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France - Allemagne, 2013, match politique ? Entretien avec Chérif Ghemmour, auteur de "Terrain miné"

Eurosport
ParEurosport

Mis à jour 06/02/2013 à 13:26 GMT+1

Chérif Ghemmour, journaliste et auteur du livre "Terrain miné", mesure le changement radical de climat autour des France - Allemagne depuis les rancoeurs de Séville 1982.

France, Allemagne, drapeaux

Crédit: AFP

France-Allemagne a été organisé pour célébrer les 50 ans du Traité de l’Elysée. Vous qui avez étudié quinze matches "politiques" dans votre livre Terrain Miné, ce France - Allemagne est-il un match à caractère politique ?
C.G. : Non, plus vraiment. Comme je l’ai mentionné dans mon livre au chapitre "RFA-France 1982", depuis Séville et les résurgences du passé de 1939-45, les deux pays entretiennent des relations très étroites du point de vue économique et politique (l’Axe Paris-Berlin demeure le moteur de l’UE) ou du point de vue culturel, qu’il soit institutionnel (Arte, Erasmus, LV1 ou LV2 dans les deux pays) ou informel (Tokio Hotel, Scorpions et rap français, Inspecteur Derrick ou Commissaire Navarro, cinéma français toujours coté en Allemagne). Du point de vue footballistique, les deux nations se sont rapprochées : Lizarazu, Sagnol, Ismaël, Micoud ou Ribéry ont très bien exporté le made in France en Bundesliga. Côté français, Gernot Rohr, Köpke, Klinsmann, Wörns, Völler, Allofs et récemment Peter Zeidler (ex-coach de Tours) ont aussi rapproché les deux pays. Il n’y a plus d’antagonismes politiques réels entre France et Allemagne.
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FOOTBALL - Blog - Ghemmour

Crédit: Eurosport

L’Allemagne n’a plus battu la France depuis 1987. Ferait-elle à son tour un complexe face à son voisin et rival, après de longues décennies de domination allemande ?
C.G. : Oui, un peu… Pendant longtemps, entre autres par la voix-même de Franz Beckenbauer, le football allemand affichait une faible considération pour le foot français qui confinait presque au mépris. Les choses ont un peu évolué avec les Bleus de Platini. Et encore !... La Mannschaft a battu la France lors des Coupes du monde de 1982 et 1986. Tout a changé avec la victoire en coupe du monde 1998 : le football allemand a pris une claque. Au point de copier la formation à la française (mais aussi la formation hollandaise et ensuite espagnole) et d’assouplir le code de la nationalité allemand pour permettre aux enfants de l’immigration de pouvoir jouer pour l’Allemagne (Özil, Khedira, etc.) Le foot allemand respecte beaucoup plus le foot français. Mais avec un bémol évident : la France n’a pas tenu son rang après 1998-2000, même malgré la finale 2006 de Coupe du monde. Pour les Allemands, la régularité au plus haut niveau est la condition de l’excellence et de sa participation au gotha mondial. L’Allemagne n’a pas battu la France depuis 1987, mais ce n’étaient que des matches amicaux… Et puis l’Euro 2012 des Bleus a été un échec marquant. Reste que, oui, surtout après les victoires françaises récentes contre Angleterre, Brésil, Italie et le nul en Espagne, plus la victoire des Bleus à Brême l’an passé, l’Allemagne craint la France. Le phénomène Ribéry, de retour au premier plan, amplifie le respect pour le foot français.
Vous relevez dans votre livre que la France et l’Allemagne ne se sont pas affrontées en compétition officielle depuis 1986. Avec le sous-entendu suivant : les raccourcis "belligènes" entre les deux nations, qui avaient fait florès après Séville, pourraient alors se réveiller…
C.G. : Ce n’est pas exactement ça. Je déplorais dans un premier temps, en tant que "supporter" des Bleus, le fait que la grande France 1998-2000 n’ait pas pris une revanche emblématique sur la Mannschaft avec une symbolique totalement inversée : France N°1 Mondial écrasant avec Super Zidane contre une Allemagne rabougrie… Pour en revenir aux résurgences "belligènes", elles ne sont pas à exclure. Mais il faudrait un incident grave (un attentat à la Schumacher non assumé et sans excuses ultérieures, un acte de racisme caractérisé, une défaite injuste provoquée par un arbitrage insensé ou bien une déclaration vraiment incendiaire) pour réveiller les vieux démons. Les jeunes générations en France n’ont pas connu le passé belliqueux (Guerres, Séville 82). Au contraire : elles admirent cette Mannschaft séduisante, talentueuse, jeune. L’Allemagne newlook fait plus envie qu’autre chose. Même le terrifiant maillot blanc frappé de l’aigle noir n’inspire plus la terreur d’autrefois.
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1982 Seville France Allemagne Tresor

