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Rafael Benitez (Newcastle), la chanson du mal-aimé

Philippe Auclair

Mis à jour 20/03/2016 à 19:27 GMT+1

PREMIER LEAGUE - Souvent moqué et vivement critiqué dans la majorité des clubs où il est passé, Rafael Benitez a repris les rênes d'un Newcastle bien mal en point pour un énième pari. Mais si vous pensez qu’il s’agit du dernier coup de dés d’un technicien ‘fini’, vous vous trompez du tout au tout.

Newcastle's Spanish manager Rafael Benitez (2nd R) speaks with Newcastle's Spanish footballer Ayoze Perez (2nd L) during the English Premier League

Crédit: AFP

L’amant délaissé de Guillaume Apollinaire avait au moins la poésie pour compagne. Mais Rafael Benitez n’est pas un poète, et doit parfois se sentir bien seul. Les pieds qui le préoccupent ne sont pas ceux qu’on compte dans un alexandrin. Il est le plus banal des hommes, de ceux que Daumier aurait caricaturé à son bureau de notaire, deux paires de lunettes sur le front dégarni, ou au physique duquel Flaubert aurait pu penser lorsqu’il créa Monsieur Homais. Il est difficile de réconcilier la poésie avec le tour de taille d’un bourgeois louis-philippard. La barbe et la moustache ne parviennent pas à faire oublier les mentons qui s’additionnent.
En coulisses, jamais bien loin, José Mourinho rigole doucement, celui derrière qui Rafa "doit faire le ménage" presque chaque fois, a dit Montse, l’épouse de Benitez. "Elle ferait mieux de s’occuper de son régime", a-t-il dit. Ce serait donc peut-être le nombre de trous percés dans une ceinture qui permettrait de départager les escrocs des génies en football. A se demander si, pour se faire respecter comme entraîneur au XXIe siècle, il convient d’affiner sa silhouette au point de faire honte à certains de ses joueurs.
Ce n’est qu’une hypothèse, plutôt bancale, je l’admets – mais j’ai tant de mal à comprendre le dédain dont on accable le seul entraîneur de l’histoire à avoir remporté la Ligue des Champions, la C3 (deux fois), la Supercoupe d’Europe et la Coupe du Monde des Clubs que je m’y tiendrai pour le moment. À son palmarès figurent également deux Ligas, les Coupes d’Angleterre et d’Italie ainsi que quelques autres colifichets du genre Community Shield et Supercoppa Italia.
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Rafael Benitez, le nouveau coach de Newcastle

Crédit: Panoramic

Et deux promotions, avec Extramadura et Tenerife, du temps où l’ancien international espagnol U19 était plus svelte qu’aujourd’hui. En fait, lors des trois dernières décennies, il n’a quitté qu’un seul club sans avoir gagné un trophée: celui pour lequel il a une place à part dans son coeur, le Real Madrid. Il est vrai que n’ayant duré que sept mois à Santiago-Bernabeú, il lui aurait été difficile d’y étoffer son CV.

Perez voulait virer Benitez après le 10-2 du Real face au Rayo Vallecano

Un mot sur ce si bref passage, qui était condamné à l’échec avant même que Benitez ne pleure d’émotion lors de sa toute première conférence de presse. Ne vous leurrez pas. Avant même que l’ineffable Florentino Perez ne décide de redonner sa liberté à Carlo Ancelotti pour des raisons que seul un aliéniste pourrait déterminer, les couteaux qu’on allait ensuite planter dans le dos de Benitez étaient déjà revenus de l’atelier du rémouleur, pour être distribués à la presse, en particulier, cette presse qui ne vit que par et pour les faveurs de quelques puissants, et fit tout pour saborder le travail du nouveau manager des Merengue dès que celui-ci se mit à l’ouvrage. Avec succès.
Une anecdote dont je puis vous garantir l’authenticité vous en dira long sur cette nef des fous qu’était devenu le Real de Perez, du bateau ivre dont a hérité un fusible appelé Zinedine Zidane. Vous vous souvenez sans doute de la victoire 10-2 des Madrilènes sur le Rayo Vallecano, le 20 décembre dernier (dont le mérite fut évidemment attribué aux joueurs merengue, et pas à leur entraîneur).
Eh bien, ce soir même, il fallut l’intervention de quelques proches de Perez pour empêcher que celui-ci n’annonce le limogeage de Benitez dans la foulée. “Tout de même, Florentino, après avoir marqué dix buts…” Perez descendit malgré tout dans le vestiaire pour s’en prendre à son entraîneur – pour lui reprocher d’avoir fait sortir Gareth Bale à la 74e minute, alors que le score était de 8 buts à 2 en faveur de son équipe.
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Florentino Pérez lors de la présentation officielle de Rafael Benitez comme entraineur du Real Madrid le 3 juin 2015

