le quitter des yeux et faire confiance aux siens (cf en Basket la défense de zone 2-3 de Syracuse de Jim Boeheim). Elle exige une grande capacité de lecture des trajectoires du ballon (donc d’anticipation), une attention renouvelée aux déplacements collectifs adverses (faire un pas en avant pour jouer le hors-jeu plutôt qu’en arrière pour suivre l’appel en profondeur par exemple) et enfin, c’est là où elle est la plus intéressante pour un entraîneur-pédagogue comme Favre, une proximité et une communication permanente entre ses pratiquants (en zone on défend en parlant).
Conséquence : dans le peuple de la zone, peu importe que vous ayez le corps de Marcel Desailly ou celui de Vincent Koziello. Ce qui compte c’est la façon que vous aurez de coordonner vos mouvements à ceux de vos coéquipiers, de maintenir un espace réduit entre chacun d’entre eux (10 à 15 mètres en récupération à City, 2 mètres sur un coup de pied arrêté défensif à Nice). L’originalité de cette tactique (théorisée en France par les hommes du Miroir du football dans les années 1960 sous le nom de code de "défense en ligne") repose bien sur la solidarité entre les hommes plutôt que leurs aptitudes physiques individuelles. Pour bien défendre en zone, il faut bien connaître son coéquipier c'est-à-dire, au sens propre, bien le sentir.
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Vincent Koziello, milieu de l'OGC Nice

Crédit: From Official Website

Erreur de marquage, alibi d’entraîneur

Pep, illustre habitant de la zone : "si tu es placé en défense individuelle, quatre rivaux peuvent t’emmener au deuxième poteau et alors on t’en glisse un au premier. Ou l’inverse. Ceci n’arrive pas en défendant en zone. Défendre en zone est plus intéressant que de défendre sur l’homme. Pour un joueur, il n’y a rien de plus facile que d’être responsable de sa zone. Cette responsabilité individuelle devient collective au nom de la solidarité de tout le groupe".
Guardiola eut fort à faire dès les premières semaines de son mandat à Barcelone en 2008 (juste avant de tout gagner) quand il imposa le retour de la zone intégrale sur tous les coups de pieds arrêtés défensifs à un pays qui n’y était plus habitué (c’est aujourd’hui monnaie courante). Le consultant perdant une explication automatique à toutes les situations défavorables - la fameuse "erreur de marquage", et pour cause il n’y en avait plus, de "marquage" - l’entraîneur était devenu tout à coup le nouveau bouc émissaire de la chasse à l’homme tactico-télévisuelle.
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Josep Guardiola, l'entraîneur de Manchester City, lors du match face à Stoke City

Crédit: Panoramic

Au nom des périphéries

Voilà pourquoi vivre dans la zone n’a jamais rien de confortable pour celui qui la prône (cf les problèmes défensifs niçois lors du premier match de Dante face à Marseille dimanche soir). Alors pour nous donner du coeur à l’ouvrage, écoutons Juanma Lillo, Premier Ministre de cette nation sans État, nous rappeler les principes élémentaires du vivre-ensemble tactique (N. Amieiro, Defensa en zona en el fútbol, 2007): "Comme je le dis depuis des années, pour jouer en zone il faut vivre en zone. Le jeu est une activité qui d’abord se ressent et ensuite se met en marche. On sait les vertus de la zone : la responsabilité, la solidarité, l’entraide, la coopération, la collaboration. Ceux qui vivent de cette façon savent jouer de cette façon. Nous partageons les espaces et les efforts pour qu’à la fin nous partagions aussi les bénéfices. C’est bien sûr aussi un partage des responsabilités. La quintessence de la zone c’est donc le partage. C’est un concept d’intégration, non de désintégration. Etrangement cette idée semble entrer en conflit avec la tendance déjà bien installée qui encourage à toujours plus d’individualisme." Collaborer les uns avec les autres pour se sauver collectivement : la zone n’est pas une tactique, c’est une fable.
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