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Premier League : Le Boxing Day, une tradition ancestrale outre-Manche

Bruno Constant

Mis à jour 25/12/2016 à 19:38 GMT+1

PREMIER LEAGUE - Des matches le lendemain de Noël, le 31 décembre ou le 1er janvier, et certains à 48 heures d'intervalle ! C'est le programme alléchant des dix prochains jours qui occupent les joueurs des quatre divisions professionnelles anglaises et ceux qui les regardent. Une période souvent décriée mais qui n'est pas près de s'arrêter.

Des supporters de Stoke déguisés pour accueillir Manchester United, le 26 décembre 2015

Crédit: Panoramic

Il y a quelques semaines, je suis tombé sur le coup de gueule de Rolland Courbis qui pestait contre l'organisation des matches de football en Angleterre le 1er janvier. J'ai tout de suite pensé que "coach Courbis" n'avait pas dû mettre souvent les pieds outre-Manche car ses propos témoignaient d'une méconnaissance totale de la tradition qui anime le football anglais. Néanmoins, il n'avait pas tort sur un point : lorsque vous posez la question aux joueurs pour savoir s'ils aiment jouer le lendemain de la Saint-Sylvestre ou de Noël, ils répondent tous qu'ils préfèreraient être à la maison avec leur famille. Mais ils finissent par admettre que, une fois entré sur la pelouse, ils ne se lassent plus du parfum si particulier d'un match du Boxing Day ou du New Year's Day.
L'atmosphère y est spéciale. Les supporters s'y rendent en famille, pour beaucoup déguisés ou coiffés du bonnet du Père Noël. C'est d'ailleurs le jour où les stades britanniques affichent leur plus grand taux de remplissage. L'argument économique des audiences TV offertes par la primeur d'être le seul championnat joué et diffusé dans le monde entier à ce moment de l'année est réel mais très loin de ce qui provoque l'effervescence de cette période. Jouer le 1er janvier, le 31 décembre, comme cette année, ou le 26 est avant tout un rituel ancestral. En Angleterre, la tradition du match du Boxing Day a commencé bien avant l'apparition du premier poste de télévision. On raconte même que, durant le premier hiver de la guerre 14-18, Anglais et Allemands avaient interrompu les combats pour disputer une rencontre "amicale" de football le temps de cette journée particulière !

Sheffield, premier club et premier Boxing Day

Car, si on n'est pas tout à fait sûr de qui des Anglais, des Grecs, des Romains ou des Chinois ont inventé le football, on connaît le lieu et la date du premier match inter-clubs organisé dans l'histoire du football : c'était à Sheffield - d'où n'est pas seulement originaire Jamie Vardy - le... 26 décembre 1860. Oui, un 26 décembre. Après trois années qui voyaient deux de ses formations s'affronter - les joueurs dont le nom commençait par l'une des treize premières lettres de l'alphabet opposés aux autres (N à Z) -, le Sheffield FC, plus ancien club de l'histoire (1857), a inauguré le premier derby face à Hallam FC, issu de la banlieue rurale de la ville.
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Boxing Day

Crédit: Eurosport

La rencontre se joua à seize contre seize sur le terrain boueux du Sandygate Cricket Ground, resté l'antre de Hallam, où Chris Waddle rechausse parfois les crampons. Et, malgré son infériorité numérique, le doyen des clubs s'imposa 2-0. Dans cette ville au passé ouvrier du nord de l'Angleterre, le Boxing Day est avant tout une histoire de derby. La chanson favorite des supporters de Sheffield Wednesday fait ainsi référence au "Massacre du Boxing Day" 1979 lorsque leurs rivaux de (Sheffield) United furent corrigés devant 49 309 spectateurs, un record pour un match de D3 anglaise !
Hark now hear, The Wednesday sing, United ran away, And we will fight for ever more, Because of Boxing Day...

"Le mari au foot pendant que les femmes font cuire la dinde"

Le rendez-vous du 26 décembre fut officiellement inclus dès la saison inaugurale du championnat (1888-89). On a même joué le jour de Noël jusqu'au milieu des années 50. Une équipe recevait alors l'adversaire chez qui elle s'était déplacée la veille. Mais, que Roland Courbis se rassure, les syndicats de transports firent pression pour conserver leur seul jour férié de l'année, décourageant les spectateurs de se rendre au stade. Et on n'a plus joué à Noël depuis 1965, jour abandonné au speech de la Reine et aux crackers jokes, ces blagues potaches enfermées dans des papillotes. Les dirigeants de Brentford ont bien tenté de le remettre au goût du jour (en 1983), à 11 heures du matin face à Wimbledon, pour "faire revivre, disaient-ils, la vieille tradition du mari allant au football pendant que les femmes font cuire la dinde". Des propos sexistes qui soulevèrent des protestations et débouchèrent sur le report de la rencontre dans la soirée.
Aucun métro ni bus ne circule à Noël et très peu lors du Boxing Day, le "jour des boîtes", en référence au moment où les aristocrates donnaient congé à leurs personnels de maison après leur avoir offert des cadeaux pour bons et loyaux services. Ce jour est férié outre-Manche et il est aussi connu pour ses soldes que pour ses matches de foot. La journée appelle autant aux dépenses qu'aux défenses, souvent martyrisées, l'une des plus prolifiques de la saison. En 1963, on compta 157 buts à travers les deux divisions (39 matches), dont 66 pour la seule First Division, bien aidée il est vrai par le spectacle de Craven Cottage, sur les bords de la Tamise, où l'équipe locale, Fulham, humilia Ipswich Town (10-1).

