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Ernests Gulbis, trublion du circuit ATP, tombeur de Roger Federer en 8e de finale à Roland-Garros

Alexandre Coiquil

Mis à jour 01/06/2014 à 17:30 GMT+2

Vainqueur de Roger Federer en huitièmes de finale, Ernests Gulbis est un véritable personnage à part dans le circuit ATP. Aussi irrégulier que brillant, colérique, fou, macho, le Letton a pourtant décidé en 2013 de relancer une carrière en berne. L’heure de la rédemption a peut-être sonné.

Ernests Gulbis à Roland-Garros 2014

Crédit: Panoramic

1. Gulbis c’est l’histoire d’une remise en question

"Je suis de retour", a glissé, à son entrée en salle de conférence de presse, un bien malicieux mais heureux Ernests Gulbis, après son succès face à Radek Stepanek, vendredi, au troisième tour de Roland-Garros. Absent en deuxième semaine d’un tournoi du Grand Chelem depuis 2008 et son quart de finale perdu face à Novak Djokovic Porte d’Auteuil, le Letton vient de boucler un cycle de six années de hauts et de très bas. Classé 17e au 26 mai 2014, il vient d’atteindre à 25 ans son meilleur classement en carrière. Ce dimanche, il a éliminé Roger Federer. "Cela a été long. La dernière fois que je suis venu ici, j’avais 18 ans", a glissé le trublion de circuit ATP, dans la grande salle de presse du tournoi parisien.

Aussi irrégulier que bon, le Letton, un seul set concédé avant de jouer Federer (face à Kubot au premier tour), n’a eu de cesse de décevoir depuis l’année de sa révélation. Malgré d’excellentes dispositions au niveau tennistique, le 17e mondial a payé cher un caractère trop trempé, à fleur de peau, des excès de vie incompatibles avec le très haut niveau et un style jeu à risque qu’il n’a pas entretenu et surtout fait évoluer. "Je préfère la compétition à l’entraînement", glissait-t-il souvent en interview dans ses jeunes années. La rédemption a commencé début 2013 quand son classement lui a barré l’accès aux plus grands tournois.
Donne-moi encore un mois

Redescendu à la 136e place mondiale, après avoir au mieux trusté la 21e en février 2011, le Letton est mis devant le fait accompli par sa mère qui lui demande d’arrêter les frais après une défaite au premier tour du challenger de Bergame (face à Michał Przysiężny). Réponse du fiston, qui a refusé d’aller à l’Open d’Australie pour rester s’entraîner en Europe : "Donne-moi encore un mois." Le natif de Riga engage dans la foulée Gunther Bresnick, l’exigeant ancien entraîneur de Boris Becker et d’Henri Leconte. Fini, l’alcool, les sorties, la cigarette, rebonjour l’entraînement, le travail. "Tout viendra ensemble", analyse-t-il en parlant du futur.

Suivra un succès à Delray Beach et un joli parcours à Indian Wells, débuté en qualifications; et stoppé par Rafael Nadal en quart de finale (13 succès de rang en mars 2013). Ce jour-là, Gulbis, qui a lâché prise à la moitié du troisième set, n’est pourtant pas passé loin de sortir l’Espagnol à qui il collera un 6-1 à la régulière au 3e tour du Masters 1000 de Rome, avant de s’effondrer de nouveau. Il gagnera ensuite Saint-Petersbourg en septembre après une année mi-figue, mi-raisin mais qui a servi de base pour la suite. En 2014, il a gagné à Marseille face à Jo-Wilfried Tsonga et à Nice, il y a une semaine, face à Federico Delbonis, histoire de rattraper le temps perdu.
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Ernests Gulbis et Jo-Wilfried Tsonga à l'Open de Marseille 2014

