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Cyclisme / Racisme et diversité (2/3) - Amina Lanaya, directrice générale de l'UCI : "On veut des Africains qui gagnent"

Benoît Vittek

Mis à jour 04/05/2022 à 12:12 GMT+2

"J'ai deux combats : le développement du cyclisme féminin, et la diversité et l'inclusion", affirme Amina Lanaya. Pour Eurosport.fr, la Franco-Marocaine, directrice générale de l'Union cycliste internationale depuis 2017, évoque le manque de diversité au sein du peloton, ainsi que les moyens déployés afin de tenter d'y remédier.

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Cet article est le deuxième de notre dossier consacré au racisme et à la diversité dans le cyclisme :
La victoire de Biniam Girmay a été saluée comme un événement historique. Que représente-t-elle pour l’UCI ?
Amina Lanaya : C'est une énorme fierté. Non seulement un coureur africain gagne une grande classique du circuit élite masculin, mais en plus Biniam est issu de la formation du centre mondial du cyclisme (CMC). C’est un jeune athlète qu’on a accueilli pendant deux années, qui a été aidé par nos équipes au niveau africain, qu’on a fait venir et qu’on a fait grandir. L’objectif du CMC est d’identifier des talents, les former, les accompagner, leur faire profiter de notre expertise pour en faire des champions. Et c’est vrai qu’avec Biniam, on a l’exemple parfait. Je me suis toujours dit : le jour où on aura un Chinois ou une Chinoise qui gagne le Tour de France, ou un Africain qui gagne une grande classique belge, on aura accompli notre mission. Et c’est arrivé il y a quelques semaines.
Cette victoire est-elle donc une fin en soi ?
C’est le début d’une grande histoire. On ne va pas se contenter de cette victoire de Biniam. On veut que ça suscite l’exemple, qu’il soit un ambassadeur pour montrer à des jeunes Africains qu’il est possible de gagner une grande classique, de gagner le Tour de France, d’intégrer les meilleures équipes du monde. Les championnats du monde au Rwanda en 2025 seront également très importants. On a investi des fonds dans l'agenda Africa 2025 avec tout un plan de développement des coureurs. On ne veut pas qu’ils fassent de la figuration. On veut des Africains qui gagnent, des Africains sur le podium.
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On a besoin de plus de coureurs qui ne sont pas que blancs dans le cyclisme sur route
Quel est le diagnostic de l’UCI sur la diversité dans le peloton ?
On a fait beaucoup d’efforts, beaucoup beaucoup de progrès, mais la réalité est qu’un Africain qui gagne une grande classique belge pour la première fois, ce n’est pas assez. On a besoin d’avoir un sport universel. On a besoin de plus de coureurs qui ne sont pas que blancs dans le cyclisme sur route. On a besoin aussi de femmes. On doit développer ces axes-là et c’est l’un des engagements de l’UCI. On verse quand même presque 4 millions de francs suisses (3,9 millions d'euros) chaque année au centre mondial du cyclisme, 2 millions de francs suisses à nos projets de solidarité pour les fédération nationales. C’est un travail récent au regard de l’histoire de notre sport, mais ça porte déjà ses fruits et on en est très satisfaits.
Après 20 années d'activité, quelles sont les perspectives du centre mondial du cyclisme ?
Beaucoup de choses se sont passées. On a quand même formé presque 2 000 athlètes de 235 nationalités, couvert les 5 continents, on a vu émerger des champions comme Biniam, Chris Froome, Daniel Teklehaimanot… C’est vraiment une grande fierté pour nous. Le centre mondial du cyclisme n’est pas seulement pour les athlètes, il sert aussi pour les autres métiers du vélo, pour les entraîneurs, les mécaniciens. On met aussi en place des formations de directeurs sportifs, hommes et femmes. On veut que le centre mondial du cyclisme soit une université du vélo, avec des satellites dans chaque continent. On a les réseaux, on a les ressources, on a les fédérations nationales qui sont quand même chargées d’élaborer ce travail de développement dès le plus jeune âge, mais on veut encore plus impliquer les autres acteurs du cyclisme comme les équipes professionnelles et les organisateurs de courses.
