Les plus populaires
Tous les sports
Voir tout

Émergence de Pippen, The Shot et les "Jordan Rules" : 88-90, les Bulls de Jordan n'y sont pas encore

Christophe Gaudot

Mis à jour 22/04/2020 à 11:11 GMT+2

NBA - A l'occasion de la sortie du documentaire "The Last Dance", consacré à la dernière saison de Michael Jordan sous le maillot des Bulls en 1997-98, nous vous entraînons dans la triomphale saga de la franchise de l'Illinois sous le règne de "His Airness". Pour ce deuxième épisode, focus sur trois saisons qui ont vu les Bulls se rapprocher des sommets, sans y parvenir.

Isiah Thomas, Michael Jordan et Scottie Pippen - Saga Bulls

Crédit: Getty Images

Quand il rencontre Jerry Krause et Doug Collins à l'été 1987, Phil Jackson s'est habillé comme le ferait une personne normale pour un entretien d'embauche. Trois ans plus tôt c'est vêtu "comme sous les tropiques", ainsi qu'il le raconte dans son livre Eleven Rings, et avec un chapeau de paille qu'il avait discuté avec Krause et le coach d'alors Stan Albeck. Du refus de ce dernier en 1984, Jackson a tiré les leçons. Trois ans plus tard, Krause et Collins l'embauchent dans un rôle d'assistant. En plus de Scottie Pippen et Horace Grant, les Bulls s'offrent lors du même été, sans le savoir encore, l'architecte de leurs six titres NBA.
Après une courte période d'assistant aux Nets, où il a fini sa carrière NBA, Jackson avait mis les voiles vers la CBA (Continental Basket Association, une ligue mineure aux États-Unis) en menant les destinées des Patroons d'Albany. Le titre glané en 1984 ne suffit pas à le satisfaire. Celui que l'on appellerait bien plus tard "Zen Master" veut revenir dans la grande ligue.
Son passé de joueur parle pour lui. Intérieur solide mais plus connu pour son intelligence et sa rugosité, Jackson a décroché deux titres NBA avec les Knicks de Willis Reed et Walt Frazier en 1970 et 1973. Ça tombe bien, cet été-là, Doug Collins cherche un assistant avec un passé de vainqueur. "La prochaine fois que vous viendrez à Chicago, venez avec vos bagues de champion", lui intime son nouveau boss.
Je doute parfois que Michael soit un simple humain
En ce début de saison 1987, les Bulls ont un objectif : faire moins jouer Jordan qui a déjà connu une saison blanche, ou presque, dans sa courte carrière. "Nous devons atteindre le point où Michael Jordan ne sera plus l'unique source d'énergie de l'équipe, avance coach Collins. Comme les Bulls, Michael sait qu'il ne pourra pas résister longtemps aux charges inhumaines que nous lui imposons. Même si je doute parfois qu'il soit un simple humain." Les Taureaux démarrent la saison avec un cinq majeur composé de Paxson, Jordan, Sellers, Oakley et Gilmore, légende de la franchise rapatrié depuis San Antonio à l'été.
L'opération "faire moins jouer" Jordan se passe mal. Le numéro 23 reste même sur le terrain plus longtemps en 87-88 qu'en 86-87. Seule évolution notable, il prend en moyenne trois shoots de moins et son pourcentage au shoot passe de 48,2 à 53,5%. C'est le début d'une série incroyable de cinq saisons à plus de 50% de réussite. Fin décembre, il tourne à plus de 32 points, 5 rebonds et 6 passes de moyenne mais n'emmène pas son équipe sans son sillage. Entre le 19 et le 29 décembre, Washington, Dallas, New York, Indiana et Atlanta s'offrent les Bulls qui sont à peine au-dessus des 50% de victoires (15 victoires-12 défaites).
picture

