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Leicester, Ranieri et… Shakespeare

Bruno Constant

Mis à jour 28/02/2017 à 11:07 GMT+1

PREMIER LEAGUE - Jeudi, au lendemain d'une défaite en Ligue des champions, Claudio Ranieri a été limogé par Leicester, qu'il avait mené au sommet du football anglais. Le fond, comme la forme, sont déplorables dans cette histoire.

Claudio Ranieri - Leicester 2017

Crédit: AFP

Ses réponses sont courtes, ses mots choisis, comme préparés à des questions qu’il connaissait à l’avance, mais dénués d’émotion malgré les circonstances. Il est le premier à briser le silence. Deux jours après l’annonce du limogeage de Claudio Ranieri et les révélations d’une mutinerie venant des joueurs. Je ne parle pas de Wes Morgan, le capitaine, qui pouvait sembler le plus légitime pour venir porter ou plutôt défendre la bonne parole du vestiaire, mais de Kasper Schmeichel, "fils de" bien connu, gardien de Leicester, forte tête du groupe et meneur de la rébellion.
Le portier danois est l’un des quatre traîtres… pardon, l’un des quatre joueurs - avec Morgan, donc, l’ailier Marc Albrighton et l’attaquant Jamie Vardy - à s’être rendus dans le bureau des dirigeants pour se plaindre de l’entraineur et mettre un terme au règne du roi. Non pas à une, ni deux mais quatre reprises ! ça ressemble à un putsch, à de l’acharnement même. Schmeichel a bien évidemment démenti. "Nous n’avons pas ce pouvoir là", avant de dresser les éloges du professionnalisme de ses dirigeants.

Schmeichel, Vardy and co… dans le rôle des traitres

Non, bien sûr, les joueurs n’ont pas ce pouvoir-là. Pas plus que ne l’avaient certains cadres du vestiaire de Chelsea – et parmi eux John Terry - dans le bureau de Roman Abramovitch en septembre 2007 pour mettre fin au premier chapitre Mourinho chez les Blues. Quand les affaires tournent mal, l’entraîneur est le premier à sauter. Il est plus facile de changer un homme plutôt que onze, n’est-ce pas ? Avant même que la ville de Leicester lui érige une statue, la tête du roi est tombée. On ne devrait pas être surpris, cela arrive souvent dans le football. Mais on a quand même le droit d’être scandalisé, par la forme comme par le timing.
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Jamie Vardy

Crédit: AFP

Par la forme, d’abord. C’est une drôle de manière de remercier l’homme qui a construit le succès le plus incroyable de l’histoire du football et placé la ville de Leicester sur la carte du monde. Un miracle qu’il a porté avec le sourire. Cela ne doit pas faire oublier les responsabilités de l’Italien dont le surnom - the Tinkerman, le bricoleur, hérité de son passage à Chelsea - a resurgi ces derniers mois. Ses changements tactiques incessants, le passage à une défense à trois annoncé à deux heures du coup d’envoi d’un match de Ligue des Champions à Copenhague sans même l’avoir travaillé à l’entraînement, la mise au ban inexplicable d’Okazaki, si précieux dans la saison du titre, ou d’Ulloa, l’instauration de séances de travail les matins de match en semaine...
Si nous descendons, resterez-vous avec nous ?
Et pourtant, on ne devrait pas être surpris. Bien avant la saison du titre, en février 2015, le propriétaire du club, le Thaïlandais au nom imprononçable (Vichai Srivaddhanaprabha), avait limogé son prédécesseur, Nigel Pearson, avant de se raviser quelques heures plus tard créant la confusion chez les Foxes. Le technicien anglais avait finalement été viré en fin de saison après avoir… sauvé le club de la relégation à la suite d’un scandale impliquant son fils lors d’une orgie en Thaïlande. Srivaddhanaprabha avait alors rencontré Claudio Ranieri et lui avait posé cette question : "Si nous descendons, resterez-vous avec nous ?" L’Italien avait répondu "oui" sans savoir que la réciproque n’était pas comprise dans le deal.
Par le timing, ensuite. Les dirigeants de Leicester ont informé l’entraineur de leur décision au retour du huitième de finale aller de Ligue des Champions à Séville (1-2) où les Foxes ont préservé leurs chances de qualification. Mais on peut penser que la décision avait été prise avant, depuis l’élimination en Cup, le week-end précédent, sur le terrain d’une équipe de Millwall (D2) pourtant réduite à dix ! Une demi-heure avant le coup d’envoi à Séville, l’ancien joueur de Leicester et consultant pour Bt Sport, Robbie Savage, a glissé au propriétaire du club et à son fils de ne pas virer Ranieri. Les deux hommes se sont contentés de sourire. On connaît la suite…
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Vichai Srivaddhanaprabha

Crédit: Panoramic

Relégué en 1938, Manchester City avait conservé son entraîneur

"The king is dead", longue vie au roi ! Neuf mois et huit jours après avoir conduit Leicester au titre. Six semaines après avoir été nommé "entraineur de l’année" par la FIFA. Deux semaines après avoir reçu le soutien de ses dirigeants qui disaient vouloir "s’en sortir tous ensemble" et bâtir le club "sur la stabilité". Ranieri a donc été lâché par ses dirigeants et par ses joueurs. Victime d’un scénario shakespearien et dont le successeur, par intérim, se nomme Craig… Shakespeare, son adjoint avec il était en conflit ! Ça fait beaucoup pour un seul homme, sans doute trop gentil pour ce métier impitoyable mais qui, pour un "bricoleur", a tout de même porté le premier Chelsea d’Abramovitch sur la deuxième marche du podium et a bâti les fondations à Monaco. Partout où il est passé, l’Italien est accueilli par une standing ovation. On imagine déjà l’hommage que lui rendront les 32 000 spectateurs du King Power Stadium, ce lundi face à Liverpool.
Dans le football, les entraineurs ont souvent tort et les joueurs presque toujours raison. Mais, face aux Reds, ces derniers ne pourront plus se cacher derrière la faute de l’entraineur. Qui étaient Morgan, Schmeichel, Drinkwater, Mahrez et Vardy avant 2015-2016 ? Des joueurs rejetés des autres clubs tout juste bons à se maintenir miraculeusement en Premier League en mai 2015. En sont-ils encore capables aujourd’hui alors que le club reste sur cinq défaites consécutives en championnat sans avoir inscrit le moindre but en 2017 ? A treize journées de la fin, les Foxes sont dix-huitièmes et premiers relégables. Ils pourraient devenir le premier champion en titre à être relégué l’année suivante depuis Manchester City en 1938. A une différence près. Les dirigeants mancuniens, eux, avaient conservé leur entraineur, Wilf Wild, et même huit années de plus.
Bruno Constant fut le correspondant de L'Equipe en Angleterre de 2007 à 2016. Il collabore aujourd'hui avec RTL, Europe 1 et Rfi en tant que spécialiste du football anglais et vous livre chaque sa semaine sa chronique sur la culture foot de Sa Majesté.
Pour approfondir le sujet, vous pouvez écouter mon Podcast 100% foot anglais sur l'actualité de la Premier League et du football britannique
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