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Dan Martin : "A part Tadej Pogacar, personne ne s'amuse dans le vélo"

Guillaume Di Grazia

Mis à jour 28/10/2022 à 17:19 GMT+2

A l'occasion de la sortie de "A la poursuite du panda", autobiographie d'un "cycliste romantique" aux éditions Hugo Sport, Eurosport a rencontré Dan Martin et son auteur, le journaliste Pierre Carrey. Retraité depuis un an, l'Irlandais y raconte sa carrière, ses immenses succès mais aussi, et surtout peut-être, la peur et les doutes qui jalonnent une vie professionnelle.

C'était un 21 avril - En 2013, Dan Martin s'offrait son premier Monument

Dan, pourquoi avoir voulu faire ce livre ?
Dan Martin : Pierre est la personne qui me connaît le mieux et il écrit très bien. J'adore sa façon d'écrire, son style. Nous avons eu ensemble l'idée de faire quelque chose pour inspirer les gens. Le cyclisme est un sport sérieux, il y a la douleur, tout le monde sait que ça fait mal mais dans ce livre, nous avons voulu nous concentrer sur le plaisir. Je suis passionné de vélo, encore aujourd'hui. J'ai eu beaucoup de chutes, beaucoup de difficultés pendant ma carrière mais j'ai toujours tout accueilli avec une mentalité positive. C'est ça que je voulais raconter, tout ce qu'on n'a pas le droit de raconter pendant la carrière.
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Pierre Carrey : C'est un hasard. Dan, je l'ai rencontré, il venait à peine de changer de nationalité, passant de Britannique à Irlandais. Il avait été champion de Grande-Bretagne juniors mais, à l'époque, c'était un tout petit pays de vélo. Nous étions incapables de penser que ce pays remporterait le Tour de France. Les gens disaient qu'il était à La Pomme Marseille parce que son cousin, Nicolas Roche, était passé avant lui. On s'est retrouvés dans le même appartement, en collocation avec 4 ou 5 personnes. Je sortais d'école de journalisme et je voulais comprendre le vélo de l'intérieur et La Pomme était l'une des meilleures équipes pour les jeunes en Europe.
D.M. : C'est grâce à Pierre que je parle si bien français. Il a fait quelque chose que très peu de gens font quand on apprend une langue : il me corrigeait tout le temps.
P. C. : On se connait depuis longtemps. C'est le coureur idéal, j'aimerais que tous lui ressemblent. C'est le mélange du courage et de l'honnêteté. Il a le palmarès de certains gros coureurs mais je suis sûr que pour une partie du public, Dan est un petit coureur qui s'est invité souvent dans la cour des grands. Je trouvais ça magnifique quand je le voyais dans les finals de courses avec des coureurs qui avaient gagné des grands tours parce que je savais, je sentais le poids de la sueur, du travail, de la confiance. C'est une chose très fragile. Une carrière est pleine de doutes, de peurs.
La peur figure d'ailleurs dans le titre de chaque chapitre . Pourquoi ?
D. M. : A mon avis, tout le monde la ressent. La moitié ne sait pas et les autres n'ont pas le droit de le dire. Quand un coureur dit qu'il a peur, il est mis dehors. Personne ne dit ça, "j'ai peur de tomber". Si tu dis ça, ta carrière est quasiment finie. On voulait essayer d'en parler avec honnêteté. Dans ce monde du vélo, très sérieux, on ne montre pas les émotions. Elles sont cachées derrière les lunettes.
P.C. : C'est l'un des angles morts du vélo. Aujourd'hui, la plupart des récits sportifs sont des récits de victoires, ce sont des conquêtes. C'est ennuyeux quand tout marche. Ce qu'on aime dans la vie, ce qui nous parle à l'imaginaire, c'est la chute, l'accident, l'erreur, les échecs. Je pense que ça participe vraiment de l'humanisation du vélo. Un cycliste qui va rouler le dimanche matin, un junior, un cadet, il comprend ça. Le vélo c'est 99% de moments difficiles et 1% de réussite. Dan est un coureur qui transpire aussi la générosité, la sincérité, l'émotion. Il y a beaucoup de coureurs qui gagnent et qui ne transmettent aucune émotion. On peut perdre ou gagner et transmettre une émotion. Dan a réussi à aligner les deux.
Le livre de Dan Martin, écrit par Pierre Carrey
Aujourd'hui, quelques-uns, dans le cyclisme et ailleurs, ont pris la parole sur des problèmes mentaux, sur la difficulté d'exprimer le doute. Avez-vous peur pour cette nouvelle génération ?
D.M. : Personne ne parle de cette pression, de ces doutes. On les garde dans la tête et, un jour, on explose. Je ne sais pas si j'ai peur mais j'ai l'impression que le plaisir n'a pas sa place. Si un coureur aime rouler avec ses amis, ce n'est pas bon. Il faut s'entraîner à bloc, ne pas boire une bière par exemple. C'est le fait qu'il faut contrôler son image aussi. C'est encore différent pour la nouvelle génération. Je faisais du vélo en vivant plus ou moins normalement chez moi. Je n'ai jamais fait de stage en altitude. Pendant le Tour de France, je sortais au restaurant avec ma femme, je buvais un verre de vin et pourtant je suis entré dans le Top 10. Je suis sûr que c'est toujours possible mais la mentalité est différente. J'ai discuté avec des amis dans d'autres sports, c'est pareil partout.
Vous dites que les coureurs ne s'amusent plus mais quand on voit Evenepoel, Pogacar, Van Aert, Van der Poel, Alaphilippe… Ce sont des ultra-doués mais cette nouvelle génération donne l'impression de s'amuser…
D.M. : Ils n'ont pas peur de perdre. Ils ont une manière de courir très différente, très agressive mais je ne sais pas s'ils amusent. Personne ne sourit sur le vélo. Ils s'amusent à détruire la compétition. Pogacar s'amuse peut-être. Il aime bien attaquer de loin. Il aime le jeu. Mathieu Van der Poel aussi. Les autres adorent gagner, c'est différent. C'est toujours la performance. Evenepoel, par exemple, c'est différent parce qu'il fait une seule attaque, c'est moins un jeu, il est là pour gagner.
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Martin sur sa retraite : "Je m'étais promis d'arrêter quand ça ne serait plus amusant"

