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"Michael voulait signer chez Adidas" : Nike Air Jordan, 35 ans d’une sneaker culte

Rémy De Souza

Mis à jour 04/04/2020 à 11:46 GMT+2

Best-seller au succès jamais démenti, la Air Jordan fête en ce mois d’avril 2020 ses 35 ans. Débarqué dans les rayons en avril 1985, le premier modèle signature de la légende des Chicago Bulls aurait pourtant pu ne jamais voir le jour. Genèse, et plus encore, d’une icône qui a propulsé le plus grand basketteur de l’histoire dans une autre dimension.

Michael Jordan et la Air Jordan 1, une association ravageuse.

Crédit: Eurosport

Initialement publié mi-novembre 2019 pour célébrer la première apparition de la Air Jordan 1 aux pieds de Michael Jordan, cet article vous est proposé dans une version enrichie à l'occasion du 35e anniversaire de la sortie de la célèbre paire de chaussures, mercredi 1er avril 2020.
C’est l’histoire d’une légende. Un récit à caractère merveilleux, où les faits historiques sont transformés par l’imagination populaire ou l’invention poétique, bien que le mot soit légèrement usurpé dans le cas qui nous intéresse. Reste une définition qui colle parfaitement à un bout de cuir devenu bien plus que cela en 35 ans : de simple chaussure de sport à icône de la pop culture pesant des millions de dollars, il y a un gouffre que la Air Jordan a survolé au fil du temps, aidée par l’aura inégalable de son héros éponyme et un arsenal marketing sans précédent déployé par Nike pour assurer son rayonnement.
La chaussure est aujourd’hui indissociable du champion. Elle fait inlassablement la fortune du plus grand basketteur de l’histoire comme de l’équipementier à la virgule. Cela fait 35 ans que le partenariat fructueux dure. Ce n’était pourtant pas gagné d’avance. La Air Jordan, c’est aussi l'histoire d'un accouchement rendu difficile par un homme. Son identité a de quoi surprendre : Michael Jordan lui-même.
Bienvenue en 1984. Les Clippers jouent leurs derniers matches à San Diego, les Kings évoluent à Kansas City et Seattle vibre encore pour ses Sonics. Une autre époque, celle qui voit la NBA péricliter, entre problèmes de drogues des joueurs, affluences en berne et pertes financières pour de nombreuses franchises. Deux hommes vont mettre un terme à cette spirale négative. Le premier est le regretté David Stern, nommé commissionnaire de la Ligue le 1er février. Sous sa houlette, la citrouille va devenir carrosse. Gestionnaire hors pair, il mettra toute son énergie et ses compétences à redorer efficacement le blason de la NBA.
Le second est Michael Jordan. L’organisation parfaite est une chose, le spectacle en est une autre. Sans matière première digne de ce nom, la promotion, aussi bien réalisée soit-elle, n’a que peu d’intérêt. Heureusement pour le basket américain, 1984 est un grand cru. La draft va injecter du sang neuf dans la Ligue et une sacrée dose de talents, avec pas moins de quatre futurs Hall of Famers : Charles Barkley, John Stockton, Hakeem Olajuwon et Jordan donc, choisi en troisième position par les Chicago Bulls. Un pick que la franchise de l’Illinois n’aura jamais à regretter.

"Mettez tout sur ce gamin. Mettez tout sur Jordan"

Qui est Jordan au moment de faire ses premiers pas en professionnel ? Un crack universitaire, titré avec North Carolina en 1982, doublé d’un champion olympique, qui a gagné en popularité en brillant avec Team USA à la maison lors des Jeux de Los Angeles. Le jeune homme de 21 ans est un grand espoir, mais pas encore une star à une époque où les réseaux sociaux et la médiatisation instantanée n’existent pas.
Michael Jordan et ses Converse lors des Jeux Olympiques de 1984.
Un homme est pourtant certain du potentiel sans limite de cet arrière spectaculaire au jeu aérien : Sonny Vaccaro. Il a assisté de ses propres yeux au sacre des Tar Heels et en est convaincu : Jordan est le joueur le plus fort qu’il a vu jouer. Cette impression sans pareille n’aurait eu aucune incidence sur la suite des événements chez un quidam. Mais Vaccaro n’est pas n’importe qui. Créateur du Roundball Classic, un All-Star Game lycéen réputé disputé à Pittsburgh à partir de 1956, il dispose d’un impressionnant réseau qui lui ouvre les portes de Nike. Sa mission pour la firme de Beaverton ? Faire signer aux coaches universitaires de tout le pays des contrats d’équipements. Ce qu’il fait avec brio. En 1979, Larry Bird, alors à Indiana State, fait la une de Sports Illustrated avec des Nike aux pieds. La popularité comme les ventes de Nike grimpent en flèche, Vaccaro a toute l’attention des plus hauts dirigeants de l’équipementier.
Rob Strasser, vice-président de Nike en charge du marketing, est l'un d'eux. Il le sait : Vaccaro est fiable, il connaît son affaire et il a rapporté à la marque au swoosh bien plus qu'il ne lui a coûté. Il l'écoute donc attentivement en janvier 1984 lorsqu'il lui présente un projet un peu fou : faire signer Jordan, 0 minute NBA au compteur, et développer une gamme autour de lui. Vaccaro va même plus loin une fois la présence de Jordan à la draft actée, le 5 mai 1984 : plutôt que de dispatcher le budget alloué - 2,5 millions de dollars - aux joueurs professionnels sur plusieurs éléments, il insiste auprès de Nike pour que la marque mette tous ses œufs dans le même panier. "Ne faites pas ça. Mettez tout sur ce gamin. Mettez tout sur Jordan", implore-t-il, relate le livre Michael Jordan The Life signé Roland Lazenby.
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Et le plus beau modèle est... Votre Top 5 des Air Jordan

