L'heure de Kreuziger?

Celui-là, on l'attend depuis un petit moment au sommet. Roman Kreuziger est encore tout jeune. Il aura 25 ans vendredi, à la veille du départ du Tour d'Italie, dont il espère bien être un acteur majeur. Pourquoi pas, même, en décrochant le premier rôle. 25 ans. L'âge des possibles. Celui, l'espère-t-il, de la concrétisation au plus haut niveau de son talent. 13e du Tour de France à 22 ans, vainqueur du Tour de Suisse au même âge, puis du Tour de Romandie à 24, le Tchèque s'est annoncé très tôt comme un futur grand des courses par étapes. Du coup, l'exigence venant avec le talent, sa 9e place sur le Tour 2010 (le même résultat qu'en 2009) avait presque déçu. C'était, sans doute, un peu injuste.

Cette fois, Kreuziger se sent prêt à assumer pleinement, à justifier les attentes. Ce n'était pas forcément le cas jusqu'à cette année. C'est l'effet Astana. A l'intersaison, l'ancien champion du monde juniors a quitté Liquigas pour rejoindre la formation kazakhe. En Italie, en dépit de son talent, il a toujours eu du mal, sur les grands tours au mois, à s'extirper de certaines ombres, qu'elles prennent la forme d'Ivan Basso ou de Vincenzo Nibali, pour lequel il a joué le rôle d'équipier de luxe (avec brio) lors de la dernière Vuelta. Astana, en le désirant, lui a montré de l'importance. Certes, il y a Vinokourov. Mais il n'est pas présent sur ce Giro. Pour la première fois sur une épreuve de cette importance, Kreuziger bénéficie donc des pleins pouvoirs. Et ça change tout pour lui.

Chez Astana, les rôles ont rapidement été répartis: ce sera tout pour Vino lors du Tour de France. Il a donc été demandé à Kreuziger de se rabattre sur le Giro. Le Tour, ce sera sans lui cette année. Pas franchement emballé, le Tchèque a rangé ses états d'âme de côté. Sans doute a-t-il compris qu'il y avait beaucoup à gagner pour lui sur ce Tour d'Italie. Astana ne fait pas mystère de l'objectif: amener la perle slave sur le podium à Milan. Vu la qualité de l'opposition, de Contador à Nibali, de Menchov à Rodriguez, la mission est délicate. Mais Giuseppe Martinelli a confiance. "Roman est un jeune leader, mais je crois beaucoup en lui, a confié le manager italien d'Astana. Notre objectif, c'est clairement le podium. Je sais que Roman est en bonne condition. Il s'est très bien préparé".

Après un début de saison timide, Kreuziger a effectivement pointé le bout du guidon dans la deuxième quinzaine d'avril. Il a d'abord remporté une étape du Tour du Trentin, avant de se montrer à son avantage sur Liège-Bastogne-Liège, en prenant une belle quatrième place. Martinelli a donc vraisemblablement raison de se montrer serein quant à la condition de son poulain. Si interrogation il y a, elle est ailleurs. D'abord dans le profil de ce Giro, montagneux à l'extrême. Kreuziger est-il vraiment taillé pour les cols très pentus qu'offrent les sommets italiens? Ce n'est pas certain. Il n'a pas la pédalée légère d'un Contador, par exemple.

Mais le principal voile qu'il devra lever concerne avant tout sa faculté à devenir un vrai grand leader. Personne ne peut répondre avec certitude à cette question. C'est une chose de terminer dans le Top 10 du Tour en visant le maillot blanc sans pression excessive. C'en est une autre que de jouer la gagne en ayant sur les épaules le poids de l'ambition de toute une équipe. A ce titre, ce Giro constitue un rendez-vous charnière pour Kreuziger. Il va savoir ce qu'il a vraiment dans le ventre. Et nous avec. Mais l'intéressé se montre optimiste. "C'est vrai, consent-il, je n'ai jamais fini sur le podium ou même dans le Top 5 d'un grand tour. Mais je crois que cette année, je suis prêt pour ça. Je ne me suis jamais autant entrainé en début de saison et je pense que ça va payer."