Crédit: Imago

Que reste-t-il de Séville 82, aujourd’hui, quand la France et l’Allemagne se retrouvent sur un terrain de football ?
C.G. : Déjà, que Battiston refuse de rencontrer Schumacher ! C’est plus qu’une simple anecdote. Les deux hommes sont souvent conviés pour ce genre de rencontres ? Mais Patrick préfère zapper Harald… A mon avis, Séville 82 remontera forcément à la surface en cas de match à enjeu réel : qualifications (ou affrontement direct) à l’Euro ou à la Coupe du monde. Imaginez un quart ou une demie en Coupe du monde, et qu’on en vienne aux prolongations, ou aux tirs au but… Sinon, le contexte général est toujours accommodé à une symbolique pacifique, voire fraternelle, sous l’égide de l’amitié entre les deux peuples et de la construction européenne : tout concourt à éviter tout dérapage.
Dans quelle mesure l’évolution de l’équipe d’Allemagne depuis 1990 épouse-t-elle l’histoire de la réunification et de ses conséquences politiques ?
C.G. : La réunification a d’abord permis d’intégrer des Ossies talentueux en Mannschaft : Sammer, Ballack, Kirsten, etc. Un plus incontestable pour le foot allemand. En revanche, la réunification a laminé les clubs de l’Est de l’Allemagne… Ils ne figurent plus du tout en Bundesliga. Du coup, le réservoir potentiel s’estompe un peu au profit des joueurs allemands issus de l’immigration. Il a fallu globalement digérer la réunification et restructurer le football allemand en tenant compte de l’apport nouveau d’un "autre pays" (l’ex RDA) : un challenge vraiment pas évident à relever qui a plombé un temps la bonne marche du football outre-Rhin.
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris au cours de vos recherches pour Terrain miné, sur les relations entre certains matches de football et la politique ?
C.G. : D’abord le sentiment profond que très souvent, les joueurs de football sont instrumentalisés malgré eux par des enjeux politiques qui les dépassent. A l’Euro 2012, les footballeurs grecs pensaient d’abord à battre l’Allemagne sportivement, et non pas à prendre une revanche politique à cause des difficultés financières que la Grèce imputait à Angela Merkel. Bien sûr, il y a des cas où les joueurs sont conscients que les enjeux sportifs sont aussi importants que des enjeux politiques : l’équipe du FLN 1958 représentait la nation algérienne en gestation, la Catalogne exorcise un peu les tristes souvenirs du Franquisme à chaque victoire du Barça contre le Real. Ensuite, l’autre grand enseignement est que l’Histoire est mouvante et émouvante. En 1974, les Allemands de l’Ouest avaient fini par considérer que la RDA était une nation étrangère et que la réunification était presque une chimère. Emouvants aussi les témoignages des footballeurs, acteurs ou spectateurs de drames terribles : Faruk Hadzibegic, capitaine de la Yougoslavie qui s’est pris la guerre en pleine figure alors qu’il ne l’imaginait même pas… Ou bien les internationaux chiliens forcés de jouer à l’Estadio de Santiago qui a servi de prison à ciel ouvert (1973), ou bien les Zaïrois sommés par Mobutu de ne pas prendre plus de 3-0 contre le Brésil au Mondial 1974 sous peine d’aller en prison… Même la mésaventure de Schumacher a quelque chose de touchant : certes, il s’est comporté comme un voyou contre Battiston. Mais de là à recevoir des menaces de mort en Allemagne parce qu’il avait souillé l’image de marque de son pays…   
Question impossible : quel a été le match le plus politique de l’histoire, celui au cours duquel les joueurs ont le plus été les acteurs involontaires d’enjeux qui les dépassaient ?

C.G. : C’est un match non officiel qui s’est déroulé le 9 août 1942 à Kiev durant la Seconde Guerre mondiale. L'équipe ukrainienne du FC Start a affronté une équipe nazie en match "retour" après une première manche où ils avaient battu les Allemands 7-2. L'état-major allemand avait exigé des joueurs ukrainiens qu’ils s'inclinent sinon, c’était la mort. Les Ukrainiens réduits à dix l’ont emporté 5-3 puis se sont fait arrêter, torturer et déporter dans des camps où la plus part mourraient. Le journaliste Pierre-Louis Basse a écrit un livre sur cette histoire, Gagner à en mourir. Evidemment, les joueurs ukrainiens avaient pleinement conscience des enjeux politiques où une victoire mettrait à mal l’idéologie nazie. Sinon, les fabuleux footballeurs hongrois de Puskas ont été malgré eux instrumentalisés par le régime communiste à la coupe du monde 1954 : on attendait d’eux qu’ils battent la RFA en finale pour deux motifs. Le premier, politique : se venger de l’Allemagne, pour le prix des exactions nazies en 1939-1945. Le second, idéologique : assurer la primauté du Communisme sur le Capitalisme… Battus par la RFA (2-3), les joueurs hongrois ont été reniés et humiliés par le régime qui en avait pourtant fait des héros du Peuple, autrefois…
CHERIF GHEMMOUR, Terrain miné, Hugo Sport, 192 pages, 17,50 euros.
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