Le cauchemar des managers étrangers

Les trois journées - étalées entre le 26 décembre et le 4 janvier, avec parfois seulement 48 heures d'intervalle - sont entassées comme les fish and chips dans leurs barquettes vendues aux abords des stades. Ce qui a le don d'agacer les managers étrangers débarqués en Angleterre, à l'image de Jürgen Klopp ou de Louis Van Gaal, l'an passé : "Il n'y a pas de trêve hivernale et c'est la chose la plus diabolique de leur culture. Ce n'est pas bon pour le football anglais. Ce n'est pas bon pour les clubs ni l'équipe nationale. L'Angleterre n'a rien gagné depuis combien d'années ? Parce qu'ils sont épuisés à la fin de la saison." Tout en oubliant les sacres européens de Manchester United (1999, 2008), Liverpool (2005) et Chelsea (2012).
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Louis van Gaal

Crédit: AFP

Cependant, l'organisation du calendrier fait l'objet d'une attention toute particulière. Afin d'éviter de longs déplacements aux supporters dans une période festive, les équipes du Nord jouent entre elles (MU - Sunderland, Liverpool - Stoke) et les équipes du Sud ne vont pas plus loin que Londres (Chelsea - Bournemouth). Cette année, les plus chanceux sont les fans des Blues, qui resteront à Londres (deux matches à Stamford Bridge puis derby à Tottenham). En revanche, les supporters de West Ham sont ceux qui effectueront le plus de kilomètres... pardon, de miles (231 jusqu'au Pays de Galles et Swansea).

"Une échappatoire pour les hommes"

Les supporters sont attachés au foot du Boxing Day car il est fait partie intégrante de ce qui fait Noël outre-Manche, comme l'étoile sur le sapin ou la chaussette accrochée à la cheminée. "Le football est l'ingrédient parfait à ce moment de l'année, de la même manière qu'envoyer des emails ou manger de la salade ne l'est pas", écrit Daniel Gray dans son ouvrage savoureux "Saturday, 3 pm". Selon Martin Johnes, historien du football à l'Université de Swansea, le football est également une échappatoire. "Il y a tellement de choses écrites dans les journaux intimes et les médias au sujet des hommes, en particulier, trouvant Noël éprouvant car ils ne sont pas habitués à passer autant de temps en famille, explique-t-il. Pour certains, le Boxing Day est un jour pour récupérer après avoir trop bu et trop mangé à Noël et un moyen de s'évader pour échapper aux plaisanteries forcées et aux querelles de famille."
Les moins chanceux allumeront discrètement la télé, sans le son, sur Soccer Saturday, l'émission de Sky. Ils se consolent en regardant le défilé des scores au bas de l'écran en s'amusant des réactions de Jeff Stelling, son présentateur vedette qui énumère les statistiques comme on récite les paroles d'une chanson, ou des facéties de Chris Kamara en duplex d'un stade où il a toujours l'air de ne pas savoir ce qu'il s'y passe ("I don't know Jeff !").
N'en déplaise à Roland Courbis, il n'y a rien de mieux qu'un match de foot à la télé pour se remettre d'une indigestion de foie gras ou de chocolat, ni de meilleur remède à la gueule de bois que sept points sur neuf possibles pris par son équipe préférée. Mais perdre une rencontre du Boxing Day peut aussi être douloureux. Brendan Rodgers se souvient encore comment, après la défaite de Liverpool à Stoke (1-3) en 2012, il est rentré chez lui dans une maison pleine d'invités pour Noël et est monté directement à l'étage dans sa chambre pour ne jamais en redescendre. Et, cette année encore, quelques managers risquent d'avoir l'estomac noué en rentrant chez eux.
Bruno Constant fut le correspondant de L'Equipe en Angleterre de 2007 à 2016. Il collabore aujourd'hui avec RTL, Europe 1 et Rfi en tant que spécialiste du football anglais et vous livre chaque sa semaine sa chronique sur la culture foot de Sa Majesté.
Pour approfondir le sujet, vous pouvez écouter mon Podcast 100% foot anglais sur l'actualité de la Premier League et du football britannique
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