Crédit: Panoramic



2. Gulbis, c’est un joueur de tennis complet

Malgré une progressive disparition du Top 100 depuis 2008, Ernests Gulbis a trop souvent laissé passer des matches à sa portée à cause d’excès de colères un peu à l’emporte-pièce. Pourtant, le Letton dispose d’une panoplie technique complète. Sa carrière inégale n’est pas forcément à l’image de son niveau tennistique. Le Letton dispose de tout : de la puissance, d’un bras exceptionnel, d'une couverture de terrain et d'un jeu de défense digne des cadors du circuit.
Dôté de l’un des meilleurs services du circuit, Gulbis, 1,91m sous la toise, sait allier puissance (la vitesse de ses premières balles oscille entre 200 et 220 Km/h), et précision. S’il opte pour des zones intérieures en première balle, en seconde il bombe et va chercher l’extérieur. Tout en perdant un minimum de puissance (170-175 Km/h de moyenne). D’une importance fondamentale dans le tennis, le service est aujourd’hui la base de ses résultats enfin stables (75% de points gagnés derrière sa première balle lors du 3e tour face à Stepanek, donc un 93% lors du premier set). Sa gestuelle dans cet exercice est un exemple. Depuis le début du tournoi, il a claqué 39 aces.

Pour le reste, Gulbis dispose certainement du revers à deux mains le plus puissant et précis de tout le circuit. S’il joue - parfaitement - son rôle en réception et défense, il lui permet aussi de gagner une bonne partie de ses points gagnants (39 sur 115 en trois matches). C’est son coup le plus régulier et le plus fort. A l’inverse, son coup droit, son talon d’Achille, reste perfectible malgré un changement de technique amorcé en 2013. Commentaire de Federer, avant leur match : "Il a une technique un peu étrange avec son bras (qu’il place en direction horizontale). Mais ça marche. Il m'avait déjà battu à Rome et je l'ai rebattu plus tard, c'est toujours serré entre nous." Pour le battre en fond de court, il faut taper plus fort que lui ou avoir une cadence de coups plus rapide, comme l’a fait Kei NIshikori en demi-finale à Barcelone en avril dernier. Tout ce beau descriptif a une faille: son niveau de jeu peut passer du jour à la nuit en un instant. Un rien - soit: un bruit, une décision arbitrale, une faute directe - peut le faire dégoupiller. "C’est un joueur un peu cyclothymique, pas encore stabilisé. Il est capable de tomber très bas, c’est pour ça qu’il n’a jamais confirmé", analysait Patrice Dominguez dans le Monde, l’année dernière.

3. Il compte désormais ses inimitiés sur le circuit


S’il a laissé des dizaines et des dizaines de rencontres au bord du chemin à cause de son caractère abrupt, Gulbis est aussi un joueur qui n’hésite pas à discuter et bousculer ses adversaires pendant les matches. Une expansivité pas toujours appréciée. Dernier exemple en date lors de son troisième tour face à Stepanek. A trois partout dans le troisième set, la tête de série N.18 du tournoi a questionné le Tchèque sur la trace d’un coup droit annoncé faute. Sans réponse de son adversaire, interloqué, il a lancé: "Je te pose une question-là." Autre friction quand le Tchèque lui a tiré un passing dessus: après l’avoir fusillé du regard, il a répondu par un geste de bienséance un peu musclé au changement de côté.
Gulbis veut gagner à tout prix, et pour cela il triche, trouve des astuces, et montre un mauvais comportement
La semaine dernière déjà, Gulbis, arrivé sans préparation à l’Open de Nice, car malade depuis quelques jours, a recommencé ses frasques face à Martin Klizan. Cassage de raquette, protestations contre l’arbitre après avoir reçu un avertissement. A l’arrivée, poignée de main un peu tendue, et un "on dit que tu as changé, je crois que ce n’est pas le cas", de la part du Slovaque. Réaction de Gulbis après la partie : "J’ai construit ma victoire. Je l’ai énervé. Cela a fonctionné en ma faveur. Ça fait un ami de moins sur le circuit."
Depuis le début de la saison, c’est pourtant une autre rivalité qui a animé le circuit. Après un nouveau match houleux et une poignée de main glaçante à Indian Wells, après la victoire de Gulbis, le sujet Roberto Bautista-Agut est revenu sur le tapis. Entre les deux hommes la légende dit que tout a débuté lors du quart de finale du tournoi de Saint-Petersbourg, en septembre 2013. Aux plaintes incessantes de l’Espagnol qui n’appréciait pas le couinement des chaussures du Letton, Gulbis a répondu par un cinglant: " Mon adversaire s’est conduit comme une princesse trop gâtée." Rebelote donc à Indian Wells en mars dernier: "Il n’arrête pas de se plaindre tout le temps, comme une femme . Il ne sait rien faire avec une balle."
Toujours battu sur le terrain par son rival, Bautista, pas très bavard sur le sujet, est revenu récemment sur ces incidents sur les ondes de Ondacero. "Sur le circuit, nous sommes tous compétitifs, nous voulons tout gagner, nous détestons perdre. Mais Gulbis veut gagner à tout prix, et pour cela il triche, trouve des astuces, et montre un mauvais comportement, c’est pour ça que je veux prendre ma revanche." Situés dans le même quart de tableau à Roland, les deux hommes ne se reverront pas encore, Bautista ayant été sorti par Tomas Berdych au troisième tour.
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Ernests Gulbis à Roland-Garros 2014