"Adidas avait les plus beaux survêts"

Nike et son PDG Phil Knight s'y résolvent : ce sera all-in sur le jeune homme de Caroline du Nord. Le nom de leur aventure commune ? Air Jordan. L’appellation est trouvée en août 1984 par David Falk, agent du joueur. Peter Moore, responsable de la création chez Nike, se charge quant à lui de dessiner le premier logo Jordan, le logo ailé, quatre ans avant l'apparition du célèbre Jumpman. Le début d'un irrésistible partenariat ? Pas tout à fait. Car il y a un problème, et de taille : le futur numéro 23 des Bulls n'est pas emballé à l'idée de rejoindre l'équipementier de l'Oregon. Mais alors pas du tout. Il ne connaît même pas Nike lorsqu'il rencontre Vaccaro pour la première fois, en marge des Jeux de Los Angeles.
"Un contrat pour des chaussures ne voulait rien dire dans les années 1980. Donc, ça le laissait complètement indifférent", se rappelle Vaccaro dans The Life. "Il ne voulait pas venir chez nous. Il voulait signer chez Adidas. Dans les années 1980, Adidas avait les plus beaux survêts." Ça peut paraître aujourd’hui complètement saugrenu, mais Jordan était avant tout un grand fan de la marque aux trois bandes et de ses chaussures basses. Il apprécie aussi Converse et ses modèles qu'il a portés à la fac et aux JO. En résumé, il se verrait bien rejoindre l'une de ces deux maisons.
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Michael Jordan en survêtement Adidas à côté de chaussures Converse en avril 1984.

Crédit: Getty Images

La chance de Nike, c'est que ni Adidas ni Converse ne sont disposés à s'aligner sur son offre économique hors norme. L'équipementier allemand est en proie à des querelles intestines depuis la mort de son fondateur, Adi Dassler, en 1978 et laisse passer sa chance d'enrôler Jordan et d'exaucer ainsi son vœu. Une enquête du Wall Street Journal révélera en 2015 que certains cadres d'Adidas, plus enclin à sponsoriser les intérieurs dominants, trouvaient Jordan, 1,98m sous la toise... trop petit. Converse, de son côté, est dans une impasse, victime de son catalogue premium. Comment offrir 500 000 dollars par an à un rookie sans froisser des stars établies comme Larry Bird, Magic Johnson ou Julius Erving, à qui la marque à l'étoile ne donne "que" 100 000 dollars ? Converse paye également son manque d'idée : seule Nike a l'ambition de développer une collection spécifique à Jordan.
Un quatrième acteur aurait pu changer le cours de l'histoire : Spot-Bilt, incarné à l'époque par O.J. Simpson. Cette marque, devenue aujourd'hui Saucony, est, surprise, celle qui offre le plus d'argent à Jordan. Insuffisant pour faire pencher la balance en sa faveur. David Falk le sait : la puissance marketing de Nike est sans égale et il s'assure qu'un million de dollars soit investi par la marque lors des six premiers mois du partenariat pour promouvoir les chaussures de son poulain. Que se serait-il passé si Spot-Bilt avait raflé la mise ? "Nous n'aurions pas vu Jordan porter ces chaussures noires et rouges", racontait à ESPN en 2013 John Fisher, directeur marketing adjoint de l'équipementier méconnu en 1984. "Nous étions une entreprise familiale, plus conservatrice. Nous aurions probablement fait une chaussure blanche avec une rayure rouge dessus."