Quels sont les autres projets menés avec le fonds de solidarité ?
L'UCI aide les fédérations nationales et les confédérations continentales sur des projets bien spécifiques tels que le développement du cyclisme féminin, l’accompagnement de jeunes athlètes et la détection de talents, les camps d’entraînement de cyclisme sur route ou en mountain bike, des formations de coachs ou de mécaniciens. On fait en sorte que toutes ces formations soient chapeautées par des experts du centre mondial du cyclisme pour en assurer la qualité. Et il y a aussi bien sûr des dons de vélo. Dans beaucoup de pays, les fédérations n’ont pas forcément les moyens d’avoir du bon matériel. Les revenus de l’UCI sont réinjectés dans le développement et on veut à terme, dans l’agenda 2030 qui sera publié au mois de septembre, faire en sorte qu’il y ait une enveloppe plus conséquente consacrée au développement et à la solidarité des fédérations nationales.
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Kevin Reza veut faire changer les choses
Pendant que l'on voit des coureurs de couleur se faire une place dans le peloton, certains affirment avoir été victimes de racisme. Y a-t-il un problème spécifique au milieu cycliste ?
Le cyclisme est aussi le miroir de la société. Il y aura toujours ce genre d’incidents dans la société comme dans le sport. Le cyclisme sur route a quand même une histoire européenne, une histoire blanche, et ce n’est que très récemment qu’on a commencé à voir des coureurs de couleur noire, ou des Asiatiques, des Sud-Américains… Il est évident que ces comportements sont inacceptables. Toute forme de discrimination, d’insultes, est sanctionnée par les règlements de l’UCI. Je pense que le plus gros problème du racisme, c’est un manque d’éducation. On est en train de mettre en place un groupe de travail “diversité et inclusion”. Et ces questions vont prendre une part importante du cahier des charges de ce groupe de travail. On a aussi beaucoup évalué ce qui se faisait dans différentes fédérations nationales. USA Cycling et British Cycling sont très avancées dans ces domaines-là.
Kevin Reza, qui a été victime d’insultes racistes de la part de coureurs au cours de sa carrière, regrette l’absence de sanctions, notamment dans le cas de Gianni Moscon en 2017…
Le cas de Gianni Moscon est passé devant la commission disciplinaire et il avait été suspendu*. On est intransigeant sur les questions de racisme, et lorsqu’on dispose d’un dossier avec les preuves nécessaires, on ne flanchera jamais. Ce n’est pas la victime qui porte un cas devant la commission disciplinaire, c’est l’UCI. Et donc si l’UCI avait choisi de porter ce cas à l’encontre de Gianni Moscon, c’est qu’on avait considéré que son comportement était inacceptable. Une décision est ensuite prise par le juge de la commission disciplinaire, qui est indépendante de l’UCI. C’est notre devoir de sanctionner toutes ces agressions racistes qui peuvent avoir lieu dans le milieu. Kevin Reza est également quelqu’un à qui on pense pour intégrer notre groupe de travail. Il veut faire changer les choses. On a besoin de personnes comme lui pour nous expliquer comment ça se passe, pour nous aider à mieux éduquer.
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Amina Lanaya, directrice générale de l'UCI, à l'issue de la 75e édition du Tour de Romandie.

Crédit: Getty Images

*Dans sa décision du 30 juin 2017, la commission de discipline de l'UCI a prononcé la suspension de Gianni Moscon "pour une période d'un mois et demi" en raison de "mots insultants à caractère racial" adressés à Kevin Reza lors de la 3e étape du Tour de Romandie, le 28 avril 2017, soit une durée correspondant à la suspension que l'équipe Sky lui avait déjà imposée aux mois de mai et juin. Le coureur avait écopé d'une amende de 200 francs suisses et il avait dû verser 1 500 francs suisses à l'UCI pour participer aux frais juridiques. Son équipe lui avait également fait suivre une formation sur la diversité et l'égalité.
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