"Pourquoi as-tu attaqué ? J'ai entendu ce jugement à maintes reprises. Chacun son jugement sur l'attaque d'un coureur. Trop tôt, trop tard, trop loin, trop court, trop fort, voire carrément inutile. La question se veut tactique mais elle est en réalité existentielle. J'ai souvent plaisanté, je répondais 'et pourquoi pas ?'. Je suis sur le vélo pour attaquer. Pédale ne suffit pas, suivre est nécessaire mais mortellement ennuyeux". C'est un passage du livre. Vous êtes-vous ennuyé pendant votre carrière ?
D.M. : C'était la façon de courir de la Sky qui consistait à avoir le contrôle. Moi je voulais gagner une étape, j'étais 7e au général mais le 6e et le 8e roulaient derrière. Je veux gagner l'étape, je me fous de tes dix secondes. Je n'ai jamais compris cette manière de courir. Ça faisait partie du jeu, je voulais trouver comment me battre. Ma meilleure performance au général d'un grand tour, c'était la Vuelta 2020 (4e) et c'était la course la plus ennuyeuse de ma vie parce que je n'ai jamais attaqué. Je me suis dit "ok, je cours avec la tête". Pour faire un bon résultat, il ne fallait pas attaquer. Maintenant ça change un peu mais ce sont seulement quelques coureurs qui peuvent attaquer, des supers-talents qui attaquent de loin. Le reste des coureurs doivent rester dans les roues.
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Immense bonheur et trilogie complétée sur les grands tours : l'arrivée de Martin en vidéo

Pour résumer votre pensée, il y a deux équipes dans le peloton : les romantiques et les autres.
D.M. : Il y en a moins maintenant. On débranche la tête. On a une génération qui n'a jamais roulé sans capteur de puissance. Ils ne sentent pas les pédales et voient seulement les watts. Ce n'est pas pire, pas mieux, c'est seulement différent.
(Avec Christophe Gaudot)
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