Michael Jordan en 1988 face aux Bullets

Crédit: Getty Images

En coulisses aussi, les affaires vont mal. A l'entraînement, un banal exercice déclenche une dispute entre Doug Collins et Michael Jordan, lequel accorde de moins en moins de crédit à son coach. En janvier, ce beau monde accueille les Detroit Pistons de Isiah Thomas, Joe Dumars, Bill Laimbeer et Dennis Rodman. Depuis son boycott du All-Star Game 1985, Jordan déteste Thomas qu'il accuse d'être la tête pensante de l'affaire. Le meneur, qui a grandi dans les quartiers difficiles de Chicago, a une motivation supplémentaire quand il affronte les Bulls.
Au coeur de ce match, un mauvais geste de Mahorn sur Jordan déclenche une bagarre. Charles Oakley, le protecteur de ce dernier, empoigne l'intérieur des Pistons. Doug Collins et Johnny Bach, son assistant, tentent de s'interposer. Le premier est envoyé sur la table de marque, le second s'en tire avec une entorse au poignet. La rivalité est née.
Quelques semaines plus tard, Jordan écrase le week-end du All-Star Game en étant MVP de la rencontre et en remportant de haute lutte le concours de dunks face à un Dominique Wilkins que certains estiment floué. MJ complètera son énorme moisson cette saison-là avec un titre de MVP, son premier, celui de meilleur défenseur, son unique, et celui de meilleur scoreur de la saison, le deuxième d'une longue liste. A la faveur d'une fin de saison canon, 19 victoires pour 7 défaites, les Bulls atteignent la barre des 50 succès (avec 32 revers). Ce qui allait devenir une habitude pour cette équipe dans les années 90 est historique en 1988. Jamais depuis 1974, la franchise de l'Illinois n'avait présenté un tel bilan.

La révélation Pippen lors des playoffs 88

Troisièmes à l'est, les Bulls ont l'avantage du terrain au 1er tour face aux Cleveland Cavaliers. Dans la presse, la saison stratosphérique de Jordan est accueillie avec l'enthousiasme qu'elle mérite mais celui-ci est immédiatement doublé d'un doute : les Bulls peuvent-ils s'en sortir en étant l'équipe d'un seul homme ? Face à eux, les Cavs ont la gueule d'une équipe qui peut créer la surprise. Avec Brad Daugherty, coéquipier de Jordan à North Carolina, Mark Price et Ron Harper, elle possède un trio de jeunes qui monte. Magic Johnson, jamais avare d'une analyse mal sentie, pense même que Cleveland sera la "franchise des années 90". Méfiance donc.
Méfiance justifiée quand les deux équipes se retrouvent à 2-2 à l'orée d'un game 5 décisif (à l'époque le 1er tour se jouait au meilleur des 5 matches). Jordan est exceptionnel avec 50, 55, 38 et 44 points sur les quatre premières joutes mais derrière lui, c'est morne plaine ou presque puisque le seul Sellers dépasse les 20 points sur une partie. Brad Sellers justement. C'est lui que Doug Collins sacrifie pour titulariser, pour la première fois de sa toute jeune carrière, Scottie Pippen à l'aile lors de la manche décisive.
picture

Scottie Pippen et son coach aux Bulls, Doug Collins

Crédit: Getty Images

Le rookie connaît pourtant un baptême compliqué en playoffs puisqu'il ne tourne qu'à 8 points de moyenne sur la série. Oui mais, dans le match 4, Pippen a montré le bout de son nez avec ses 15 points, 5 rebonds et 2 contres. Dans le match décisif, sa performance (24 points, 6 rebonds, 5 passes, 3 interceptions) annonce ce qu'il sera tout au long de sa carrière : un joueur complet. "L'équipe d'un seul homme ? Pas du tout !", exulte Jerry Krause après la rencontre dans le vestiaire. Car avec un Jordan qui passe encore 39 unités, portant son total à 226 sur la série (record pour une série en cinq matches), les Bulls se qualifient pour les demi-finales ou un adversaire d'un autre calibre les attend : les Pistons.
Pour le premier de leurs trois duels de suite en playoffs, les Bulls ne font pas le poids face à des Pistons qui iront perdre les Finales face aux Lakers. Le dernier affrontement entre les deux équipes en saison régulière, un succès 112-110 de Chicago derrière 59 points (à 21/27 de Jordan) a donné des idées aux Bad Boys. "Quand Jordan a le ballon en main, nous nous agenouillons tous et nous prions, sourit John Salley. Deuxièmement, nous allons tous à l'église ou à la synagogue avant le match".
Le joueur des Pistons peut sourire, il sait que son équipe a développé une stratégie pour calmer un MJ pas encore assez bien entouré pour lutter. Les "Jordan Rules" sont nées. Le but ? L'orienter sur sa main faible, la gauche, venir doubler quand il descend au poste bas et le couper de ses partenaires. Le résultat ? Un Jordan à "seulement" 27 points par match et un succès 4-1 des Pistons. Jordan et les siens ne le savent pas encore mais ces Pistons seront la cause de leurs soucis printaniers pendant encore deux saisons.