Crédit: Panoramic

Il avait marqué quatre fois, je voulais le ménager et qu’il aie droit à une ovation”, tenta d’expliquer Benitez. "Quatre buts, justement !, s’étrangla le président du Real. Il ne lui en manquait qu’un pour égaler le record de Ronaldo !" Et d’ainsi permettre à l’un des chouchous de Perez de faire redescendre le Cristiano d’un degré sur l’escalier le menant à l’Olympe. Gérer des joueurs rétifs est déjà compliqué ; gérer un président de cet acabit, à d’autres.
D’autres que Rafa, en tout cas, Rafa qui n’est pas la diplomatie faite homme, reconnaissons-le, aussi simple et charmant qu’il puisse se montrer en privé. Il s’agissait d’une erreur de casting, tout le monde le savait d’entrée. Benitez aurait dû résister à l’élan émotionnel que la proposition de Perez suscitait en lui, et en fut incapable. Mais ‘incapable’, tout court, il ne l’est sûrement pas.

Benitez se tourna vers nous pour nous montrer une feuille de papier sur laquelle était dessiné le trophée européen et écrit "THANK YOU MR BENITEZ"

Demandez plutôt à ces fans de Chelsea qui le honnissaient, le huèrent et l’insultèrent à longueur de match lorsqu’il succéda à Roberto Di Matteo, l’homme qui avait marqué pour les Blues à Wembley en finale de la Cup et leur avait – enfin – donné le titre de champion d’Europe qui leur manquait au point d’être une sorte d’amputation. Quelle bronca…quelle haine, même.
Et pourtant, quelques mois plus tard, le 19 mai, pour être précis, j’étais dans la tribune de presse de Stamford Bridge, juste au dessus de la zone technique de Chelsea, qui avait remporté la Ligue Europa quelques jours plus tôt et en finissait ce jour-là avec le championnat d’Angleterre, qualification pour la Ligue des champions en poche. Un garçonnet d’une dizaine d’années s’était positionné juste au-dessus du banc de Rafa, et passa le match à tenter d’attirer l’attention de l’entraîneur sur une affichette qu’il avait façonnée, sans succès.
De dépit, il se tourna vers nous, journalistes, pour nous montrer une feuille de papier sur laquelle était dessiné le trophée européen et écrit “THANK YOU MR BENITEZ”. Peut-être que les purs et durs de Chelsea ne seraient pas allés aussi loin – mais la transformation de l’atmosphère dans le stade était si frappante qu’on se demandait si, tous comptes faits, Roman Abramovitch n’allait pas faire une belle erreur en ne prolongeant pas l’intérim du mister espagnol.
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Benitez presented by Newcastle

Crédit: Eurosport

Si vous pensez qu’il s’agit du dernier coup de dés d’un technicien ‘fini’, vous vous trompez du tout au tout

Chelsea avait non seulement sauvé une saison mal engagée, mais aussi produit un jeu beaucoup plus entreprenant que ce qu’on attendait d’une équipe de Benitez, homme de système et de systèmes, répétiteur inlassable de séquences conçues sur son iPad chéri, cauchemar des traîne-crampons et des improvisateurs. Je pus écrire plus tard que José Mourinho, revenu à Chelsea, avait fait régresser le jeu des Blues; et je ne me trompais peut-être pas tant que ça.
Même la réputation d’austérité que Benitez acquit à Liverpool est elle aussi affaire de perception. Ses Reds n’étaient pas toujours des plus enthousiasmants à regarder; mais je garde un souvenir ému de l’équipe de 2008-09, laquelle termina avec deux défaites de moins à son débit que le champion Manchester United, après avoir avoir aligné une série de douze victoires en quinze matches dans lesquels la manière était aussi au rendez-vous.
Et voilà Rafa le mal-aimé, le sous-estimé, le ronchon, qui débarque à Newcastle. C’est la preuve qu’il désespère d’avoir un job, dit-on. Newcastle! Relégable! Certes, Montse et les enfants sont restés à Wirral, à Liverpool, donc, et papa pourra donc apprécier la cuisine de son épouse plus souvent que lorsqu’il était à Milan, Naples ou Madrid. Mais si vous pensez qu’il s’agit du dernier coup de dés d’un technicien ‘fini’, vous vous trompez du tout au tout.
Il y a une part de risque dans son pari, c’est certain. Mais il y a également, si ce pari réussit, l’opportunité de diriger un club qui continue d’attirer 50 000 spectateurs à chaque match disputé à St-James dans le championnat le plus riche du monde. Ne serait-ce pas, plutôt qu’un aveu de faiblesse, la preuve que Rafa croit plus que jamais en lui-même ?
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