16 dollars par paire dans les poches de Jordan

L'affaire est finalement entendue le 24 octobre 1984 : Michael Jordan, lié aux Bulls par un premier contrat de 6 millions de dollars sur sept ans, rejoint Nike pour cinq ans et 2,5 millions de dollars, explosant au passage le record du contrat le plus juteux signé par un basketteur avec un équipementier. Le 1,2 million de dollars versé par New Balance à James Worthy sur huit ans est effacé des tablettes. Il a pourtant fallu arracher la signature de Jordan. Sa mère, Deloris, encouragée par Falk, doit lui ordonner d’être présent pour qu’il se déplace à la présentation organisée par Nike. C’est elle qui sera convaincue par la firme au swoosh et, par ricochet, son fiston, malgré ses réticences envers des chaussures qu'il n'hésitera pas à qualifier de "moches"sur le plateau de David Letterman en 1986.
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Les Air Jordan 1 aux pieds de Michael Jordan.

Crédit: Getty Images

Obsédé par l'idée d'avoir une voiture de luxe, Jordan ne le sait pas encore, mais il va bientôt pouvoir s'acheter tous les bolides qu'il souhaite : en plus des 500 000 dollars annuels garantis par Nike, 25% de royalties lui seront reversés sur chaque paire de chaussures vendue. A 65 dollars la paire, un prix très élevé pour l’époque, cela représente un peu plus de 16 dollars pour les poches de MJ. Nike écoulera pour 100 millions de dollars de produits estampillés Jordan pour la seule année 1985, année de sortie d'une Air Jordan première du nom qui débarque en rayon le 1er avril. La fortune ne frappe pas à la porte de MJ, elle l’enfonce.
Le succès est à l'image du jeune Michael Jordan : phénoménal. Les précautions prises par Nike au moment de boucler le deal - Jordan doit finir rookie de l'année, devenir All-Star ou inscrire 20 points par match de moyenne au cours de ses trois premières saisons, ce qu'il fait dès sa première année en NBA - sont inutiles. La nouvelle attraction de la Ligue brille et se révèle vite être le meilleur ambassadeur de sa marque, étrennée le 17 novembre 1984. C'est ce jour-là que Jordan porte pour la première fois la création de Peter Moore, sa chaussure signature dans sa version "Chicago" : un soulier à dominante blanche, secondée par du rouge et une virgule noire.
Le baptême du feu se solde par ce que Jordan, auteur de 16 points ce soir-là à un vilain 4/17 au tir, abhorre : une défaite, face aux Sixers de Dr. J (100-109), pour la onzième sortie des Bulls dans cet exercice 1984-1985. Le revers est anecdotique, l'opération séduction et conquête du monde peut commencer.
Michael Jordan porte les Air Jordan 1 pour la première fois le 17 novembre 1984 lors d'un match entre les Bulls et les Sixers.
Jordan ne systématise toutefois pas le port de sa chaussure lors de sa saison de rookie. Il joue aussi régulièrement avec des Nike Air Ship, des sneakers à 35 dollars au design proche de la Jordan. C’est d’ailleurs avec ce modèle que MJ débute sa carrière professionnelle, celui-là même qui attire l’attention de la NBA. A l’époque, le règlement requiert une "uniformité de l’uniforme". Qu’est-ce que ça veut dire ? Que les chaussures doivent être à 51% blanches ou noires, respecter les couleurs de l’équipe et être raccord avec les souliers portés par les coéquipiers. Mais ça, Jordan s’en moque. C’est du moins ce que Nike veut faire croire à la planète.