Les Clippers voulaient récupérer Jordan

Le 28 juin 1988 a été agité dans les bureaux de la franchise de Chicago. Le jour de la draft, Jerry Krause a dû affronter un cas de conscience. Il reçoit un appel de Donald Sterling, le propriétaire des Clippers, qui lui propose un trade : Michael Jordan contre les 1er et 6e choix de cette draft 1988. Avec ces choix, Krause aurait pu drafter Danny Manning, un poste 4 qui jouera 14 ans en NBA, Rik Smits, l'immense pivot néerlandais, Mitch Richmond qui ira former le "Run TMC" avec Hardaway et Mullin à Golden State, ou encore Hersey Hawkins. Au regard de l'histoire, son choix ne pas avoir accepté apparaît facile. Selon le récit du livre The Jordan Rules, Krause a réfléchi avant de refuser. Jordan est donc resté. Pas Charles Oakley.
La veille, le 27 juin, Oakley assiste, à Atlantic City, au combat opposant Mike Tyson à Michael Spinks. 31 combats et 31 victoires dont 21 par KO, c'est le bilan de Spinks. Celui face à "Iron Mike" sera son dernier. Sa seule défaite car Tyson l'a mis KO en seulement 1 minute et 20 secondes. Celui-ci jubile. Dans l'assistance, Oakley ne peut pas vraiment profiter du show. Jerry Krause ne parvient pas à le joindre alors c'est un inconnu qui vient lui annoncer la nouvelle : il est transféré aux Knicks contre le pivot Bill Cartwright.
Jordan est fou de rage. Oakley est son protecteur, il a confiance en lui et dieu sait que la confiance de Jordan est difficile à obtenir. L'intérieur des Bulls vient de boucler une saison solide avec 12,4 points et 13 rebonds de moyenne. Cette année-là, personne n'a pris plus de rebonds que lui en NBA. Cartwright a 31 ans et ses belles années sont derrière lui. Des blessures au pied ont coupé son élan. Jordan le surnommera pendant longtemps "Medical Bill" ("ordonnance médicale" en français) et ne lui accordera son respect que bien plus tard dans la saison.
picture

Bill Cartwright sous le maillot des Bulls

Crédit: Getty Images

Le départ de Oakley a libéré une place au poste 4 pour un Horace Grant sur lequel les Bulls comptent. Le 27 décembre, Scottie Pippen fait son entrée pour de bon dans le cinq majeur. Plus jamais il ne le quittera jusqu'à son départ vers Houston en 1998. Au soir de de ce 25e match de la saison, les Bulls encaissent leur 11e revers pour 14 victoires seulement donc. L'intronisation de Pippen dans le cinq et la montée en puissance de Grant, autant de facteurs qui permettent aux Bulls de trouver leur rythme (17-8 sur les 25 matches suivants). Mais Doug Collins, de plus en plus critiqué, peine à trouver la bonne formule.
Si vous êtes familiers des choses de la NBA, le nom de Tex Winter ne peut pas vous avoir échappé. L'attaque en triangle, celle que les Bulls ont utilisé plus tard, tout comme les Lakers au début des années 2000, c'est lui. Depuis deux saisons, il tanne Doug Collins pour l'installer dans l'attaque de Chicago. Phil Jackson raconte dans Eleven Rings que l'opposition du coach à ce système a deux raisons. La première, il aime annoncer les systèmes pendant les matches, en faire partie. C'est pourquoi pendant son mandat, il fait apprendre à ses joueurs "40 ou 50 systèmes", selon Jackson. La seconde est plus basique. Dans l'attaque en triangle, les arrières occupent souvent les coins ce qui les empêche de défendre la transition.

