Les plus populaires
Tous les sports
Voir tout

L'œil de Roland : Paul-Henri Mathieu, une autre idée de la grandeur

Laurent Vergne

Mis à jour 29/05/2017 à 12:03 GMT+2

ROLAND-GARROS 2017 – Puisqu'il n'était pas invité, Paul-Henri Mathieu s'est invité tout seul. Passé par les qualifications, l'Alsacien affrontera lundi David Goffin pour son 15e Roland-Garros. Une nouvelle preuve de sa formidable abnégation à ne pas baisser la tête devant les obstacles mis sur sa route, peu importe leur nature.

Paul-Henri Mathieu

Crédit: AFP

Je me souviens très bien de la toute première fois où j'ai vu jouer Paul-Henri Mathieu. C'était ici-même, à Roland-Garros, contre Fabrice Santoro. PHM, comme on ne l'appelait pas encore, avait tout juste 20 ans. J'avais entendu parler, sans l'avoir vu, de ce gamin qui avait battu Wayne Ferreira en cinq sets au premier tour. Contre Santoro, son audace, sa confiance, sa façon de frapper fort des deux côtés m'avaient impressionné.
Quelques jours plus tard, c'est sur le central, contre la légende Andre Agassi, que Mathieu a vraiment commencé à écrire son histoire lors d'un huitième de finale mémorable. Une histoire chaotique, un destin souvent contrarié et contrariant. De ceux qui vous mettent souvent l'eau à la bouche pour mieux vous l'assécher. Son duel contre Agassi aura donné le ton. Mathieu y aura mené deux sets à rien avant de finir par céder. Mais que la promesse était belle.

Méritait-il une invitation ? Il méritait en tout cas de jouer ce tournoi

15 ans plus tard, Paul-Henri Mathieu s'apprête à disputer son 15e et dernier Roland-Garros. Un cadeau qu'il s'est offert tout seul comme un grand, puisque la FFT a refusé de le lui empaqueter en ne lui octroyant pas l'invitation que sa carrière et son classement, au bord du "cut", auraient probablement justifiée. Inutile de relancer la polémique. La Fédération a joué la carte jeunes. Ce n'est pas absurde en soi et la victoire de Benjamin Bonzi, dimanche, a partiellement accrédité ce choix.
Finalement, l'histoire est peut-être plus belle encore comme ça. PHM s'est farci ses trois tours de qualification, porté tout au long de la semaine par un public chaud comme une arène de Coupe Davis sur les courts annexes de Roland. Sa joie, partagée avec son fiston, a fait plaisir à voir. Je ne sais pas si Mathieu méritait une invitation, mais il méritait à coup sûr de jouer ce Roland-Garros. Lundi, il sera donc là, sur le court numéro un (dommage, on aurait aimé le voir sur le Chatrier...). Contre David Goffin, il risque d'en baver. Il faudra un exploit de sa part pour que l'aventure se prolonge. C'est tout le mal qu'on lui souhaite.
picture

Séquence émotion : Paul-Henri Mathieu a fêté sa qualification avec son fils

Mais au fond, peu importe. Dans le cas de PHM, l'essentiel est ailleurs, dans cet acharnement mis une nouvelle fois à surmonter les épreuves. Et il en a vu d'autres. Un autre souvenir refait surface : à la fin de l'année 2011, Mathieu nous avait rendus visite pour participer à un chat avec les internautes d'Eurosport.fr. Il était alors au fond du gouffre après son opération au genou gauche, meurtri par l'arthrose. On se demandait alors s'il pourrait vraiment rejouer au plus haut niveau. Il aurait pu ne jamais rejouer. Tout aurait pu s'arrêter là. Mais il a refusé cette fatalité. Et si l'espérance ne mène nulle part, la persévérance guide toujours vers le droit chemin.

Un jour de janvier 2012, à Heilbronn…

Quand il a repris la compétition, fin janvier 2012, en s'inclinant dès le premier tour des qualifications contre Reuben Bemelmans lors du tournoi challenger d'Eilbronn, en Allemagne, le dit chemin semblait bien long. Mais si la pente était forte, la route était droite. Elle l'a mené, quatre mois plus tard, à une extraordinaire victoire au deuxième tour de Roland-Garros, contre John Isner : 5h40 de lutte et 18-16 au cinquième set.
Ce succès-là, au crépuscule, a effacé beaucoup de choses. Il a surtout justifié les efforts consentis durant ces mois de galère. Cela reste un des plus formidables moments vécus à Roland-Garros ces dernières années. En termes d'intensité émotionnelle, je n'ai pas vécu grand-chose d'aussi fort sur le Chatrier. Il nous arrive, tout comme à vous, d'être heureux pour certains joueurs quand le succès les comble.
Mais ce soir-là, c'était un peu plus que ça. Nous étions contents pour le joueur, oui, mais aussi pour ce mec attachant. Et n'allez pas croire que c'était là un point de vue franco-français. Quand Mathieu a battu Isner, je ne connais pas une personne qui n'était pas heureuse pour lui. "J'ai toujours eu un faible pour Paul-Henri Mathieu, me confiait récemment l'éditorialiste du New York Times, Christopher Clarey, depuis cette finale de Coupe Davis en 2002 où il était passé si près d'être le héros. Ça a souvent été le cas dans sa carrière, malheureusement, mais pour moi, il demeure un modèle de persévérance."
picture

2012 Roland-Garros Paul-Henri Mathieu

Crédit: AFP

La légende et la grandeur

Paul-Henri Mathieu n'a jamais dépassé les huitièmes de finale à Roland-Garros. Des joueurs bien moins talentueux que lui ont joué au moins un quart sur la même période. Allez, au hasard, un Victor Hanescu. C'est un peu de sa faute. Un peu celle de la poisse, aussi, qui lui a collé dans les pattes un Nadal, un Djokovic ou un Federer de façon trop précoce. Il a rarement eu de tableau ouvert, le Paulo. Mais il laisse derrière lui quelques matches franchement inoubliables.
Celui contre Nadal, en 2006, évidemment. Jusqu'où serait-il allé cette année-là si le Majorquin n'avait pas été sur son chemin dès le troisième tour ? Il lui a sans doute manqué cet immense exploit contre un immense joueur. Ah, s'il avait battu Agassi en 2002 ou Nadal quatre ans plus tard... Il ne l'a pas fait, c'est sa limite. Mais contrairement à une tenace idée reçue, il est aussi souvent sorti vainqueur de combats de titans, en témoignent ses cinq victoires en cinq sets à Paris.
La légende d'un tournoi comme Roland-Garros tient évidemment à ses plus illustres champions. Ses Borg, ses Nadal et tous les autres. Mais sa grandeur lui est aussi conférée par des hommes comme Paul-Henri Mathieu. Du jeune homme sans complexe qui avait bousculé Agassi au père de famille comblé et en paix avec lui-même, Mathieu a épousé une trajectoire pas comme les autres. Oui, elle aura parfois alimenté notre frustration et sans doute plus encore la sienne. Mais elle force le respect. Le public, qui ne s'y trompe que rarement, saura lui réserver la sortie qu'il mérite.
picture

4h53. Le duel entre Paul-Henri Mathieu et Rafael Nadal (5-7, 6-4, 6-4, 6-4) est le plus long jamais joué en Grand Chelem hors match en cinq sets.

Crédit: Getty Images

Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Sur le même sujet
Partager cet article
Publicité
Publicité