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Henry, Neville, Shearer... Ces "Einstein du foot" qui agacent la Premier League

Bruno Constant

Mis à jour 23/12/2016 à 23:51 GMT+1

PREMIER LEAGUE - Ils s'appellent Gary Neville, Jamie Carragher, Thierry Henry ou Alan Shearer et certaines de leurs analyses (opinions ?) agacent de plus en plus auprès des managers de Premier League. Une "guéguerre" vieille comme le monde du ballon rond...

Thierry Henry et Jamie Carragher au micro de Sky Sports

Crédit: Panoramic

Cela ne vous a sans doute pas échappé. Le 12 décembre dernier, Jürgen Klopp s'est départi de son habituel sourire lors de sa conférence de presse. Le manager de Liverpool n'était pas d'humeur à plaisanter avec les journalistes. L'Allemand était très remonté. Il en avait après les frères Neville, Gary et Phil, très critiques à l'égard de son gardien et compatriote, Loris Karius, qu'il a fait venir de Mayence l'été dernier pour apporter davantage de sécurité dans la relance (très à la mode, décidément). Le premier avait épinglé les premiers mois du jeune portier (23 ans), coupable à Bournemouth (3-4) : "il transmet de l'anxiété à toute l'équipe". Karius avait commis l'erreur (de jeunesse ?) de lui répondre dans une interview au Daily Mail - "il a été un peu manager avant (Valence) et, maintenant, il est à nouveau un expert" -, au point de s'ajouter davantage de pression face à West Ham (2-2) à Anfield où il fut loin d'être irréprochable sur le coup franc de Payet.
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Klopp conseille à Karius de "se boucher les oreilles"

Le soir-même, le plus jeune des Neville, Phil, en rajoutait une couche - "il devrait la fermer et faire son boulot !" -, une manière de défendre son frère aîné. Klopp accusa les deux anciens joueurs de Manchester United de vouloir déstabiliser son club et notamment Gary : "Il a montré qu'il souffrait pour juger les joueurs (en tant que manager, à Valence), donc pourquoi nous les laissons parler des joueurs à la télévision ? Je ne les écoute pas." Il oublia au passage les piques de Jamie Carragher, ex joueur des Reds, mais suivait pourtant son conseil d'écarter Karius au profit de Mignolet deux jours plus tard face à Middlesbrough (3-0) puis à Everton (1-0). Résultat : deux succès et deux clean sheets.
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Simon Mignolet

Crédit: AFP

"You can't win anything with kids"

Cette guerre des mots - même si le terme convient d'être relativisé par les temps qui courent - et ses conséquences témoignent du poids et de l'influence des consultants TV en Angleterre. Les "pundits", comme on les appelle outre-Manche, sont tous d'anciens joueurs de Premier League, souvent illustres, pour la plupart britanniques, mais pas seulement. Ils sont partout, à chaque rencontre, sur toutes les chaînes, dans chaque émission. Alan Shearer, Ian Wright, Martin Keown ou Ruud Gullit à Match Of The Day, Jamie Carragher, Gary Neville, Thierry Henry, Jamie Redknapp ou Graeme Souness sur Sky, Rio Ferdinand, Paul Scholes, Steve McManaman, Michael Owen ou Harry Redknapp sur Bt Sport.
Une tradition introduite depuis la nuit des temps en Angleterre et notamment à travers son émission culte, Match Of The Day, sur la BBC qui résume, depuis plus de cinquante ans, toutes les rencontres chaque samedi et dimanche soirs. Le concept est simple : un présentateur (l'ancien joueur Gary Lineker depuis 1999) et deux consultants qui décortiquent et analysent les différents matches de la journée. Un show qui compte également son lot de polémiques.
La plus célèbre reste la mauvaise prédiction d'Alan Hansen, ancien défenseur du grand Liverpool des années 80, aussi élégant sur le terrain qu'incisif dans ses critiques, à propos du Manchester United d'Alex Ferguson, battu à Aston Villa (1-3) lors de la première journée de la campagne 1995-1996 : "You can't win anything with kids". Comprenez : "Vous ne gagnerez rien avec des gamins". Après avoir vendu trois joueurs d'expérience (Hughes, Ince et Kanchelskis), Ferguson avait démarré la campagne avec six joueurs âgés d'à peine 20 ans parmi lesquels... Scholes, Butt, Beckham et les frères Neville. Mais, cette saison-là, MU remporta le doublé Cup-championnat. Hansen se retira en 2014 après 22 ans de présence dans MOTD, à jamais hanté par cette phrase...