Sept triples doubles de suite pour "MJ"

Cartwright, Grant, Pippen, Jordan, ce quatuor a fière allure. Seul le poste de meneur pose problème aux Bulls. John Paxson est un bon shooteur, Sam Vincent fait quelques belles performances mais ni l'un, ni l'autre ne sont indiscutables. Aussi, Collins va tenter une expérience singulière pendant quelques matches : replacer Jordan en meneur et mettre Craig Hodges, obtenu dans un transfert avec Phoenix cette saison-là, à l'arrière.
Entre le 18 et le 28 mars, MJ dispute six matches au poste 1. Bilan, cinq victoires, une défaite et un Jordan à 25 points, 9 rebonds et plus de 12 passes de moyenne. Le numéro 23 va même aller plus loin en réussissant sept triples doubles de suite et dix en onze matches. "Je veux tirer le meilleur de mes équipiers. J'en ai marre d'entendre dire que les Bulls sont l'équipe de Michael Jordan, que nos attaques sont unidimensionnelles, que nous sommes les Chicago Jordan", explique-t-il.
Le dilemme autour du meneur a pourri la saison des Bulls en interne. Et Winter de rappeler à Collins qu'il n'aurait pas besoin d'un meneur tout-puissant dans l'attaque en triangle. C'est avec un bilan moins bon que l'année précédente (45-37) que les Bulls se présentent en playoffs. Les Cavaliers se dressent une nouvelle fois sur leur chemin et ont, cette fois, l'avantage du terrain. Une nouvelle fois la série va se jouer au match 5. Et cette fois, il faudra attendre le buzzer pour connaître le vainqueur. Battus en demi-finale de conférence l'année précédente par les Pistons, les Bulls ne se voient pas échouer si tôt. Pourtant quand Craig Elho donne l'avantage à la franchise de l'Ohio (98-97) sur un shoot à trois points à un peu plus de 20 secondes du buzzer, le risque est là.
Chicago se trouve au bord du précipice, à quelques secondes d'un arrêt brutal de la progression de cette équipe. Pippen remonte le ballon et trouve Jordan qui s'est démarqué en tête de raquette. Démarrage à droite, stop à trois mètres du panier, élévation, ficelle. 99-98 Bulls et six secondes à jouer. Une éternité et toujours la possibilité pour Cleveland de porter le coup de grâce. Ce que Elho va faire, ou presque. Un redoublement de passes facile sur la remise en jeu suivante avec Larry Nance, un lay-up depuis la gauche du panier et les Cavaliers reprennent la tête (100-99). Le reste appartient à l'histoire. Celle-ci lui a d'ailleurs donné un nom pour le consacrer : The Shot.
Donnez-moi cette put*** de balle
Temps morts Bulls. Doug Collins a une idée : tout le monde s'attend à ce que Jordan prenne le shoot. Il veut dessiner un système pour Dave Corzine. "Donnez-moi cette put*** de balle", s'énerve la star. Quand il revient sur le terrain, Jordan chuchote à son coéquipier Hodges : "Je vais le mettre". Michael hérite du ballon à hauteur de la ligne à trois points, à droite, dribble sur sa gauche et s'élève. Craig Elho, finalement héros malheureux, saute pour le gêner mais retombe bien plus tôt que son adversaire.
Le shoot de Jordan est plat, une rareté chez lui, mais traverse le filet. Buzzer et victoire (101-100) Il peut exulter et tous les Bulls avec lui. "Je ne l'ai pas vu rentrer mais j'ai su au silence de la salle qu'il était dedans, relatera Jordan. J'étais dévasté après avoir raté le lancer-franc au match 4 et puis je suis venu ici, les fans m'ont sifflé et m'ont dit qu'il était temps pour moi de partir en vacances".
Les vacances seront pour plus tard. En demi-finale, les Bulls dominent les Knicks de Pat Ewing (4-2). Ils franchissent un nouveau palier. Pour accéder aux Finales, il faudra passer sur Detroit et les fameuses "Jordan Rules". En plaçant Jordan en défense sur Thomas, qui ne réussit que 3 de ses 18 shoots au match 1, Collins le ralentit. Chicago mène 2-1 dans la série mais perd les trois duels suivants.
Dans le match 6, Scottie Pippen reçoit un coup sur la tête de la part de Bill Laimbeer en guise d'accueil après une minute de jeu seulement. Jamais il ne reviendra sur le terrain et les Bulls s'inclinent de deux petits points (113-111). Un épisode que Jordan n'a pas apprécié et le premier chapitre de l'histoire qui raconte que Pippen est un joueur soft. Les Bulls ont touché du doigt le rêve. Jerry Krause sent que son équipe n'est plus si loin. Mieux, il fait part à son propriétaire de sa conviction : cette équipe est capable de gagner le titre… mais pas avec Doug Collins à sa tête.

