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"Ugly-Germany" : 1980-1984

Eurosport
ParEurosport

Mis à jour 30/12/2010 à 15:32 GMT+1

Saga, en trois parties, du grand disparu de l'année 2010 dans le monde du football : le mythe de "l'Ugly Germany" ("affreuse Allemagne"), cette équipe que le monde adorait détester avant de voir son image bouleversée par la réussite du Mondial sud-africain. Acte 1 : où Séville est décisif...

Battiston, Schumacher, 1982

Crédit: AFP

Avez-vous déjà remarqué l'image négative que véhicule l'Allemagne ? Et pas seulement en matière footballistique. A croire que n'ont jamais existé les Ballons d'Or germanique, les Beckenbauer, Rummenigge, Matthäus ou autre Sammer sans compter les podiums et les titres glanés. Tous les talents allemands ? Au rebut médiatique ! L'Allemagne est perçue comme le grand refouloir de l'Histoire, la Nation "dark side" du foot, le "dark Vador" de la piste aux étoiles. Une véritable omerta, sauf pour se moquer. Un ogre du football qui ose pourtant priver les génies Puskas en 1954, Cruyff en 1974 et Maradona en 1990 du titre ultime. Le Belzebuth du ballon rond. Mais où commence le "ugly Germany" ? Quel est le point de départ de cette légende gothique qui voit la Nationalmannschaft se complaire dans un cynisme assumé et incompris par les observateurs internationaux aux préjugés bien ancrés. Il était une fois en Italie…
Jupp Derwall : le premier Bundestrainer démis de ses fonctions
Le 22 juin 1980 à Rome, la RFA remporte pour la seconde fois le championnat d'Europe des Nations. L'homme a la forte tête, Horst Hrubesch, crucifie en finale une valeureuse équipe de Belgique à la 88e minute sur un corner de Rummenigge, alors au sommet de son art. Un Euro 80 bien décevant où la RFA est juste un peu moins mauvaise que les autres, un peu plus calculatrice dans un football où la défense prend petit à petit le pas sur l'attaque. Dans cet océan de conservatisme, un prodige de vingt ans fait la différence grâce à son coup d'œil et ses pattes de chat : un certain Bernd Schuster en partance pour Barcelone, une étoile filante.
Quatre années plus tard, quasiment jour pour jour à l'Euro 84, la RFA encaisse un but dans les arrêts de jeu contre l'Espagne, signifiant son élimination de la compétition… en France. Jupp Derwall, le Bundestrainer depuis 1978 promis, pour beaucoup, à devenir le plus grand entraineur de l'histoire de la Nationalmannschaft est congédié par la DFB, la fédération allemande de football alors qu'il était à quelques secondes d'une troisième qualification consécutive pour une demi-finale d'un tournoi international. Le journal Libération se lâche : "le football allemand, cet animal brut, a mérité de se noyer dans sa propre urine". Une formule choc qui sonne évidemment comme une revanche du matche de Séville 1982, mais aussi d'un sentiment anti-allemand si vivace encore de nos jours : la "sale Allemagne", la Prussienne, celle de 1933 à 1945.
"Le lac des picoleurs"
1982, une des plus belles Coupes du Monde : le Brésil de Socrates, Zico et Falcao, la Pologne de Lato et Boniek, l'Argentine tenante du titre, une superbe génération italienne, les Bleus de Platoche… et l"ugly Germany". Tellement persuadée de sa supériorité et bouffie d'orgueil que la Nationalmannschaft peut tout se permettre. En Allemagne déjà, la presse alerte sur le manque de discipline des hommes de Derwall avant la Coupe du Monde : le camp d'entrainement, le Schluchsee est rebaptisé Schlucksee, le "lac des picoleurs" tellement la fête bat son plein : alcool, cigare, tripot, des paris de 20.000, 30.000 DM (10.000, 15.000 euro, somme astronomique à l'époque)… Tout y passe avec le capitaine Breitner, fêtard invétéré, en tête de gondole. Sauf que l'orgie passée, comme l'écrit Schumacher dans son autobiographie "Anpfiff", "seul le robuste bavarois tournait, un lendemain de cuite, comme une horloge sur le terrain d'entrainement". Les autres trentenaires de l'équipe, lesquels disputaient leur unique chance d'être champions du monde, se trainaient lamentablement.
"El Anschluss"
Si vous ajoutez l'inacceptable défaite pour le tenant du titre de l'Euro 80 contre l'Algérie (1-2) et le simulacre du match, un arrangement et non pas une tricherie, contre l'Autriche, vous comprendrez facilement pourquoi la curée s'est abattue sur la Nationalmannschaft. Mais plus grave, la communication allemande est catastrophique, montrant l'image d'une sélection sans sentiments : Dremmler, si typique de l'école bavaroise, s'exprime : "Ce n'est pas mon boulot de m'occuper du prestige du football allemand. Je suis un professionnel!" Crédo du "Panzer" Matthäus : "Nous avons fait ce qu'il fallait. C'est tout ce qui compte !" L'ancien international allemand Willi Schulz, commentant pour la télévision traite les 22 acteurs de "gangsters" alors que la presse nationale annonce la couleur : "honte sur vous !"
Mais c'est un journaliste espagnol qui titrera admirablement "El Anschluss", faisant référence au rattachement économique et politique de 1938, en pleine période nazie, de l'Allemagne et de l'Autriche. Si l'image donnée par le journaliste fait mouche dans la profession et chez les amoureux du ballon rond, ce titre est une hérésie quand on connait l'animosité sportive entre les deux Nations. Pire que de perdre contre les Pays-Bas, il est inconcevable, pour l'Allemagne, de s'incliner contre l'Autriche. L'affect domine la raison et tout le monde oublie dans ses analyses que d'une part, l'Autriche de Krankl a éliminé la RFA, lors de la dernière rencontre à la Coupe du Monde en 1978, et que d'autre part toutes les équipes connaissant ce cas de figure auraient fait exactement la même chose. Hypocrisie quand tu nous tiens !
"Je suis prêt à lui payer deux couronnes"
Le paroxysme du "ugly Germany" fut atteint durant la rencontre d'anthologie France-RFA de Séville. Passons sur la rencontre mythique du côté ouest du Rhin, et si habituelle à l'est après 1954, 1966 et 1970 par exemple. France-Allemagne de 1982, c'est David contre Goliath, la peur de Gigi l'Amoruso à l'idée de croiser le décathlonien Briegel… En résumé, la culture "gentillette et efféminée" des Francs contre les "bourrins" Alamans ! L'agression de Schumacher sur Battiston, au-delà de son geste inadmissible, décuple les passions. Dans son propre pays, il reçoit des menaces de mort. Les politiciens de tout bord crient au scandale, le vilipendent. A les en croire, les relations franco-allemandes étaient menacées ! Encore une fois la communication est dramatique : après 120 minutes de tension, une prolongation historique et des tirs au but, un journaliste provoque Schumacher : "Tu sais que Battiston a perdu deux dents?". Le gardien, encore dans sa "bulle", réplique : "Si ce n'est que cela je suis prêt à lui payer deux couronnes". La presse internationale en fait ses choux gras. Schumacher devient l'incarnation du cynisme, le "sale boche", le rôle du méchant. Aucune pitié, aucune compassion.
Ainsi le "ugly Germany", et pour longtemps, est devenue l'incarnation du mal, la pire qui soit : le football à dénoncer, bien que victorieux. M le Maudit version foot !
A LIRE JEUDI : "Ugly Germany", de Derwall à Beckenbauer, le génie individualiste contre le maillot national.
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