Une interdiction légendaire

Le prodige arbore effectivement en pré-saison des Air Ship noires et rouges. La Ligue tique et avertit une première fois le rookie : il faudra respecter les règles ou payer une amende. 5000 dollars, chaque fois qu’il enfreindra la loi. Dans un courrier daté du 25 février 1985, la NBA rappelle à Nike et à sa tête de gondole "l’interdiction du port de chaussures de basketball Nike rouges et noires par le joueur des Chicago Bulls Michael Jordan le ou autour du 18 octobre 1984." Ce jour-là, c’est effectivement équipé de godasses rouges et noires que Jordan virevolte sur le parquet du Madison Square Garden. On ne le reverra plus avec ce colorway. Pas en saison régulière du moins. Il faudra attendre le All-Star Game d’Indianapolis pour revoir Jordan en rouge et noir.
Qu’importe. Pour Nike, c’est une bénédiction : quoi de mieux qu’une interdiction pour susciter l’intérêt du public ? Elle ne concernait même pas la Air Jordan ? Pas grave, l’important est de le faire croire aux gens. C’est ce que fait la firme de Beaverton à la perfection. "Dites aux gens qu'ils n’ont pas le droit de faire quelque chose et ils le feront", rappelle Vaccaro dans The Life. Nike dégaine donc une publicité, devenue culte elle-aussi, qui transforme la Air Jordan en objet transgressif de tous les désirs : "Le 15 septembre, Nike créa une nouvelle chaussure de basketball révolutionnaire. Le 18 octobre, la NBA l’exclut du jeu. Heureusement, la NBA ne peut pas vous empêcher de les porter." La Ligue n'y pourra effectivement pas grand-chose : la Air Jordan a pris son envol et rien ne pourra l'arrêter.
L'histoire pourrait s'arrêter là. Happy end. Mais le film de la Jordan originelle n'est pas encore terminé. La première vie des Air Jordan 1 est douce et pleine de succès. La seconde sera faite de planches à roulettes et d'oubli. Nike écoule d'abord la marchandise comme des petits pains. Le modèle est décliné dans pas moins de 13 coloris. Les panneaux "sold out" fleurissent rapidement sur les vitrines des revendeurs. Grisé par le phénomène, l'équipementier au swoosh a la main lourde à l'heure de réapprovisionner les shops, raconte Pete Forester sur le site Grailed.com. Trop de chaussures sont fabriquées. La première vague Jordan a submergé les pieds des Américains, la deuxième va faire s'échouer des milliers d'articles sur les présentoirs.
La Jordan première du nom prend la poussière, bientôt tradée de la tête de gondole aux remises des magasins contre sa petite sœur, la délébile Jordan 2, sortie en novembre 1986, et toutes les itérations qui suivront au rythme d'un nouveau modèle chaque année. La 1 n'est bientôt plus à la mode. Ceux qui continuent à la vendre ne tardent pas à la brader. Des 100 dollars demandés par les revendeurs au plus fort de la pénurie, elles sont maintenant disponibles pour 20 dollars.
Tiens tiens, des chaussures plutôt stylées, solides et pas chers, ça pourrait intéresser des sportifs d'un autre genre. Fini les parquets, place au macadam et au vacarme : les skateurs entrent dans la danse. Un film emblématique de la culture skate, The Search for Animal Chin, acte l’union inattendue entre les Jordan et ses nouveaux possesseurs en 1987. Réunis sous la houlette du légendaire Stacy Peralta au sein de la cultissime Bones Brigade, les non moins légendaires Tony Hawk, Steve Caballero, Mike McGill, Lance Moutain et Tommy Guerrero voltigent chaussures de MJ aux pieds. La AJ1 n’a rien demandé, la voilà propulsée dans l’histoire d’une autre discipline.
Les skateurs de "The Search for Animal Chin", Air Jordan 1 aux pieds.
Pour gagner sa place au Panthéon, le temps doit néanmoins faire son œuvre. Il en faudra beaucoup, deux décennies exactement, pour que la Air Jordan 1 retrouve de sa superbe et bascule dans une nouvelle dimension. Vu de 2020, alors qu’il s’écoule aujourd’hui rarement plus de quinze jours entre deux rééditions d’anciens modèles, difficile d’imaginer que la première des chaussures signatures de l’homme aux six titres NBA a connu une traversée du désert. L’échec en d’autres termes, au rendez-vous lorsque Nike ressort pour la première fois la 1.

L'échec momentané des 90s

Nous sommes en 1994 et Jordan a décidé d’aller tenter sa chance - sans réussite là aussi - dans le baseball. Désorienté par le choix de carrière de MJ, en quête de nouveaux héros des parquets et de nouvelles technologies pour ses petons dans une décennie qui ne fait pas la part belle au vintage, le grand public boude ce retour. Un élément, important dans le succès ultérieur rencontré par la première Jordan, n’opère pas encore : la nostalgie.
Après l’arrêt définitif de l’immense carrière de Jordan, en 2003, la donne va changer. Porter ses chaussures est un moyen facile, quoique de plus en plus onéreux, de célébrer le GOAT. Nike comprend vite le changement de perception des consommateurs et introduit massivement de nouveaux colorways à partir de 2007. L’offre est pléthorique, la demande toujours plus importante. La boule de neige grossit, intarissablement, nourrie par des éditions limitées et des collaborations toujours plus prisées. Cette année, c’est la Jordan 1 Christian Dior, attendue ce printemps, qui fait tourner les têtes. La somme demandée à une poignée de happy few pour se la procurer ? 2000 euros. Michael Jordan n’a pas fini de s’acheter des bolides.
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Les Air Jordan 1 Dior aux pieds de Kylian Mbappé, le 24 janvier 2020 à Paris.

Crédit: Getty Images

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