Crédit: Panoramic

4. Une personnalité borderline

Sa sortie sur les femmes, leurs choix de vie; et le tennis de haut niveau, n’a pas manqué de faire réagir dans les couloirs de Roland et de lui attirer de nombreuses critiques. Gulbis, brut de décoffrage et anti langue de bois au possible, n’en est pas à son coup d’essai. En 2011, il avait invectivé l’arbitre de chaise de sa partie face à Milos Raonic en lui proposant de lui "apporter le DVD de la rencontre" pour lui prouver que sa balle, annoncée faute, était bonne. Une scène surréaliste. Autre fait loufoque: en 2009, il a même passé une nuit en prison en Suède après avoir été surpris en compagnie d'une prostitué à Stockholm. "C'était excellent, vraiment excellent, un moment très amusant. Mais je ne retournerai jamais là-bas. Quand tu sors et que tu rencontres une fille, ils te mettent en prison (…), expliquait-il en 2010 au Telegraph. Avant d’ajouter : "Je pense que tout le monde devrait aller en prison au moins une fois."
A Monte-Carlo toujours. Lors de son deuxième tour face à Juan Monaco en 2013, le Letton, sans solutions face à l’Argentin, pète littéralement les plombs au début du deuxième set. Tout commence par sa spécialité: un cassage de raquette en bonne et due forme (les internautes ont créé le hashtag "Gulbised" pour les signaler pendant ses matches). S’ensuit un point de pénalité après une balle dans le public tiré au pied. Jamais deux sans trois: Gulbis termine par exploser sa raquette sur la chaise de l’arbitre et prendra un jeu de pénalité, fait rare. Avant de se tourner vers l’officiel pour le défier: "Je dois faire quoi pour être disqualifié ?"
Federer, Nadal, Djokovic et Murray sont des joueurs ennuyeux. Leurs interviews sont ennuyeuses. Honnêtement, ils sont chiants
"(…) Quand il est venu me voir, il m'a expliqué qu'il ne savait plus comment frapper un coup droit au-dessus du filet. Il a tellement de potentiel... C'est incroyable ce qu'il peut faire. Mais si vous essayez de le discipliner, vous avez perdu d'avance. Il a un énorme problème avec l'autorité", expliquait à USA Today, Gunther Bresnik avant cet épisode peu reluisant. En février 2013, il avouait être pour la légalisation du cannabis lors d'une interview pour le site officiel du tournoi de Rotterdam.
Peu après, lors de la première semaine de Roland en 2013, Gulbis s’était fendu d’une attaque envers le dit "Big 4" dans les colonnes de L’Equipe. "Le tennis actuel manque cruellement de caractèresJe respecte Roger (Federer), Rafa (Nadal), Novak (Djokovic) et Murray, mais, pour moi, ce sont tous les quatre des joueurs ennuyeux. Leurs interviews sont ennuyeuses. Honnêtement, ils sont chiants." Avant d’attaquer le système trop "bureaucratique" de l’ATP et d'en remettre une couche sur les meilleurs mondiaux. "Il faudrait que les joueurs du top se mettent d’accord pour faire avancer les choses. Mais ces tops sont plutôt contents que les petits soient traités comme de la merde et qu’ils n’aient pas assez d’argent pour se payer de bons coaches."

