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En pleine crise institutionnelle à l'heure d'affronter le Brésil, le foot argentin navigue à vue

Thomas Goubin

Publié 10/11/2016 à 10:19 GMT+1

Dans la nuit de jeudi à vendredi, l'Argentine de Messi va défier le Brésil de Neymar, à Belo Horizonte, pour le choc de la 10e journée des éliminatoires sud-américains. En position de premier non qualifié, l'Argentine va affronter une Seleçao requinquée, alors que son football vit une crise sur et en dehors du terrain.

Lionel Messi après la finale perdue par l'Argentine contre le Chili en Copa America 2016

Crédit: Panoramic

L'Argentine n'avait vraiment pas besoin de ça. Dans une position précaire de barragiste après avoir concédé, le 11 octobre dernier, la première défaite de son histoire face au Paraguay, à domicile (0-1), la nation qui vit le football avec la modération d'un Maradona devant un micro a reçu une nouvelle gifle le 1er novembre. Cette fois, son collectif indigent, ou l'absence de Lionel Messi, l'homme sans lequel elle peine à remporter le moindre match, n'était pas en cause. Elle n'avait même rien à se reprocher.
Victime collatérale d'une sanction infligée par la FIFA à la Bolivie, qui perdait deux matches sur tapis vert pour avoir aligné un joueur "non sélectionnable" (face au Chili et Pérou, 7e et 8e journée des éliminatoires), l'Albiceleste glissait de la cinquième à la sixième place, la première non qualifiable pour le Mondial 2018. Elle se faisait passer devant, à la différence de buts, par le Chili, son bourreau lors des deux dernières finales de Copa América (2015 et 2016). "Désormais, l'Argentine n'est pas qualifiée pour le Mondial", titrait le quotidien La Capital, une tonalité alarmiste adoptée par la plupart des media locaux.
L'Argentine du football n'a pas le moral. Pas seulement pour les résultats de son étendard de sélection, mais pour la crise institutionnelle qui mine l'AFA (association de football argentine). Depuis le mois de juillet, l'organisme qui préside aux destinées des clubs, comme de la sélection, se trouve sous tutelle de la FIFA, qui a installé une commission dite normalisatrice. Cette commission formée par quatre acteurs du foot argentin (deux dirigeants et deux avocats) a notamment pour mission d'organiser de nouvelles élections et mettre les statuts de l'association en conformité avec les nouvelles normes de la FIFA et de la CONMEBOL.
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Di Maria et Mascherano (Argentine) face au Pérou - Qualifs AmSud Mondial 2018

Crédit: AFP

Couacs à répétition

Plus qu'un déclencheur de crise, la nomination de cet organisme de tutelle est en réalité un symptôme du mal profond qui mine le football argentin. La commission s'est ainsi vu confié l'organisation d'élections, car l'AFA s'est tout simplement montrée incapable d'élire un nouveau président. En décembre dernier, le scrutin impliquant l'assemblée de l'AFA, formée par des dirigeants des six premiers échelons du foot national, avait ainsi débouché sur un match nul : 38 contre 38. Le hic : il n'y avait que 75 votants. L'explication des dirigeants à ce compte pas vraiment bon ? Un bulletin aurait été compté deux fois. Et l'Argentine de rire jaune…
Le chaos est devenu le quotidien du football argentin. Le pays, qui occupe toujours le premier rang du classement FIFA, après avoir disputé trois finales internationales de rang (Coupe du Monde 2014, Copa America 2015 et 2016), n'est aujourd'hui qu'un colosse aux pieds d'argile, aux structures chancelantes, voire inexistantes. Le 5 juillet dernier, le désormais ex-sélectionneur, Gerardo Martino, n'avait ainsi pas démissionné pour assumer la responsabilité des deux défaites de rang en finale de la Copa America, mais parce qu'il lui était impossible de réunir dix-huit joueurs pour former une sélection olympique dont il avait aussi la charge. Les clubs ne voulaient pas prêter leurs joueurs.
Grand critique de l'organisation, ou plutôt, de la désorganisation du football argentin, Martino a parlé de "dignité" pour expliquer sa démission. Pour remplacer l'ex-entraîneur du Barça, une AFA aux finances exsangues a alors opté pour la solution la plus économique en nommant le seul entraîneur auquel la liait un contrat : le sélectionneur de l'équipe féminine, Julio Olarticoechea. Vainqueur du Mondial 86, Olarticoechea n'a pas fait de miracle à Rio : l'Argentine chutera au premier tour, devancée notamment par le Honduras.
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Gerardo Martino, le sélectionneur de l'Argentine - 2015

