Impossible n’est pas Simon

Gilles Simon fait partie d’une élite. Comme Rafael Nadal (14-8), Andy Murray (8-6) et le jeune retraité Dominik Hrbaty (2-1), il mène dans son tête-à-tête avec Roger Federer, battu deux fois sur deux par le récent vainqueur du tournoi de Sydney. Quatre joueurs seulement, en effet, ont ce privilège d’avoir un solde positif face au sextuple vainqueur de Wimbledon. Le Français a obtenu ses deux victoires en 2008, à Toronto (2-6, 7-5, 6-4) et au Masters de Shanghai (4-6, 6-4, 6-3) et espère bien en décrocher une troisième, mercredi 19 janvier, sur la Rod Laver Arena de Melbourne où il affrontera le tenant du titre en nocturne.

Avec si peu de matches dans leurs confrontations, il serait évidemment hâtif de désigner Gilles Simon comme l’une des bêtes noires de Roger Federer. Mais il faut néanmoins insister sur le fait qu’il ne l’a pas battu une, mais deux fois. Ce n’est donc pas complètement un hasard. Cela veut dire aussi dire quelque chose. Cette statistique qui, pour une fois, lui est défavorable n’a pas échappé à Federer qui a déclaré, à la veille de ce troisième rendez-vous, avec un brin d’humour, qu’il se souvenait davantage de ses défaites dans la mesure où elles étaient plus rares que ses victoires. "Au début de ma carrière, j’ai eu de vraies bêtes noires qui s’appelaient Henman, Hewitt et Nalbandian, a-t-il ajouté. Mais là, il n’y a eu que deux rencontres, ce n’est pas suffisant, et je n’oublie pas que lorsque Simon m’avait dominé à Shanghai, j’avais alors très mal au dos."

Alors qu’il aurait pu s’appuyer sur cet avantage au score pour montrer les dents à la veille de ce choc du deuxième tour, Gilles Simon a préféré jouer les modestes. "Même s’il se méfie un peu, Roger sait qu’il est le plus fort, a-t-il dit. Pour prendre du plaisir lors d’un tel match, il faut déjà pouvoir exister." C’est le paradoxe de la situation de Gilles Simon. S’il affiche trop sa confiance sur la foi de ses deux victoires, il lui sera reproché d’avoir la grosse tête. S’il donne le sentiment de sous-estimer ses chances, il sera considéré comme faible mentalement. "Avant un match important comme celui-là, il faut essayer de trouver une sorte d’équilibre entre l’ambition et la raison, souligne Bob Brett, l’entraîneur de Marin Cilic et ancien mentor de Boris Becker et de Goran Ivanisevic. Garder la tête froide est primordial."

Thierry Tulasne, l’entraîneur de Gilles Simon, estime de son côté que l’impact des deux premières victoires de son champion est relativement important dans ce cas particulier. "Gilles est quelqu’un de très terre-à-terre qui peut avoir ses blocages, souligne-t-il. Quand il n’a jamais battu un joueur, comme Llodra et Youzhny, cela lui pose un vrai problème au moment des les affronter de nouveau. Le fait d’avoir dominé un adversaire une fois agit pour lui comme une sorte de libération et encore plus lorsque l’événement s’est produit à deux reprises." Pour aborder un tel match, qu’une large majorité d’observateurs anticipent comme gagné d’avance par Federer, l’entraîneur voit étrangement sa tâche facilitée. "En fait, pour moi, c’est une position idéale, s’amuse Thierry Tulasne. Mon travail s’est avéré nettement plus important lors du premier tour lorsqu’il a affronté Lu qu’il avait surclassé quelques jours plus tôt à Sydney. J’ai bien senti que Gilles s’était un peu ramolli physiquement et mentalement avant de disputer ce match. Dans un cas comme celui-là, j’ai dû dramatiser la situation. Ce ne sera pas nécessaire contre Roger."

Gilles Simon a la particularité, assez rare, d’être un joueur qui aime regarder les autres à la télévision, surtout Roger Federer. Nul recours donc à la vidéo avant ces retrouvailles sur le central de Melbourne. "Depuis quelques mois, Paul Annacone a fait évoluer le jeu de Roger Federer vers l’avant, note Thierry Tulasne. C’est une situation nouvelle par rapport aux deux matches de 2008 que Gilles a intégrée. Federer rentre davantage dans le terrain et nous avons travaillé sur cet aspect tactique. L’une des clés sera le retour de service de Gilles sans oublier les premiers jeux pour tenter d’installer un match."

Mis K.-O. par la défaite de l’équipe de France de Coupe Davis au point d’avoir complètement perdu le sommeil pendant ses vacances, Gilles Simon peut déjà se satisfaire d’être redevenu un joueur dangereux en ce début d’année. "Il a été confronté à deux traumatismes : celui de la défaite du groupe et celui de son propre échec contre Djokovic, conclut Tulasne. Son succès à Sydney a montré qu’il était passé à autre chose. Son match contre Federer sera un autre révélateur du joueur qu’il est actuellement."