Douillet décrypté

Le 19 mars, trois jours avant que François Fillon ne procède à des aménagements, David Douillet, avare de sorties médiatiques impromptues depuis son élection, commet une bévue. Interrogé dans les studios d’Europe 1 au sujet de la mort d’un Parisien de trente-sept ans, tabassé lors d’une rixe entre deux groupes de supporters du PSG, en marge de la rencontre face à l’Olympique de Marseille, le député UMP des Yvelines suggère d’exclure le Paris Saint-Germain de la Coupe de France. "On réglerait de facto le problème pour ses prochains adversaires, et puis on marquerait le coup extrêmement fort vis-à-vis du club et de sessupporters." L’ancien champion de judo s’en prend également au Parc des Princes, qu’il juge une "enceinte anxiogène, une véritablesouricière autour. On devrait placer les clubs dangereux comme lePSG dans des stades beaucoup plus modernes, comme le Stade de France par exemple." Douillet croit ainsi probablement flatter Nicolas Sarkozy, lequel a témoigné de sa "honte pour les gens qui se comportent comme cela. […] Ces voyous, il ne faut pas les appeler “supporters”, ce sont des voyous, et croyez bien qu’on va faire en sorte que ces voyous désertent nos stades", selon les propos rapportés par Bruno Jeudy et Karim Nedjari dans un ouvrage traitant des relations du chef de l’État avec le sport. Cruelle sortie de route pour Douillet, alors qu’il n’a jusque-là pas commis la moindre faute de parcours politique. En proposant d’écarter le PSG de cette compétition, qui, en plus, lui sourit traditionnellement, il irrite au plus haut point Nicolas Sarkozy. "C’est possible, c’est possible, mais il ne m’en a jamais parlé, désamorce Douillet. Vous êtes le premier à me le faire remarquer, même si beaucoup de choses agacent le Président. J’ai dit ce que je pensais. Il y avait eu un mort, il fallait marquer le coup, faire prendre conscience que le football n’est qu’un jeu." Le chef de l’État, mécontent, lui aurait pourtant signifié en privé qu’il a encore beaucoup à apprendre, et d’abord à maîtriser son langage s’il espère poursuivre son ascension politique. Une leçon bien enregistrée.

"Pour moi, David, c’est un gosse, analyse Laurent Fontaine. Un côté menhir, lourd et puissant, grand et imposant, mais une tête de gosse. Je l’appelle d’ailleurs “Mon gros bébé”. Il porte en lui cette notion d’enfance, c’est aussi ce qui touche l’inconscient des Français. C’est un super-héros, auquel il ne manque que la cape et le slip rouge, qui ne lui irait sans doute pas ! En plus de son palmarès sportif, il est entré dans le coeur des gens grâce à son authenticité, son exemplarité, sa sincérité, sa proximité, son physique hors norme mais aussi son histoire personnelle, avec cette famille provinciale recomposée et ce gamin arrivé de nulle part. Il y a des magies qui ne s’inventent pas." Douillet lui-même en convient avec franchise : "À la naissance, certains traumatismes font que vous ne bénéficiez pas de cartes "extraordinaires. Par exemple avoir été un enfant non pas caché mais un peu de la honte, gênant, d’une fille-mère, cela, il y a quarante ans, dans un petit village de six cents habitants de Seine-Maritime. Un gosse pas malheureux mais qu’on ne stimule pas, sans père, sans personne quand il rentre de l’école. Ça peut être destructeur. On peut virer bandit, alcoolique. Ou bien devenir plus puissant. Le judo m’a donné cette force de montrer à la terre entière que j’étais là, que j’existais, que je n’étais pas un bâtard que l’on a mis dans un coin. C’est sans doute le moteur le plus puissant dont j’ai pu bénéficier dans ma carrière de sportif."

La scène du coup de téléphone de Jacques Chirac, à la fois cocasse et surréaliste, est racontée par un ancien responsable de la chaîne cryptée. Il convient d’abord de planter le décor. Été 2005, l’ambitieux Alexandre Bompard, directeur de cabinet de Bertrand Meheut, président depuis deux ans du groupe Canal+, accède à la direction du service des sports, pour remplacer Michel Denisot. L’énarque de trente-deux ans découvre le salaire maous costaud de David Douillet. En mai 2004, après avoir largué France Télévisions sans ménagement, le champion vient de s’engager pour quatre ans avec Canal+. Il a commencé comme consultant lors des Jeux olympiques d’Athènes, et ses responsabilités ont été élargies dans la foulée. "Il sera conseiller à mes côtés pour tout ce qui concerne le sport, notamment pour l’achat de droits", annonce Michel Denisot, devenu directeur adjoint du groupe Canal+. Ses fonctions demeurent floues. Personne n’arrive à définir clairement son rôle. Il possède un bureau, mais ses apparitions sont rares. Bompard est agacé de le payer si grassement (300 000 euros par an selon une estimation du magazine Capital) et de le voir se disperser. Le nouveau patron des sports le lui fait aimablement savoir. Le lendemain, le jeune dirigeant, stupéfait, reçoit un appel embarrassé de Jacques Chirac. Le président de la République lui suggère aimablement de ne pas trop bousculer son champion ! Bompard saura agir avec tact…

Yannick Noah a déjà occupé huit fois la tête du top 50. Il l’a cédée parfois à Zidane, mais il garde la position numéro un sans discontinuer depuis décembre 2007. Invité de la première émission de Bernard Laporte sur RMC en janvier 2011, l’ancien tennisman s’en prend de nouveau au champion. Interrogé sur sa place privilégiée auprès des Français, il se contente de répondre avec un sourire : "Le seul truc qui mefait plaisir, c’est d’avoir pris la place de David Douillet". Quelques jours plus tard, dans les colonnes de Nice-Matin, il ne cite pas son nom mais l’allusion est limpide. "Je pense que se lanceren politique, c’est vendre son âme. La motivation première deshommes politiques est plutôt saine, mais ils sont obligés à tellementde compromissions pour arriver au pouvoir ! Je n’ai pas enviede faire partie de cette bande de voleurs. Quand je vois d’anciensNoah, une haine ordinairesportifs qui se sont lancés en politique, je suis affligé. Quand ilsentrent dans un ministère, ce ne sont plus les mêmes.""Douillet et Noah? C’est simple : l’un est au pôle Nord, l’autreau pôle Sud", résume Charles Biétry, ancien patron des sports de Canal+ et de France Télévisions. Un autre observateur ayant côtoyé les deux hommes observe : "Ce n’est tout simplement pas lemême film. Yannick est généreux et sincère. Certes, il peut être agaçant à force de donner des leçons, mais il la joue collectif, s’investit dans le caritatif, donne sans rien attendre en retour, quand David est davantage dans le calcul, l’opportunisme, l’appât du gain, la communication pure. Ses sourires sont de façade, déclenchés dès qu’il y a une caméra allumée, alors que Noah ne change pas, qu’il parle à un micro ou à un inconnu. Le premier a plein de défauts, mais c’est un vrai gentil. Le second, lui, joue le jeu seulement quand ça lui rapporte quelque chose, à tous points de vue. Il n’est pas franc du collier, a une ambition démesurée, fait fonctionner à plein son réseau pour reluire. Ce sont deux immenses champions, qui appartiennent à la légende du sport français, mais cela ne peut pas coller entre eux."