Gadret parmi les grands

Jusqu'au bout, il a défendu son bifteck. Sa quatrième place si chèrement décrochée au prix d'une régularité sans faille sur les sommets de ce Giro himalayen. Alors, pas question de tout foutre en l'air sur l'ultime contre-la-montre aussi plat et roulant soit-il. Certes, John Gadret terminait bon dernier du chrono entre Bordeaux et Pauillac lors du dernier Tour de France à plus de 11 minutes de Fabian Cancellara. Mais ce dimanche, il ne voulait pas tout gâcher.

S'il en a bavé sur les pourcentages les plus exigeants du Zoncolan au terme duquel il termine 6e, de l'Etna (9e),  du Grossglockner (3e) ou des montées finales vers Gardeccia (5e), Macugnaga (4e) et Sestrière (5e), ce n'est pas pour tout foutre en l'air à Milan. Alors, il a serré les dents. "J'avais l'écart par radio sur Rodriguez (ndlr : 5e à 1'38" avant le chrono). Mais comme il a fait un très bon chrono, j'ai dû me donner à fond. Je suis soulagé... et super-content", a-t-il soufflé à l'arrivée après n’avoir concédé que 2’51 à David Millar (Garmin-Cervélo).

Derrière le trio de grands favoris (Contador-Scarponi-Nibali), il a arraché sa place et signé le meilleur résultat d'un Français sur un grand tour depuis Christophe Moreau en 2000. "Je rate le podium mais je n'ai rien à regretter. Ce sont des champions qui sont devant moi", admet le grimpeur d'Ag2r La Mondiale. Pour ne rien gâcher, il s'est offert sa première victoire sur un grand tour à Castelfidardo dans un formidable numéro de puncheur au nez et à la barbe du maître du genre, Joaquim Rodriguez (Katusha), encore lui.  "Ce Giro a été une belle aventure, physiquement et mentalement", résume le Champenois qui a eu la joie de recevoir la visite surprise de sa femme et de son fils Andreas-Marco à Milan dimanche.

Un fils prénommé ainsi en hommage à son idole et modèle, Marco Pantani : "Je m'inspire beaucoup de Pantani. Chaque fois que j'attaque, je pense à lui." Le crâne rasé, le corps sculpté pour les ascensions sélectives et des hommages à foison au Pirate : le Français s'est attiré la sympathie des Italiens qui l'ont découvert aux côtés des meilleurs cette saison malgré son 11e rang au général l'an passé. Gadret a plutôt eu bonne presse chez nos voisins transalpins. Lui s'impatiente déjà : "J'ai hâte d'être au prochain Giro."

Et le Tour de France ? Son manager, Vincent Lavenu, ne serait pas contre l'idée de l'aligner et de doubler Giro et Grande Boucle comme l'an passé. Dix-neuvième du général en 2010 sur la Grande Boucle, Gadret ne semble pas partager l'avis de son manager et prévient : "Le Tour, c'est un point d'interrogation. Mais je préfère ne pas y aller." Physiquement, l'entreprise paraît périlleuse pour celui qui semble de toute façon davantage destiné à briller de l'autre côté des Alpes. "Je me suis battu sur toutes les étapes aussi bien physiquement que mentalement et je risque d’avoir un coup de barre d’ici quelques semaines", prévient-il sur le site officiel de sa formation.

Pas certain que Vincent Lavenu lui tienne rigueur de son éventuelle absence en Vendée le 2 juillet prochain. Le manager d'Ag2r La Mondiale peut remercier son grimpeur qui a relancé une formation très discrète depuis le début de saison. Avec seulement deux victoires en 2011, la formation savoyarde trainait sa misère en queue de peloton des équipes Pro Tour. Ce Giro a considérablement redoré son blason. D'autant qu'aux côtés de Gadret, Hubert Dupont fut un lieutenant plutôt efficace en montagne.

Très régulier lui aussi, il décroche la 12e place du général. "Je suis agréablement surpris. Notre objectif, c'était entre la 6e et la 8e place pour Gadret voir un 2e coureur aux alentours de la 15e place. On est au-delà de nos espérances. Ce Giro est excellent pour nous", s'est félicité Lavenu au micro d'Eurosport. Troisième à 11'23" d'Astana au classement par équipes, Ag2r a montré les crocs et enfin lancé sa saison. "Nous manquions un peu de résultats ces dernières semaines et nous prouvons sur ce Giro que nous sommes capables de faire de belles choses sur les plus grandes courses", conclut un John Gadret qui est loin d'y être étranger.