Crédit: AFP

L'héritage Grondona

Embarrassé par son présent, le football argentin s'inquiète aussi de son avenir. L'AFA a ainsi lancé, à la mi-août, un appel à candidatures pour coordonner les sélections de jeunes. Quarante-quatre projets ont été présentés, et quatre retenus, dont deux dans lesquels était impliqué l'ex-goleador Gabriel Batistuta. Le 15 octobre, le poste le plus prestigieux des catégories inférieures, celui de sélectionneur U20, est tombé dans les bras de Claudio Ubeda, responsable de la formation du Racing Avellaneda. Un homme qui n'apparaissait dans aucun des quarante projets… Illisible et incompréhensible pour Batistuta : "Cet appel à candidatures fut un cirque (…), a considéré l'ex-meilleur buteur de l'Albiceleste. En fait, on continue de produire des joueurs de haut niveau simplement parce que Dieu se rappelle qu'on joue au football en Argentine". Cette décision n'a pas aidé à asseoir l'autorité de la commission normalisatrice de la FIFA. Pour le football argentin, il n'y a clairement plus de pilote dans l'avion.
L'AFA vit une transition difficile. Celle qu'elle a dû entamer, contrainte et forcée, le 30 juillet 2014, jour du décès de Julio Grondona, qui était son président depuis... 1979. Dirigeant autoritaire, Grondona était aussi vice-président de la FIFA depuis 1988 au moment de son décès. "La situation actuelle est un héritage à 100% des 35 ans de Julio Grondona à la tête de l'AFA, estime le journaliste argentin et éditeur de la revue ESPN, Pablo Aro Geraldes. Il avait instauré un ordre quasi mafieux où celui qui s'opposait à lui en payait les conséquences, nombre de décisions étaient ainsi adoptées à l'unanimité".
L'une de ces dernières décisions unanimes prises sous son mandat pollue encore aujourd'hui la vie du football che : l'adoption d'un championnat de première division à trente équipes, à partir de 2015. Un tournoi non viable, peuplé d'équipes à l'assise trop précaire, que voudrait déjà voir disparaitre les dirigeants des grands clubs (Boca, River, San Lorenzo…). Mais un retour à 20 équipes n'est pas à l'ordre du jour, car les petits clubs, sur lesquels se reposaient notamment Grondona, disposent chacun d'une voix à l'assemblée de l'AFA.
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Diego Maradona et Julio Grondona

Crédit: Eurosport

La FIFA clémente face à l'ingérence

Fini le temps de l'unanimisme, l'AFA est aujourd'hui divisée et affaiblie. Ce qui aurait même des répercussions sur la sélection nationale. "Cela ne serait pas arrivé du temps de Grondona", a ainsi estimé le président de Boca Juniors, Daniel Angelici, qui réagissait à la sanction infligée à la Bolivie, qui a, par ricochet, porté préjudice à Messi et consorts. Pour Angelici, Grondona savait protéger les intérêts de l'Albiceleste, quels que soient les moyens employés. En juin dernier, au cœur de la Copa América, Lionel Messi s'était lui-même plaint, via Instagram, du manque d'organisation autour de la sélection. "Encore une fois, un avion en retard, l'AFA est un véritable désastre", s'était agacé le quintuple Ballon d'or. "Quand Messi a annoncé qu'il renonçait à la sélection, les dirigeants ont tiré la sonnette d'alarme, assure Aro Geraldes, ils ont compris qu'ils devaient choyer plus que tout les joueurs de la sélection, car l'Albiceleste est le dernier bijou de la couronne."
Piètre sixième des éliminatoire sud-américains pour le Mondial 2018, la sélection, par son prestige, protégerait même l'AFA du pire, selon l'analyse de Pablo Aro Geraldes. "Il faut signaler que le gouvernement, via l'IGJ (inspection générale de justice), s'est immiscé dans la vie de l'AFA [en suspendant notamment le nouveau processus d'élection de son président au mois de juin, NDLR], ce qui aurait dû découler sur une suspension de l'AFA". En règle générale, la FIFA se montre intransigeante envers toute violation de l'autonomie d'une Fédération, mais le grand ordonnateur du foot mondial a alors préféré la manière douce en installant sa commission normalisatrice plutôt qu'en sanctionnant l'ingérence du gouvernement argentin. "Avec Messi, avec Adidas, il y a d'énormes intérêts en jeu, poursuit Aro Geraldes, un grand manque à gagner si l'Argentine n'est pas présente au Mondial 2018. La FIFA n'a pas intérêt à se montrer si sévère".
Cette semaine, la commission a organisé deux jours de consultation pour réformer les statuts de l'AFA, en invitant notamment des personnalités comme Cesar Luis Menotti, sélectionneur champion du monde 1978, ou Diego Latorre, ex-joueur de Boca et grand avocat du beau jeu. Une réduction du nombre des membres de l'Assemblée est notamment envisagée pour la rendre plus gouvernable. La commission devra ensuite organiser des élections avant la mi-2017, dernier délai.
En attendant cette échéance, l'Albiceleste, elle, n'a plus de temps à perdre. Jeudi soir, à Belo Horizonte, sa tâche sera toutefois rude, face à un Brésil requinqué et désormais leader des éliminatoires. Un résultat positif est pourtant nécessaire pour que l'Argentine ne perde pas davantage de terrain, et ne s'enfonce pas un peu plus dans une crise qui est loin d'être terminée.
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Lionel Messi après la défaite de l'Argentine en finale de la Copa America 2016

Crédit: AFP

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