5. Les Gulbis, une histoire familiale forte

Ernests Gulbis s’est penché sur les cas de ses deux jeunes sœurs (la plus grande a fait des études de droit en Angleterre), elles aussi joueuses de tennis, devant la presse. Fait rare, il n’en avait presque jamais parlé. A l’inverse de nombreux sportifs professionnels qui ont vu leur statut social évoluer grâce à leur sport, Gulbis n’a jamais manqué de rien. "Je ne joue pas pour l’argent ou la gloire, je m’en fiche", tonne-t-il souvent. "J’aimerai que personne ne me connaisse, spécialement dans mon pays, car vous ne pouvez pas sortir et vous amuser à 100% car les gens vous observent avec un microscope", glissait-il dans une interview à l'ATP en 2011. Pour faire le trajet Nice-Paris, il a pris le jet privé de son père. Pourtant il niait jusque-là l'utiliser. "J’ai aussi un hélicoptère, un sous-marin, et une navette spatiale."
La célébrité quel que soit sa carrière, impossible pourtant de passer à côté. Fils d’Ainars Gulbis, businessman couteau suisse, répertorié dans le classement de Forbes, Ernests ne doit son salut qu’au tennis. "Je n’aime pas voyager mais je ne sais rien faire d’autre, alors je joue au tennis". Son caractère trempé, il le doit à son paternel, tout aussi fou que lui. En avril 2013, la dite troisième fortune de Lettonie a dû payer une amende de 11 000 euros pour avoir balancé un café brûlant au visage d’un serveur lors du tournoi de Vienne. Sa mère, Milena Gulbe, fille de réalisateur, est l’une des actrices les plus connues en Lettonie. Son grand-père, ancien basketteur de l'équipe d'URSS, reconverti réalisateur, a même réuni mère et fils lors d’un seul et unique film. Si le grand Ernests a de la répartie, de l'humour et du charisme, on sait désormais d'où ça vient.
Dépeint comme un personnage atypique, solitaire, Gulbis, formé à l’académie de Nikola Pilic près de Munich, tout comme un certain Novak Djokovic, est un O.V.N.I dans le circuit ATP. Entrer dans l’équipe de Gunter Bresnik lui a en tous cas ouvert l'esprit vers la réussite et la remise en question. L’apport du discours de l’Autrichien, qui est en train de réussir là où Hernan Gumy (l'ancien coach de Marat Safin) et Guillermo Canas avaient échoué, est en train de le rapprocher de son rêve: devenir N.1 mondial, objectif affiché en toute fierté. Tout comme sa faculté à battre les meilleurs quand il le veut et sa capacité à dénigrer les autres joueurs du circuit. "Il y a des joueurs (présents dans le Top 100), je ne sais même pas qui ils sont. Certains, pardon, avec tout le respect que je leur dois, ne savent pas jouer au tennis."
En attendant de nouveaux exploits ou frasques, Ernests ou Ernie, son surnom, sorte de descendant indirect de Marat Safin (une comparaison qu’il refuse) a pris sous son aile l'autre protégé de Bresnick, le jeune Dominic Thiem, 20 ans, pas loin d'ailleurs d’être son clone tennistique, revers à deux mains excepté (abandonné à la demande de Bresnick pour un revers à une main). Gulbis, presque un papa poule. Bon pour la rédemption alors ? "J'ai pris beaucoup de mauvaises décisions dans ma carrière. Je n'ai pas fait attention à comment traiter mon corps, trop de hauts et de bas, pas assez de travail consistant. Pendant les deux dernières années, j'ai été cohérent pendant seulement trois mois, puis je tombais malade ou j'allais en Lettonie pour prendre dix stupides jours de repos. Maintenant, je saute dans le dernier train. J'ai 25 ans, c'est donc ma dernière opportunité d'obtenir des résultats."

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Ernests Gulbis à Roland-Garros 2014

Crédit: Panoramic

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