Jackson entre les Bulls et les Knicks

A l'été 1989, la carrière de Phil Jackson bascule. Du côté des Knicks, sa franchise de coeur, Rick Pitino quitte son poste après deux saisons seulement non sans avoir ramené les Knicks au sommet de la division Atlantique, pour aller prendre les rênes de l'université de Kentucky. Lors d'un entraînement pré-draft organisé par la NBA, il rencontre Dick McGuire, son ancien coach à New York, comme il le raconte dans Eleven Rings. Ce dernier lui propose le poste de Pitino. Jackson se dit intéressé. Mais les Bulls n'ont pas envie de le laisser filer. Jerry Reinsdorf, le propriétaire, lui pose une question simple : qui des Bulls ou des Knicks préfèrerait-il coacher s'il avait le choix ?
"Je lui ai répondu que j'avais beaucoup d'affection pour New York, vu que j'avais joué là-bas, rappelle Jackson. Mais que je pensais que les Bulls étaient sur le point de gagner plusieurs titres tandis que les Knicks seraient chanceux d'en remporte un seul". Quelques semaines plus tard, il était engagé. Reinsdorf a expliqué simplement son choix à la presse : "Doug Collins nous a permis de réaliser un sacré chemin depuis son arrivée, on ne peut pas dire qu’il n’a rien apporté à cette franchise, mais nous pensons désormais avoir le coach capable de nous faire parcourir le reste du chemin."
picture

Phil Jackson

Crédit: Getty Images

L'éviction de Collins et la promotion de Jackson ont mis Tex Winter, le gourou de l'attaque en triangle, au centre du jeu. Adepte de la défense depuis ses années Knicks sous la houlette du légendaire, Red Holzman, Phil Jackson a réparti les rôles ainsi : à Winter l'attaque, à lui la défense. L'attaque en triangle, socle des succès des Bulls de 91 à 98 n'est pas un système facile à appréhender. Jackson évalue à deux ans le temps nécessaire à sa parfaite maîtrise. Oubliés les "40 ou 50 systèmes" de Collins, ce que Jackson veut c'est une équipe capable de répondre à tous les problèmes posés par la défense adverse.
Basiquement, l'attaque en triangle force les joueurs à réagir constamment en fonction des actions de la défense. Elle ne plaisait pas vraiment à Jordan qui l'appelait "l'attaque de l'égalité des chances". Il ne comprenait pas pourquoi il devait donner la balle à Cartwright ou Grant au poste haut alors que son génie créatif suffisait pour déborder la défense adverse. Une opposition qui a donné lieu à un célèbre échange, difficilement transposable en français, entre Winter et Jordan : "There is no 'I' in team (il n'y a pas de 'Je' dans 'équipe')", a lancé l'assistant à la star. Et celle-ci de répondre "But there is an 'I' in 'win' (mais il y en a un dans victoire)".
Preuve que les Bulls se cherchent en ce début de saison 89-90, les défaites s'enchaînent, cinq après dix rencontres déjà malgré un Jordan en feu (54 points en ouverture face à… Cleveland puis 40 contre Detroit). La mayonnaise prend au fur et à mesure de la saison et les bilans avant (28-19) et après (27-8) le All-Star Game en attestent. Dans le sillage de Jordan, Scottie Pippen gagne en régularité et se montre plus utile en attaque. Il sera d'ailleurs récompensé par une sélection au match des étoiles en compagnie de Jordan. Un "MJ" qui réalisait encore une saison fantastique. Le 28 mars 1990, il réussit ce qui restera son record en carrière : 69 points. Contre qui ? Cleveland évidemment.