"Des gens qui, tous réunis, ont dirigé zéro matches"

La guerre entre managers et consultants a toujours existé. Les premiers, qui se lèvent tôt le matin pour être sur le terrain tous les jours, n'acceptent simplement pas, et on peut les comprendre, d'être jugés par les seconds, assis confortablement dans leur fauteuil. Alex Ferguson les accusait de faire "leur autopromotion". Jose Mourinho les a surnommés les "Einstein du football". "Les consultants, d'anciens joueurs pour la plupart, ont complètement oublié ce que ça faisait d'être critiqué", avait fini par lancer Klopp ce fameux 12 décembre.
En vingt ans de règne, Arsène Wenger n'a pas non plus été épargné : "Nous vivons dans un monde où tout le monde a une opinion sur tout. Des gens qui, à eux tous réunis, ont dirigé zéro matches et donnent des leçons sur comment vous devriez vous comporter. C'est une farce." Ce jour-là, l'Alsacien visait son ancien joueur Paul Merson qu'il avait vendu à Middlesbrough (1997) un an après son arrivée à Arsenal. Merson ne buvait pas que de l'eau et sa seule expérience de manager s'est soldée par un épouvantable passage de vingt-deux mois à Walsall en... D3 anglaise qui déboucha sur son licenciement et la relégation du club (2006). Avouez qu'il y a mieux pour juger Wenger...
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Arsene Wenger - Arsenal

Crédit: Eurosport

Quand Brian Clough remet en place les "juges" de MOTD

Mais la plus célèbre diatribe reste l'oeuvre du grand Brian Clough, manager de Derby County, Nottingham Forest ou encore Leeds - je ne peux que vous recommander le livre de David Peace "The Damned Utd" ("44 jours") -, contre les "juges" de Match of The Day lors d'une tirade fleuve devenue légendaire en 1979 et qui rhabilla pour l'hiver et les hivers suivants John Motson, journaliste notoire de la BBC : "Vous nous détournez de nos distractions familiales un samedi soir en nous faisant la leçon. Vous vous positionnez comme des juges et un jury. Vous dépassez la frontière entre apporter une contribution et être dogmatique, autoritaire et ennuyeux. Vous devriez surtout la fermer et montrer plus de football."
Cela n'a pas empêché les talk-show de fleurir et les consultants de monnayer leurs analyses sur les plateaux de télévision comme dans les titres de presse - les "columns" (tribunes) : Carragher, Hoddle et Keown au Daily Mail, Cascarino au Times, Scholes au London Evening Standard et même, depuis peu, Gerrard et Giggs au Daily Telegraph. La palme revenant au Sun avec Henry, Shearer, Wright, Redknapp... Et, pour cause, les médias paient bien, très bien même, et parfois plus que les joueurs en activité (Henry touche 4 M£ par an à Sky !).

"Etre consultant, c'est beaucoup moins de pression (que manager)"

C'est, en grande partie, ce qui explique que beaucoup d'anciens joueurs préfèrent orienter leur reconversion vers les médias plutôt que d'embrasser la carrière risquée et sous pression d'entraîneur. Un constat fataliste effectué par Martin Glenn, le patron de la Fédération anglaise, en juillet dernier, devant les difficultés pour trouver un successeur à Roy Hodgson - on a vu ce qu'il est advenu de Sam Allardyce -, au lendemain de l'élimination sans gloire de l'Angleterre à l'Euro. "Il y a une option plus intéressante, amusante et lucrative que devenir entraîneur. Si vous pouvez gagner des millions en étant consultant, c'est beaucoup moins de pression que de diriger une équipe." Une tendance confirmée par Carragher : "Les joueurs se mettent à entraîner seulement s'ils n'obtiennent pas de contrat TV. Avant, c'était le contraire !"
Certains s'y sont risqués, ils ont retenu la leçon. La seule expérience de manager d'Alan Shearer se résume à huit rencontres à Newcastle que la légende du club n'a pu sauver de la relégation en 2009. Celle de Gary Neville, à Valence, à quatre mois. Echaudé, le consultant de Sky n'a pas l'intention d'entraîner à nouveau tandis que Ryan Giggs, adjoint de Moyes puis Van Gaal à MU, a essuyé des échecs lors de ses entretiens d'embauche au Celtic puis à Swansea. Thierry Henry, qui passe ses diplômes, a dû choisir entre son poste lucratif de consultant et celui de coach des U18 à Arsenal. Incompatibles, selon Wenger, qui n'avait guère goûté les déclarations de ce dernier après une défaite contre Swansea (1-2) en mars dernier ("Je n'ai jamais vu les supporters autant en colère"). Réponse de AW : "Il n'a pas dû mesurer la colère de 60 000 personnes car il est assis dans les meilleurs sièges (du stade)..."
Il est écrit que Thierry Henry sera, un jour, le manager d'Arsenal. Et le Français devra, à son tour, vivre avec les critiques des anciens joueurs qui lui auront alors succédé dans le fauteuil, il est vrai plus confortable, de consultant.
Bruno Constant fut le correspondant de L'Equipe en Angleterre de 2007 à 2016. Il collabore aujourd'hui avec RTL, Europe 1 et Rfi en tant que spécialiste du football anglais et vous livre chaque sa semaine sa chronique sur la culture foot de Sa Majesté. Pour approfondir le sujet, vous pouvez écouter mon Podcast 100% foot anglais sur l'actualité de la Premier League et du football britannique.
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Thierry Henry

Crédit: Eurosport

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