69 points contre Cleveland

69 points, 18 rebonds, 6 passes, 4 interceptions, voilà pour la symphonie de Jordan. Un récital livré à la presque perfection à 23/37 aux tirs. "C’est la seule et unique fois où j’ai eu l’impression de réaliser le meilleur match de ma carrière, expliquera plus tard le héros. Je n’avais pas ressenti ça depuis que j’avais marqué ces 63 points à Boston. Bon, je connaissais aussi la situation où tu marques plein de points et où tu perds quand même… Je ne voulais pas que ça arrive. Alors, je n’ai pas cessé de me motiver, de me parler en me disant : 'N’arrête pas, continue'."
Sous Jackson, les Bulls gagnent huit matches de plus que la saison précédente et terminent dans le sillage des ennemis de Detroit à l'est. Après deux défaites rageantes en 88 et 89, il est temps de faire tomber les Pistons, champions en titre. Sur le chemin des retrouvailles, Milwaukee et Philadelphie se dressent sur la route de Taureaux lancés. L'ultime défaite en saison régulière face à Detroit avait encore donné l'occasion à Jordan de s'en prendre à ses coéquipiers.
Le triple double de Pippen face aux Bucks (17 points, 10 rebonds, 13 passes) allait le rassurer. Surtout, dans une série rugueuse (68 fautes seront sifflées lors du match 4, le dernier), les Bulls dans leur ensemble répondent présents. Si le premier tour a été une performance collective, la qualification pour la finale de conférence sera, en très grande partie, l'œuvre de Michael Jordan.

Les Pistons, encore les Pistons

Deuxième du vote du MVP cette année-là, Barkley est un adversaire qui motive "MJ", et les Sixers, une opposition solide. Jordan va la faire voler en éclats. 43 points, 6,6 rebonds, 7,4 passes et 4 interceptions, voici le tarif infligé aux Sixers par un Jordan conscient, bien plus tard, d'avoir réalisé là une performance rare, même pour lui. "Je n'ai jamais joué quatre matches consécutifs comme ceux contre Philly", assure-t-il dans The Life. Pippen de son côté a dû s'absenter lors du match 4 pour assister aux funérailles de son père, mort à 70 ans, dans l'Arkansas.
Chaque année la tension monte entre Bulls et Pistons. Ceux-ci jouaient d'ailleurs de la détestation qu'ils créaient chez leurs adversaires, en particulier du côté de Chicago. Interrogé sur le caractère uni de l'effectif des Pistons, Salley envoyait une salve à ses futurs adversaires : "Il n'y a pas qu'un seul joueur qui donne le ton dans notre formation. C'est ce qui fait de nous une véritable équipe. Si un seul gars faisait tout nous ne serions pas une équipe. Nous serions les Bulls". Pour la troisième année consécutive, les chemins se croisent en playoffs, la deuxième en finale de conférence. 4-1 en 88, 4-2 en 89 puis 4-3 cette saison-là, les Bulls se rapprochent mais le compte n'y est pas. La faute à la défense une nouvelle fois irréprochable, dans son efficacité, des joueurs de Motor City.
Jamais dans cette série en sept matches, Chicago n'aura dépassé les 100 points dans le tout neuf Palace d'Auburn Hills. Les coups bas pleuvent et Jackson qualifie ces matches de rencontres de "rugby". Son système d'attaque permet aux Bulls de résister mais explose dans le match 7. Lors du Game 6, Laimbeer a envoyé Pippen à terre avec un coup de coude dans la tête. Souffrant de migraine, "Pip" insiste pour jouer mais n'est que l'ombre de lui-même : 2 points à 1/10 aux tirs. Voilà pour le deuxième épisode de l'histoire de "soft Pippen" dans les moments chauds.
Avec un piètre 28/90 dont un 7/40 pour le trio Grant-Pippen-Hodges, les Bulls ne font pas le poids et s'inclinent 4-3. Dans le vestiaire, Jerry Krause hausse le ton. Jordan fond en larmes se promettant que c'était la dernière fois. L'avenir lui donnera raison alors que la presse commence à craindre qu'il rejoindra un jour Elgin Baylor parmi les légendes sans bague.
Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Sur le même sujet
Partager cet article
Publicité
Publicité